La chronique hebdomadaire d’El Kadi Ihsane sur El Watan aborde la question délicate de la compétition asymétrique entre le gaz de schiste et l’énergie solaire dans la transition énergétique algérienne.
La signature d’un accord la semaine dernière à Alger entre Sonatrach et le tandem BP et Equinor pour le développement d’un « important » gisement de gaz de schiste dans le sud-ouest de l’Algérie relance le débat sur la puissance du lobbying du carbone en Algérie.
Une compétition est de fait engagée entre deux filières pour combler le déclin de la production de gaz naturel conventionnel dans le pays, source quasi exclusive de génération de l’électricité dans le pays. Dans le discours officiel c’est essentiellement la filière du renouvelable qui est en charge de pallier ce déclin et accessoirement le gaz de schiste, sous de nombreuses réserves sur les conditions d’exploitation.
Dans les faits, force est de constater, à la fin de cette année 2018, que c’est le gaz de schiste qui prend de l’avance et apparaît, pour les gouvernants du secteur, comme la solution de substitution principale au gaz conventionnel et la filière du renouvelable qui devient la solution accessoire. Déséquilibrée dès le départ tant les partisans du carbone sont inamovibles dans le secteur de l’énergie en Algérie, la compétition entre gaz de schiste et électricité solaire tend à devenir un peu plus inégale lorsque des acteurs mondiaux entrent dans la partie au profit du gaz de schiste. Objectivement, l’Algérie a besoin de générer 2,4 GW de capacités nouvelles de production d’électricité pour faire face à la croissance de la demande du réseau.
Cette capacité devrait tripler les 12 prochaines années afin de passer au-dessus des 50 GW en 2030 à observer la courbe d’évolution de la demande dans un scénario médian qui introduit des économies d’énergie. Dans le discours officiel, une partie importante de cette demande additionnelle de la consommation électrique sera prise en charge par le programme de production de l’électricité de source renouvelable, essentiellement solaire, lancé en 2011 et affichant un objectif de production de 22 GW en 2030, soit 37% de la capacité globale, selon le ministère de l’Energie.
L’Algérie devrait donc mobiliser 120 milliards de dollars d’investissements mixtes, mais principalement privés, dans la filière du renouvelable de 2017 à 2030. Les 22 GW d’électricité verte destinés prioritairement au marché domestique devront éviter de recourir à un surcroit de gaz naturel pour la génération de l’électricité, et de ce fait, économiser à la consommation domestique quelques 300 milliards de m3 de gaz naturel qui seront valorisés dans l’exportation. Ceci pour le discours officiel.
Solaire, machine toujours grippée
Dans les faits, la production des conditions de l’investissement dans la filière du gaz de schiste va beaucoup plus vite que celle pour la filière de l’électricité solaire. Pour illustrer l’écart de traitement entre la promotion des deux filières, il faut juste observer la panne historique du programme des 22 GW qui, au bout de 5 ans de mise en œuvre, n’a pas généré plus de 400 MW de capacités nouvelles dans l’électricité d’origine renouvelable.
Le ministre de l’Energie, Mustapha Guitouni a même enfanté cette phrase inouïe de candeur « les retards du renouvelable nous ont permis de faire de grandes économies ». Le ministère de l’Energie a perdu deux ans arc-bouté sur un méga appel d’offres de 4000 MW, proposé par le ministre Nourredine Bouterfa en 2016 et jamais traduit en cahier des charges publiables. Une fausse piste qui aurait marginalisé les investisseurs privés algériens obligés d’être cooptés par Sonatrach ou Sonelgaz pour être de la partie. Soit. Mais depuis, le retour à la légalité – c’est la CREG qui a la prérogative de lancer les appels d’offres et pas le ministère de l’Energie – la machine grippée depuis le début, l’est toujours.
Le gouvernement a autorisé, en juin dernier, un appel d’offres de la CREG pour 150 MW d’électricité solaire en photovoltaïque. Sa publication, annoncée imminente dès le mois de juillet, est reportée de mois en mois. Entretemps, les privés algériens se sont lancés dans l’assemblage industriel des panneaux PV et commencent à stresser de voir que le programme public de nouvelles capacités en photovoltaïque ne prend toujours pas son envol pour leur offrir le principal débouché à défaut d’une politique d’incitation à l’installation des panneaux chez les particuliers. Lorsqu’il s’agit de l’électricité solaire, les maitres-mots au ministère de l’Energie sont « prendre le temps », « réfléchir », « bien choisir sa filière technique », « faire des économies », « veiller à intégrer les acteurs locaux ».
Le résultat est là. Un quasi statu quo de plus de cinq ans. Plus personne n’évoque sérieusement l’objectif des 22 GW, ni à l’échéance de 2030, ni même à celle de 2040, en vérité. Cette situation a bien sûr une conséquence pratique, car il faudra bien générer 30 GW de capacités électriques supplémentaires d’ici 2030. Elles sont implicitement destinées en bonne partie au gaz de schiste que va exploiter BP- Equinor et bientôt d’autres acteurs mondiaux. Et si cela ne marche pas ? Ce seront les exportations de gaz naturel algériennes qui pallieront le déficit domestique.
La continuité plutôt que la transition
Le positionnement de l’Algérie dans sa politique énergétique n’est pas celui de la transition mais celui de la continuité. Continuité dans le carbone alors que le mouvement de la planète est d’en sortir et de taxer son utilisation pour cause de préjudice au climat. Alors que les réserves en hydrocarbures algériens ne sont plus renouvelées. La courbe de production de l’électricité sur les dix prochaines années est otage du « tout gaz naturel ».
La génération d’électricité par le recours au gaz naturel est en effet captive d’un investissement très controversé, celui en joint-venture avec les Américains de General Electric pour la production de turbines à gaz à Batna. Client obligé, l’actionnaire Sonelgaz pour ses besoins de développement. Il n’y aura pas de place sur le réseau électrique pour des mégawatts solaires en grands volumes les prochaines années car il faudra bien utiliser les turbines de Batna pour faire face à la demande nouvelle en électricité.
L’arrivée dans moins de dix années de volumes de gaz non conventionnels, aujourd’hui politiquement assumée par le gouvernement, complète le dispositif. Le réseau électrique algérien sera alimenté de manière écrasante et durablement par la génération par le gaz. En dépit du discours officiel sur la nécessité de développer l’électricité d’origine renouvelable. Le gaz non-conventionnel palliera le conventionnel à partir de 2030 dans les centrales électriques. C’est la feuille de route cachée du lobby du carbone algérien, incapable d’envisager un avenir en vert. Une feuille de route devenue plus lisible cette semaine.