Aujourd’hui, l’administration américaine est appelée de plus en plus à faire le deuil de son soutien exclusif au faux islam, celui du wahhabisme et compagnie. Daech ne peut plus durer et l’intégrisme ne saurait traduire la foi paisible de la majorité des musulmans. Trump l’a d’ailleurs dit durant sa campagne : le régime wahhabite n’est qu’une vache à lait; aussitôt son lait tari, elle sera mangée*.
Pour comprendre l’avenir de l’islam politique en Tunisie, il ne faut pas oublier, tout d’abord, l’investissement de l’administration américaine sortante dans l’arrivée au pouvoir de nos islamistes dans le cadre d’une alliance entre le capitalisme sauvage et un islam intégriste aussi sauvage, sinon plus. Il faut aussi se rappeler l’influence constante des Américains en Tunisie, et ce depuis si longtemps. (1)
Archéologie de l’influence américaine en Tunisie
La présence américaine en Tunisie a précédé l’indépendance des deux pays, puisque les autorités anglaises avaient veillé à sécuriser le commerce des bateaux américains en Méditerranée grâce à des conventions passées avec les autorités en place à Tunis, et ce en réaction au phénomène de la course et des corsaires écumant la Méditerranée à l’époque.
Après leur indépendance, les États-Unis ont tenu à conserver de telles conventions avec le Maghreb malgré l’opposition française, finissant par conclure avec le Bey de Tunis, le 26 mai 1799, une convention d’amitié et de commerce.
Depuis, et malgré les contingences diplomatiques dans la région avec les pays voisins, les relations tuniso-américaines furent globalement cordiales, ce qui sécurisa totalement le commerce maritime américain dans les mers, notamment en Méditerranée.
Depuis, les Américains ont agi activement à consolider leurs intérêts dans le pays, commençant par la conclusion d’un accord du commerce de la laine en 1824 qui lui a octroyé la clause de la nation la plus favorisée. Cela augura d’une époque particulièrement chaleureuse entre les deux pays, marquée de fréquents échanges, dont de nombreux cadeaux d’amitié entre les autorités des deux pays, comme ce tableau de Sadok Bey, offert par l’ambassadeur tunisien Othman Hachem en 1865, et qui figure parmi ceux des dirigeants du monde entier dans les salons du Département d’État à Washington.
Si par la suite les États-Unis se sont laissé aller à leur isolationnisme tout au long du protectorat français en Tunisie, ils ne continuèrent pas moins à veiller scrupuleusement à y sauvegarder leurs intérêts commerciaux. Ainsi conclurent-ils, le 15 mars 1904, un premier accord définissant leurs rapports avec le protectorat puis, le 4 novembre de la même année, portant sur les procédures d’échanges financiers et postaux.
Après la Seconde Guerre mondiale, le pays étant devenu le chef de file de l’Occident, commença une croisade diplomatique axée sur une solidarité affichée avec les droits du peuple tunisien colonisé, accompagnée d’une touche franchement moralisatrice occultant à peine leur attention soutenue au libéralisme économique présenté comme le système éthique par excellence.
Petit à petit, un tel vernis moralisateur, issu de l’esprit évangélisateur protestant marquant profondément la mentalité américaine, a pris des atours tentateurs en se manifestant activement auprès des syndicalistes tunisiens. En effet, historiquement, et c’est toujours évident jusqu’à nos jours, l’influence américaine en Tunisie est d’abord syndicale. (2)
Or, on sait la nature hybride du syndicalisme tunisien, qui en fait quasiment un parti politique. Il serait même, avant la lettre, ce parti du type postmoderne qui manifeste royalement la nécessaire imbrication transdisciplinaire des différents aspects sociaux (on dit désormais sociétaux) sans nulle séparation entre ce qui est politique et ce qui est social, économique, financier et même culturel.
Assurément, la diplomatie américaine en Tunisie a été d’abord — et le reste, d’ailleurs — une diplomatie syndicale ou syndicaliste. C’est ce qui lui a permis de s’enraciner au plus près de l’âme tunisienne qui, en son tréfonds, n’est guère différente de celle de l’esprit de conquête et d’aventure américaine, jusques et y compris dans sa caractéristique majeure qu’est cet alliage, subtil ou détonant selon la perspective, entre spiritualité et matérialité.
Au vrai, il y a trop d’affinités entre l’esprit yankee et l’âme profonde tunisienne qu’il importe de connaître pour en tirer le meilleur profit pour les deux peuples. C’est ce qui explique le renforcement, après l’indépendance de la Tunisie, de ces affinités entre le syndicalisme tunisien et la diplomatie américaine.
C’est bien de tels atomes crochus de part et d’autre qui doivent être exploité, mais à bon escient et non tel ce fut le cas ces dernières années, afin d’être en mesure d’élever les rapports bilatéraux au niveau que mérite enfin l’État se voulant de droit en Tunisie et une administration américaine éveillée de son hallucination liant à tort ses intérêts à ceux de l’anté-islam intégriste dans ses différentes déclinaisons : l’horreur wahhabite et son incarnation qu’est l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech).
Naissance d’une «démocratie islamique» au Maghreb
Le sort de la Tunisie ne pouvant être dissocié de celui de la grande Tunisie qu’est le Maroc, ce qui suivra ne concerne donc pas seulement notre pays. Au demeurant, les péripéties actuelles dans le Royaume chérifien ayant trait à la composition d’un gouvernement d’union nationale traduisent la gestation d’un nouvel avenir au Maghreb qui, plus que jamais, pourrait être celui d’une «démocratie islamique» immergée dans un islam maghrébin fait de libertés, de tolérance et d’humanisme intégral. Et ce n’est rien d’autre que l’islam soufi.
Aujourd’hui, l’administration américaine est appelée de plus en plus à faire le deuil de son soutien exclusif au faux islam, celui du wahhabisme et compagnie. Daech ne peut plus durer et l’intégrisme ne saurait traduire la foi paisible de la majorité des musulmans. Trump l’a d’ailleurs dit durant sa campagne : le régime wahhabite n’est qu’une vache à lait; aussitôt son lait tari, elle sera mangée. Il a parlé et parle aussi du devoir de mettre hors-la-loi l’islam intégriste, bien plus sauvage que le péché mignon du libéralisme qu’est le capitalisme sauvage.
Aussi, nous croyons comptées les heures de la monstrueuse alliance entre le capitalislamisme sauvage, ce néolibéralisme dévergondé des nouveaux conservateurs, et l’islam immoral, l’anté-islam des intégristes.
Logiquement, cela ne peut commencer qu’au Maghreb, et en Tunisie en premier.
Les États-Unis vont s’appliquer à y renouer avec leurs invariants diplomatiques : l’action moralisatrice dans la cadre d’un libéralisme assagi. Ce ne sera que tout bénéfice pour le peuple américain qui a gardé, auprès des peuples du Maghreb, une aura dont n’ont pas profité ses dirigeants. Et ce sera encore plus bénéfique aux Maghrébins assoiffés de libertés.
Un passé récent d’amitié, cet amour désintéressé, serait à faire revivre en nos pays. Rappelons-nous donc à quel point atteignait, en Tunisie et au Maroc, le prestige du yankee libérateur, adepte des libertés et champion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ! Ce sentiment n’a pas disparu de l’inconscient du Maghrébin et nourri son imaginaire.
C’est bien le moment de réveiller un tel rêve américain, car l’apparent anti-américanisme populaire arabe n’est juste que le produit, travaillé et entretenu par certaines mauvaises volontés de part et d’autre, d’un dépit amoureux; or, celui-ci est versatile, car le cœur a toujours cette raison sensible que la raison n’a pas. Que la flamme amoureuse renaisse donc par des actes concrets; et elle se rallumera instantanément !
Cela doit se faire par la cessation du soutien, de la part des Américains, au faux islam en Tunisie que représente l’actuelle politique, par trop immorale, du parti islamiste Ennahdha, dont le fonds de commerce véritable est représenté par cette aberration qu’est Hizb Ettahrir.
Que les États-Unis agissent pour la concrétisation de toutes les libertés et de tous les droits consacrés par la Constitution tunisienne en amenant à s’y impliquer le parti islamiste qu’on sommerait à se convertir à l’islam démocratique, humaniste et tolérant, seul vrai islam. C’est ce qui garantira au mieux leurs intérêts économiques et financiers en Tunisie et au-delà, dans tout le Maghreb, et plus tard, bien plus sûrement, dans tout le monde arabe une fois réalisée la paix des braves en Palestine.
En Tunisie, plus que jamais, Ennahdha doit cesser de jouer au plus malin en sachant qu’il y a toujours bien plus malin que soi. Le parti doit, non seulement se reconvertir en une démocratie islamique, mais aussi le prouver par des actes concrets, de ceux dont la symbolique est évidente et dont je n’arrête de parler au risque d’ennuyer.
Il doit savoir que ni son passé ni son récent présent ne plaident pour lui; (3) aussi doit-il au plus vite se décider de choisir sur quel pied se positionner : le bon, celui de la politique éthique que je qualifie de poléthique, ou l’autre, bancal et bot, celui de la politique politicienne à l’antique, immorale et obsolète ne consistant qu’à simuler et dissimuler tout en violant l’esprit les visées humanistes du vrai islam.
Il va de soi que dans une telle bascule dans le bon sens et le sens de l’histoire, les autres partis, mais surtout la société, auront un rôle capital à jouer. Je l’ai assez répété : l’époque postmoderne est l’âge des foules par excellence; ce qui impose que la société civile prenne enfin conscience de son poids réel et de ses responsabilités, surtout en tant que moteur du changement.
Les associations, bien riches en compétences diverses, ne doivent plus se limiter à l’exhortation et au simple discours, elles ont l’obligation de pratiquer enfin un nouveau militantisme se traduisant par des initiatives législatives concrètes en self-service. La militance gagnante aujourd’hui se traduit par des projets de loi prêts à l’emploi que propose la société civile aux médias, impliquant ainsi les plus larges masses, suscitant le débat nécessaire et finissant par les imposer aux députés pour les voir immanquablement votés.
Le vote à l’ARP ne saurait plus être, en notre âge des foules, qu’une formalité, le couronnement d’un travail populaire et médiatique à la base; c’est cela le pouvoir du peuple, la vraie démocratie organique ou démoarchie traduisant la puissance sociétale. Il y a eu déjà des projets de loi proposés dans des domaines aussi symboliques que radicaux de nature à faire bouger les choses et révolutionner les mentalités figées autour d’une lecture dépassée de l’islam.
Sur le plan national, entre autres questions sensibles et d’actualité, il s’agit de l’égalité successorale, de l’abolition de l’homophobie, de la dépénalisation du cannabis, de la liberté sexuelle entre majeurs consentants et de la liberté de consommation et de commerce d’alcool.
Sur le plan international, il s’agit d’appeler à la création d’un espace de démocratie méditerranéenne impliquant, tout de suite, le libre mouvement des Tunisiens sous visa biométrique de circulation et finissant, à terme, par l’adhésion de la Tunisie, et de tout le Maghreb au final, à l’Union européenne revitalisée.
C’est cela le sens de l’histoire, un horizon inéluctable pour ériger enfin une aire de civilisation entre l’Orient et l’Occident que manifestera la paix en Palestine impliquant la reconnaissance des États jumeaux monozygotes d’Israël et de Palestine dans le cadre de la légalité internationale à déterrer d’urgence pour constituer le référent unique et impératif au monde de demain devant être un monde d’humanité, une mondianité.
(*) Cet article a été publié initialement sur Kapitalis. Nous le republions ici avec l’aimable accord de son auteur.
Notes:
(1) Pour plus de détails sur la présence américaine au Maghreb, cf., en arabe :
حفريات في التواجد الأمريكي بتونس
goo.gl/W2fkGw
(2) Sur la présence américaine en Tunisie au niveau syndical, cf., en arabe :
حفريات حول دور الحركة النقابية في النضال السياسي بتونس
goo.gl/T0BcZd
(3) Sur la nature occulte du parti Nahdha, cf., en arabe :
حفريات حول حزب النهضة قبل اعتلاء الحكم
goo.gl/ZWRSVK