« Si vous voulez réussir, pensez à mettre en place une Tunisie positive, » a estimé l’économiste français. Ce qu’il ne dit pas, c’est que ce qu’il propose de bien pertinent ne saurait se réaliser dans les conditions actuelles des rapports internationaux déséquilibrés. Ainsi, la Tunisie ne saurait percer dans l’espace africain sans l’aval de la France dont c’est bien la chasse gardée. De même en francophonie, et tant que ce mouvement est cantonné dans le domaine culturel*.
La poléthique est une politique éthique, où l’impératif catégorique consiste en un comportement moral, rompant avec le dévoiement auquel on est arrivé aujourd’hui de pratique immorale de la politique dans le monde.
On y veille ainsi moins à dire la vérité qu’à mentir et se mentir, se sentant obligé de jouer à la fois la ruse, en incarnant un renard humain, et aussi prendre l’apparence d’un lion, se voulant roi d’une jungle humaine.
On se place de la sorte au-dessus des lois morales, faisant croire à une force quasi divine pour impressionner combien même on n’est, au mieux, qu’un colosse aux pieds d’argile. C’est qu’on est à une époque du retour des idoles !
C’est pour cela que la poléthique s’impose plus que jamais, et ce non seulement aux politiciens, mais aussi et surtout aux penseurs qui sont les inspirateurs des politiques de nos jours. Et on sait l’importance des think tanks et autres officines de réflexion, sans lesquels il n’y a pas de vraie politique ni surtout de bonne gouvernance.
Voici un exemple concret de ce que la pensée politique qui se veut éclairante et qui ne le fait qu’à moitié en ne disant que la moitié de la vérité, taisant l’essentiel, au risque d’embrouiller les esprits. Il s’agit des propos de M. Jacques Attali lors de la conférence économique internationale qu’il a animée sur le thème de l’évolution de l’économie mondiale et de la place de la Tunisie*.
Ainsi, M. Attali dont ni le poids politique ni la valeur des idées ne sont plus à démontrer dit à cette conférence, en présence du chef du gouvernement, M. Youssef Chahed, des choses intéressantes, mais à moitié, n’allant pas au bout de sa logique.
On va le détailler en rappelant ce qu’il a dit et ce qu’il a omis de dire, pourtant aussi important sinon plus que ce qu’il a dit, car il s’agit de sa conséquence logique sinon son propos n’a plus de portée en prise avec la réalité.
Ce qu’a dit M. Attali
M. Attali se fait, après tant d’autres, le chantre de l’esprit positif. Il consiste, pour lui, en « une Tunisie positive, une Tunisie qui travaille pour l’intérêt des générations suivantes ». Et de proposer d’établir « un plan Tunisie 2030 dans lequel vous inscrirez toutes les stratégies et actions devant servir cette fin ».
De quoi serait donc fait ce plan selon l’ex-conseiller du président François Mitterrand? De profiter des atouts du pays, dont son contact direct avec la mer. Il conseille ainsi de se tourner vers la mer devenue un enjeu stratégique, la Tunisie devant offrir des « ports qui relieront, dans le futur, l’Europe à l’Afrique ».
Et c’est l’atout de l’Afrique pour la Tunisie, vers laquelle il importe de se tourner, M. Attali trouvant anormal que la Tunisie ne soit pas membre de la COMESA (ce qui est fait, l’adhésion effective étant prévue en avril prochain) et qu’elle n’ait pas « assez développé sa présence (banques, institutions, compagnie aérienne…) sur un marché de 2 milliards et demi d’habitants dans 30 ans ».
Un autre atout non négligeable de la Tunisie est son appartenance à la francophonie et surtout « au monde arabe dont le potentiel de développement est gigantesque et pour lequel la Tunisie pourrait incarner la volonté de modernité. »
Bien évidemment, M. Attali ne pouvait pas ne pas évoquer la dimension européenne de la Tunisie, notant bien à ce sujet que la Tunisie fait « partie de l’Europe en quelque sorte. Le destin de l’Europe dépend de ce qui se passe en Afrique, et donc de ce qui se passe en Tunisie. » Et d’ajouter, ce qui est la pertinence même « Aider la Tunisie n’est pas un acte altruiste, mais un acte rationnel voire un acte égoïste. Le développement de la Tunisie c’est la condition de maintien de la société occidentale. La Tunisie étant l’un des points de passage pour les immenses potentialités africaines ».
Cela l’a amené à parler de l’expérience tunisienne, affirmant, avec raison, que « si elle réussit, sera un signe d’espoir pour le monde entier. Si elle échoue, ce sera un signe de catastrophe ». Cela l’a amené à parler de l’expérience tunisienne, affirmant que « si elle réussit, sera un signe d’espoir pour le monde entier. Si elle échoue, ce sera un signe de catastrophe ».
Souligner ainsi cette exception Tunisie imposait de noter que la situation actuelle de monde la condamne à l’échec. Or, M. Attali, qui doit en être conscient, n’en dit mot, se limitant à noter que le contexte général de l’économie « est un contexte de très grande croissance potentielle du monde. Si on regarde le monde comme s’il était un seul pays, tous les facteurs de croissance à long terme sont réunis ». Cela est bien vrai, mais impose un rééquilibrage des rapports internationaux.
C’est ce déséquilibre mondial qui est cause et effet de ce que n’omet pas de signaler toutefois M. Attali jugeant le contexte international « incertain où la probabilité de mettre en place un état de droit planétaire est encore difficile à prévoir ».
Ce qui l’amène à insister sur la nécessité pour un pays comme la Tunisie d’avoir la capacité pour « établir un État de droit stable, à connaitre ses atouts (position géographique, histoire, ressources naturelles…) et à être positif »
Ce que n’a pas dit M. Attali
Ce que ne dit pas M. Attali, c’est que ce qu’il propose de bien pertinent ne saurait se réaliser dans les conditions actuelles des rapports internationaux déséquilibrés. Ainsi, la Tunisie ne saurait percer dans l’espace africain sans l’aval de la France dont c’est bien la chasse gardée. De même en francophonie, et tant que ce mouvement est cantonné dans le domaine culturel.
Pareillement, on sait à quel point la dépendance est grande de la Tunisie vis-à-vis de l’Union européenne. M. Attali dit bien, au reste, que notre pays fait presque partie de l’Europe. Il aurait même dû dire qu’elle en fait déjà partie informellement et que cela doit se faire de manière formelle par une adhésion en bonne et due forme, l’Union étant déjà au Maghreb territorialement au travers de ses présides marocains. C’est ainsi et ainsi seulement que le salut de l’Exception qu’est la Tunisie sera assuré.
Pour que les projets dont parle M. Attali puissent voir le jour, il est impératif également d’évoquer ce qu’ils imposent concrètement. Et d’abord la libre circulation humaine qui est un préalable à toute réussite étant donné que c’est l’humain qui est le véritable créateur des richesses.
C’est d’autant plus vrai qu’en notre monde globalisé, rien n’est plus aussi possible qu’avant, en ce sens qu’une politique intérieure n’a nulle chance de voir le jour ni de réussir si elle contrecarre les intérêts des partenaires d’Occident. Ceux-ci peuvent même se permettre de dicter, directement ou indirectement, leurs caprices en prétextant leur aide et en jouant du service de la dette qu’ils contribuent à aggraver.
Aussi, les atouts de la Tunisie ne comptent aujourd’hui que comme des opportunités qui doivent être validées par des actions géostratégiques qui dépassent la seule Tunisie. Ainsi, sa démocratie naissante n’a de chance de se stabiliser et de durer qu’en étant articulée à un système de droit qui marche, l’État de droit européen.
D’où l’adhésion précitée à l’UE qui doit être précédée par une libre circulation humaine dans le cadre d’un espace méditerranéen de démocratie. Ce qui peut se faire aussi bien avec les pays de l’Union européenne qu’au niveau des démocraties de la francophonie, muant alors en espace francophone de démocratie.
Et il y a bien évidemment le gros boulet de la dette qui doit sinon être effacée, du moins gelée dans l’immédiat par un moratoire, car le service de cette dette scélérate empêche la moindre initiative d’innovation économique en Tunisie.
On voit bien à quel point, sans un tel complément indispensable, les propos de M. Attali risquent de rester inefficaces, ne relevant que de la belle théorie, leur manquant l’aspect pratique indispensable. Ce dernier consiste à tenir compte des réalités de notre monde globalisé où c’est d’une solidarité effective que l’on a le plus besoin et non de paroles désincarnées.
Sans une telle assise réelle tangible, nos cogitations ne sont que du beau ramage, d’autant plus trompeur qu’il s’ajoute à un plumage agréable à voir, tout en ignorant ce que supposent les réalités en actes, surtout éthiques qu’imposent la logique et le droit qui plus est.
(*) Nous republions les articles de Farhat Othman, avec son aimable accord. Cet article a été publié initialement sur son blog sous le titre : « Ce qu’a dit et n’a pas dit M. Attali ou l’exigence d’une poléthique ».