Pour Abed Charef, avec l’opposition du gouvernement au rachat d’El Khabar par le patron de Cevital, ce dernier « a une occasion inespérée de se comporter « comme une sorte de mécène, sauvant une entreprise de presse ». Un résultat qu’il a obtenu « sans même se rendre dans une zaouïa ».
Hamid Grine a rendu un énorme service à Issad Rebrab. En lançant une action en justice contre le rachat du groupe El-Khabar par le patron de Cevital, le ministre de la Communication a déclenché une réaction en chaîne qui a permis d’éviter le débat, pourtant nécessaire, sur la liberté d’une presse ballottée entre argent et pouvoir.
Hamid Grine a été si « efficace » qu’il a permis à M. Rebrab de tirer des dividendes inespérés d’une opération de communication qui ne lui a rien coûté et qu’il aurait eu beaucoup de peine à monter.
M. Rebrab a toujours été un patron soucieux de donner de lui-même l’image d’un entrepreneur qui a osé et qui a réussi. Avec le procès intenté par M. Grine, il a une occasion inespérée de se comporter comme une sorte de mécène, sauvant une entreprise de presse et contribuant, à travers elle, à préserver la liberté d’expression et de pensée. Il le fait dans une situation extrêmement favorable car il a, comme adversaire, le pouvoir qui traîne, probablement, l’image la plus négative depuis l’indépendance du pays. Il a, ainsi, obtenu un résultat exceptionnel, sans même se rendre dans une zaouïa ! Mais cette affaire occulte deux débats.
D’un côté, elle élude le débat qui concerne la presse, sa liberté, son organisation, son économie ; une presse engagée depuis un quart de siècle dans une aventure menée sous le thème de l’indépendance. De l’autre côté, le conflit Grine – Rebrab remet au second plan le débat sur la place de l’argent dans le pays, en premier lieu dans la décision politique. C’est d’autant plus inquiétant que le jeu est opaque, avec des acteurs qui avancent cachés, et agissent en dehors de toutes les règles.
Virages
Dans le monde des médias, on peine à se demander comment une affaire El-Khabar est possible en 2016. Pourtant, la presse algérienne a traversé le plus dur, pensait-on : elle a survécu aux années de terrorisme, aux restrictions de toutes sortes, aux pressions et aux mesures de rétorsion.
La crise économique apparaissait comme une aubaine possible pour faire un bond qualitatif, en agissant sur plusieurs leviers. D’abord, aller à une meilleure gestion du secteur, en laissant mourir des titres non viables, pour se recentrer sur les entreprises crédibles ; ensuite, revenir à une gestion plus commerciale et plus équitable de la publicité, en laissant progressivement, le marché réguler offre et demande, en organisant mieux le marché publicitaire; enfin, pousser les médias à prendre les virages nécessaires, avec notamment le numérique et le web, et mettre en place de nouveaux schémas d’organisation et de production de l’information.
Selon les informations disponibles, peu d’entreprises de presse ont investi ces créneaux. Beaucoup ont même copié le pouvoir durant les années grasses, en étoffant les dépenses et les investissements traditionnels. Quand la conjoncture s’est retournée, elles se sont retrouvées avec des charges auxquelles elles ne peuvent faire face.
Seule l’ANEP peut les sauver, en leur assurant une rente hors normes. Problème : l’ANEP appartient au pouvoir, et elle est dirigée par un proche de M. Ali Haddad! En Algérie, on ne peut être contre le pouvoir et bénéficier de sa pub.
La démocratie, ultime issue
M. Ali Haddad symbolise le mieux, aujourd’hui, la proximité de l’argent avec le pouvoir. Il a détrôné M. Rebrab, qui semble vouloir faire un choix différent car, pour lui, rester collé au pouvoir risquait de constituer un handicap. De manière caricaturale, M. Haddad continue à tirer l’essentiel de ses revenus de contrats conclus avec les pouvoirs publics. Sans la commande de l’Etat, il n’existe plus.
A l’inverse, des pans entiers de l’activité de M. Rebrab sont virtuellement autonomes par rapport à l’Etat. Il veut donc voler de ses propres ailes et prendre une autre dimension, en allant à l’international. Mais une telle séparation ne peut, cependant, se faire du jour au lendemain. Encore faut-il trouver une solution aux cadavres cachés dans les placards, et légaliser la situation des enfants illégitimes.
M. Rebrab veut acheter des outils de presse qu’il juge crédibles et les utilise dans sa stratégie économique et, peut-être, politique. M. Haddad n’en est pas encore à ce stade de sophistication. Il place, directement, des hommes à lui là où se trouve l’argent. Tant que les vents sont favorables, il continuera ainsi.
Rien de nouveau donc, sous le soleil. Les forces de l’argent continueront, logiquement, à pousser leurs pions aussi bien pour tenter de contrôler le pouvoir que la presse. Cela fait partie de leur ADN. Il reste au pouvoir algérien, le vrai, à éviter d’être avalé par l’argent et à la presse d’éviter d’abdiquer. Comment penser y arriver sans s’engager dans un processus de démocratisation du pouvoir et de la presse ?