Wassini Bouazza, quel sens cache la mise sous écrou de l’héritage de Gaïd Salah ? (Analyse) - Maghreb Emergent

Wassini Bouazza, quel sens cache la mise sous écrou de l’héritage de Gaïd Salah ? (Analyse)

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La hiérarchie de l’ANP connaît une tempête de changements et d’interpellations ces derniers jours qui réduisent l’empreinte laissée par son défunt chef, Ahmed Gaïd Salah. Son testament politique va-t-il pour autant être abandonné ?

La  lourde chute cette semaine du général Wassini Bouazza, directeur général de la sécurité intérieure, nommé en avril 2019  par le chef d’Etat-major Ahmed Gaïd Salah, est-elle le premier  tournant symbolique après la disparition, le 23 décembre dernier, de l’homme fort du pays ?  Sans doute oui,  sur l’agenda de la prise de contrôle hiérarchique de l’ANP par le ticket Tebboune – Chengriha alliés de circonstance à la tête du pays depuis le début de cette année. 

Les étapes  accélérées de cette prise de contrôle prennent l’allure d’une brutale « dégaidisation » de la haute hiérarchie de l’ANP. Les cases concernées par la sortie de l’emprise de l’ère Gaïd Salah sont parmi les plus sensibles dans l’organigramme. Le poste du commandant en chef des forces terrestres, celui de la coordination des services de sécurité retirée au général Mohamed Kaidi, ceux de la sécurité extérieure (DDSE) et de la sécurité de l’armée (DCSA) « restitués » à des ressources de la maison DRS, et bien sûr celui de la police politique en charge de la « sécurité intérieure », colonne vertébrale de la domination institutionnelle et opérationnelle de l’ANP sur la vie publique en Algérie. La tempête déclenchée de la colline des Tagarins y est revenue ce jeudi avec l’arrestation annoncée par Algérie-Patriotique, le site d’information de la famille Nezzar et non démentie, ( mise à jour : le MDN a démenti les interpellations sans citer lesquelles ) du général Abdelkader Lachkham directeur central des transmissions au ministère de la Défense nationale, un des plus proches collaborateurs du défunt chef d’Etat-major.

Le thème de l’enquête ouverte contre les généraux interpellés est anecdotique.  En l’absence de transparence et dans ce contexte enflammé de lutte clanique, il n’est pas possible de vérifier la teneur des accusations. Dans tous les cas, la prise de pouvoir du nouvel axe présidence-Etat-major se serait, c’est la règle, dotée d’un argument prétexte, quel qu’il soit pour passer à l’acte. Dans ce cas précis de  « dégaidisation »  l’enquête qui a tout accéléré serait liée à une supposée exfiltration organisée vers les Emirats Arabes Unis  du sous-officier Gharmit Benouira, secrétaire personnel auprès de Gaïd Salah et indu-détenteur de fichiers électroniques pouvant « menacer la sécurité de l’Etat ».

Les généraux Bouazza et Lachkham, mais pas seulement eux, seraient donc accusés d’avoir voulu utiliser à leur profit la banque de données sensibles détenues par le chef d’Etat-major disparu. L’Histoire oubliera sans doute cette péripétie pour ne retenir que la réalité qu’elle brouille : le général Saïd Chengriha a mis quatre mois pour se débarrasser du réseau de pouvoir de son prédécesseur et entrer à son tour dans les habits d’un homme fort de l’armée, donc du pays.

L’ombre encombrante du général Toufik

La sortie  en cours de la chaîne de commandement héritée de l’ère Gaïd Salah n’aurait pas pu se produire sans une alliance entre le chef d’Etat-major par intérim qui lui a succédé et Abdelmadjid Tebboune qui cumule la fonction de président et de ministre de la Défense.

Le général à la retraite Abdelaziz Medjahed a donné une consistance stratégique et opérationnelle à cette alliance depuis qu’il a été nommé le 24 février dernier conseiller du président chargé des questions militaires. Le double parrainage du général Abdelghani Rachedi, nouveau directeur général de la sécurité intérieure, illustre l’alliance de fait présidence-Etat-major pour noircir de manière consensuelle, les cases de l’organigramme post Gaïd Salah.  Saïd Chengriha  a eu sous ses ordres Abdelghani Rachedi  à la 8e brigade blindée, tandis que Abdelaziz Medjahed a apprécié son passage à l’académie de Cherchell.

Le démantèlement de la chaîne de commandement de Ahmed Gaïd Salah dans les services de sécurité pouvait-il s’opérer sans ouvrir la porte à un rétablissement des « professionnels » du DRS, laminé par l’ancien chef d’Etat-major dans sa purge de 2015-2018 ? 

Dans les commentaires des Algériens sur les réseaux sociaux une ombre encombrante plane sur le procès de mise sous écrou de l’héritage Ahmed Gaïd Salah : c’est bien celle du général Mohamed Mediene dit Toufik.  Les deux retours aux responsabilités des Généraux Zemirli (DCSA) et Bouzit (DDSE) diffusent un air de réhabilitation rampante du DRS du général Toufik.

Le général à la retraite Abdelaziz Medjahed n’est, pour sa part, pas réputée hostile, bien au contraire,  à l’action de l’ancien patron du DRS aujourd’hui condamné à 15 ans de prison par le tribunal militaire.

Le sentiment que le réseau de Toufik est en train de prendre sa revanche s’est d’autant renforcé ces dernières semaines que l’agenda opérationnel de la déchéance des généraux Bouazza et Lachkham était annoncé par Algérie Patriotique – les généraux Toufik et Nezzar étant restés proches en dépit de quelques divergences concernant Bouteflika-,  et par le journaliste exilé à Londres Said Bensedira, qui n’a jamais caché son respect pour le général Toufik. 

Ce retour de balancier au profit du réseau d’influence, certes très affaibli mais toujours vivant, de l’ancien patron du DRS de 1990 à 2015, peut-il gêner l’alliance de fait Tebboune-Chengriha ? Le premier n’a pas de raison personnelle de ne pas s’appuyer sur ce réseau afin d’installer son propre pouvoir si peu évident sur les questions politiques depuis son installation. Abdelmadjid Tebboune n’a pas été que l’ami de Ahmed Gaïd Salah. Il a bénéficié, bien auparavant,  de la protection  bienveillante du général Toufik en bien des circonstances durant sa longue carrière de walis et de ministre. Quant à Saïd Chengriha il a fait preuve d’un sens tactique efficace dans sa prise en main des fonctions clés monopolisées par les héritiers de Gaïd Salah, un sens qui peut laisser penser qu’il utilisera sans état d’âme le réseau survivant de Toufik tant qu’il lui sera utile pour consolider la nouvelle hiérarchie – plus clanique que générationnelle –  qui arrive à la tête de l’armée algérienne.

Le sort de Zeghmati en marqueur politique ?

La mise en échec du général Wassini Bouazza et du réseau des hauts officiers dépositaires de la feuille de route de Ahmed Gaïd Salah marque-t-elle aussi un tournant politique dans le traitement du pouvoir de la revendication populaire pour le changement ?  Le point de vue existe dans une partie de la classe politique (MSP, Jil Jadid, Islah, ect …) encline à collaborer avec le nouveau président dans son agenda de réformes politiques, que la ligne dure contre le Hirak était essentiellement conduite par le général Bouazza et ses services. Cela signifie en creux, que le président Tebboune incarnerait une ligne dialoguiste d’ouverture vers le mouvement populaire, jusque là contrariée par la police politique. Rien bien sûr dans le discours et les actes des derniers mois du pensionnaire du palais présidentiel ne corrobore une telle lecture. Cependant, de nombreux commentateurs estiment que c’est dans le très court terme le sort personnel du ministre de la Justice Belkacem Zeghmati qui indiquerait l’existence ou pas d’une intention d’apaisement à l’égard du Hirak populaire, voire d’une inversion de comportement à son égard.

Les oracles de la débâcle du « réseau »  Bouazza-Lachkham ont régulièrement annoncé la chute collatérale de l’ancien procureur général d’Alger. Nommé au poste de ministre en infraction avec la Constitution sous un gouvernement intérimaire de vide présidentiel, Belkacem Zeghmati a « régulé » les dossiers judiciaires au gré des injonctions de Gaïd Salah puis de son dépositaire sécuritaire, le général Bouazza. Son départ, s’il survenait, ne signifierait pas pour autant un changement d’approche dans les dossiers judiciaires des détenus d’opinion dont regorgent les prisons d’Algérie. Pour  cela il faudrait qu’une volonté politique de revenir à l’écoute de la demande populaire pour le changement démocratique existe et s’exprime au sommet de l’Etat.  Aujourd’hui, elle est absente. Et laisse –  jusqu’à nouvel ordre ? – les faits graves de ces derniers jours au sein de l’armée à la rubrique classique des « luttes claniques du pouvoir miliaire ». Le politique attendra.

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