Deux icônes de l’Algérie combattante, Zohra Drif et Djamila Bouhired, se sont retrouvées dans des camps opposés, à cause du quatrième mandat que brigue le président Abdelaziz Bouteflika.
La première, sénatrice, plutôt conciliante avec le pouvoir, la seconde, plus libre, engagée dans des combats à Ghaza et dans d’autres contrées où règne encore l’injustice, ont adopté des attitudes divergentes en vue de l’élection présidentielle. Djamila Bouhired avait affirmé qu’elle s’opposerait à une réélection du président Bouteflika pour un quatrième mandat. Partie célébrer le 8 mars avec les femmes de Ghaza, elle a promis d’adopter une position tranchée à son retour. Ce à quoi Zohra Drif a répliqué, indirectement, pour l’inviter à « aller jusqu’au bout de ses idées ».
Au FLN, c’est une bataille de chiffonniers que se livrent une direction, favorable au quatrième mandat, et des lambeaux du parti, qui suivent d’autres trajectoires. Ali Benflis a emporté avec lui un petit carré de fidèles, qui continuent de le soutenir, pendant que les « redresseurs », autour de Abderrahmane Belayat et Abdelkrim Abada, tentent d’affirmer leur présence, en restant fidèles au vrai patron du parti, le DRS.
Immenses dégâts collatéraux
Au FCE, la coupure est nette. L’organisation phare du patronat algérien n’arrive pas à adopter une position qui lui permette de sauver la face. Elle s’est trouvée contrainte de reporter son assemblée générale à plusieurs reprises. Le président en exercice, Rédha Hamiani, sait que l’intérêt des patrons est de rester collé aux pouvoirs publics. Une attitude popularisée par Issaad Rebrab, première fortune du pays, qui a déclaré que la position naturelle des patrons est de se placer «dans le sillage des pouvoirs publics».
Mais l’état de santé du président Bouteflika constitue un fardeau que certains patrons, très médiatiques, ne peuvent assumer publiquement, car il écorne leur image d’hommes modernes soucieux de s’intégrer à l’économie mondiale. Ils tentent donc de garder une certaine distance. D’autres, plus jeunes, moins introduits dans les réseaux, sont plus portés sur le changement, mais ils ont peu d’influence face aux grosses fortunes très liées à l’entourage immédiat du chef de l’Etat.
Pour tout ce monde, le quatrième mandat a eu un effet dévastateur. C’est un tsunami qui a balayé le pays, emportant ce qui restait des partis et des organisations, y compris les plus dociles. Les pressions sont telles qu’il est impossible de résister. Dans cette débâcle, le RND s’en est sorti indemne, en se libérant de son ancien patron, Ahmed Ouyahia, et en basculant avec armes et bagages, en faveur du quatrième mandat.
Double fracture
La coupure est aussi éthique. Elle donne lieu à des dérives insoupçonnées. Dans les cercles favorables au quatrième mandat, on ne s’arrête plus sur les détails pour soutenir M. Bouteflika. Dans le camp inverse, on a perdu tout sens de la mesure. On n’hésite pas à utiliser des mots blessants, indignes. « Face à un dérapage grave dans le camp du président Bouteflika, l’autre camp, par riposte, a perdu tout sens de la mesure », déplore un homme politique.
La déchirure la plus spectaculaire est cependant cette crise qui a traversé l’armée. Verticalement, avec une fracture entre pro et anti-Bouteflika ; horizontalement ensuite, entre la première génération et celles qui arrivent aux commandes. La première génération, qui comprend moins d’une dizaines de personnes, tient encore les commandes. Elle est plutôt tournée vers le passé, et tente de gérer les anciens équilibres et le poids des années 1990 sur le pays. Les officiers de la nouvelle génération, proches de la soixantaine, sont quant à eux tournés vers l’avenir. Ils tentent de trouver des solutions pour garantir la stabilité durant la prochaine décennie, quand ils seront en première ligne.