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Comment l’Etat Bouteflika est coincé dans la trappe 1986-1988 et pense en sortir

Par Walid Boudoukha
juin 24, 2016
Comment l’Etat Bouteflika est coincé dans la trappe 1986-1988 et pense en sortir

Il y a maintenant plusieurs années que l’espace de cette chronique soutient une thèse forte. Elle mérite une mise à jour cette semaine.

 

La thèse est familière. Le pouvoir politique algérien ne veille pas à la création maximale de richesse par son économie. Il priorise le contrôle direct – ou par des hommes d’affaires assujettis – de cette création et donc de sa distribution. Quitte à la réduire. En clair, une forte expansion de l’économie n’est pas l’objectif. Il peut même s’apparentait à un risque. Car une économie qui accélère la progression de son PIB hors rente minière, est un champ de changement d’acteurs sociaux.  Cela redistribue les cartes politiques. A l’intérieur du bloc social dominant et entre ce bloc et les couches populaires. Abdelaziz Bouteflika et son entourage en on une conscience aiguisée. Le modèle rentier distributif est donc celui qui convient le mieux à la volonté de contrôle politique perpétué. Comme ce modèle est entré en crise en 1986 et qu’il ne peut plus assurer lui même le seuil minimal de croissance économique en dessous duquel le consensus se brise, un capitalisme de connivence a été encouragé pour prolonger l’instrument de contrôle d’une création de richesse sous-dimensionnée.  Le Forum des chefs d’entreprise, notamment dans sa dernière mouture, incarne cette rénovation du modèle d’avant 1988, en un modèle étatique-privé sélectionné. Du point de vue de ce qui intéresse la chronique d’aujourd’hui, l’optimisation de la création de richesse hors hydrocarbures, ce modèle post guerre civile du capitalisme algérien toujours sous forte dépendance politique est un grand progrès par rapport à celui d’avant 1988.  Paradoxalement il permet au pays de mieux résister à un effondrement effroyable de ses revenus pétroliers. Pour s’en convaincre il faut juste imaginer une économie algérienne formée en 2016 de plusieurs SNVI, Sider, et Enie sur le front de l’industrie et d’un grand monopole ONACO sur celui des importations de produits de premières nécessités. Ce rappel pour dire ceci. Les vraies réponses aux contre choc pétrolier ne sont pas celle qui se contentent de réduire les dépenses. Ce sont celles qui modifient la capacité à créer plus de richesse.  Dans la dépression algérienne de 1986 à 2000 il existe bien sûr plusieurs années d’un terrible ajustement de la demande interne (trop forte) à une offre interne (trop faible). Mais cela ne s’est pas fait sans une réforme de l’offre des biens et des services. La réponse à la crise a permis, avant même l’avènement du FMI et du rééchelonnement, d’élargir le nombre des acteurs de la création de richesse algérienne avec le démantèlement des monopoles publics budgétivores et inefficaces.  La crise a fait changer le modèle économique algérien d’Etatiste à mixte. La volonté de contrôle politique des acteurs de l’économie n’a jamais disparu. Il lui a manqué, durant de longues années, un noyau politique consolidé  aux commandes. Les troisième et quatrième mandat de Abdelaziz Bouteflika ont fournit ce noyau au bloc social dominant et la machine du contrôle de la création de valeur s’est aussitôt emballée. Il est ainsi, progressivement depuis la LFC de 2009, devenu quasi impossible d’investir significativement en Algérie sans être adoubé par ce noyau dur politique.  Cela prend parfois les formes mafieuses de la fin de règne des Benali-Trabelsi en Tunisie. Celle du partage en « Equity » (co-actionnaire). D’autres fois, il s’agit uniquement d’empêcher l’expansion économique hors contrôle politique. Chadli Bendjedid a réformé l‘exigence « Leviatanesque » de contrôle étatique lorsque l’Etat a fait faillite. La réponse à la crise a donc été double, réduire les dépenses par le retour à la vérité des prix et stimuler la création de richesses par … le même retour à la vérité des prix. 

La sentence hebdomadaire de cette chronique est connue. Le gouvernement Bouteflika n’est pas capable de cette réforme qui relance l’offre de biens et de services. Aujourd’hui que le contre choc pétrolier déploie ses effets,il veut ajuster la demande modestement. Sans redistribuer les cartes de la création de l’offre dans le même mouvement. Il est toujours engoncé dans sa priorité stratégique : contrôler la création de la valeur quitte à l’affaiblir.Moins de PIB de source amie plutôt que plus de PIB de source non affiliée. La décision en referee de suspendre la transaction El Khebar –Nesprod illustre de manière caricaturale  l’entretien de cette priorité du contrôle sur celle de la création de richesse. L’énoncé du « nouveau modèle de croissance » par le gouvernement à la tripartite de l’autre semaine, a fait du développement de l’économie des services l’un des moteurs de cette nouvelle croissance. L’industrie des médias en est, avec le tourisme et le divertissement, une des filières dynamique. Elle est plutôt un sinistre prénatal en Algérie. L’énergie déployée par l’administration pour empêcher des consolidations dans le secteur de la presse est un marqueur temporel.  Nous sommes mentalement avant  1988 quand le noyau dur politique du pouvoir pense encore pouvoir se sortir de la crise des revenus tout en maintenant le même niveau de contrôle sur les transactions qui font le marché et la croissance. Le coût de l’erreur traine encore à nos jours. Bouteflika, au sens générique de cet acronyme, pense pouvoir appauvrir le moins possible les algériens, en différant  le plus possible l’ajustement, tout en maintenant un niveau de contrôle intransigeant sur la création des richesses et ses acteurs. C’est bien sûr un risque systémique qu’il fait courir au pays. L’ajustement différé sera plus brutal (voir entretien professeur Nour Meddahi sur Maghreb Emergent),  et le maintient du contrôle politique sur l’investissement est un luxe de futur Etat pauvre.

Les illustrations de l’incapacité du quatrième mandat à lever l’écrou sur l’activité de création de richesse en Algérie sont légions.  La valse hésitation sur l’annulation de la règle sur le 51-49 dans les investissements directs étrangers (IDE) montre à quel point la tare est enkystée dans les organes du  pouvoir. La aussi, il s’agit de l’extension de la priorité de contrôle par l’Etat sur l’élargissement du PIB hors minier en Algérie. Elargie aux acteurs étrangers ? Surtout à leurs partenaires algériens. Tous les indicateurs consolidés sur la période 2009- 2015 montrent pourtant que cette règle a ralentit l’arrivée des investissements étrangers en Algérie par rapport à la période 2002-2008. Aujourd’hui la raréfaction des liquidités en dinars fait que la mobilisation des 49% en capitaux locaux dans chaque IDE est une contrainte financière supplémentaire. En particulier lorsque le partenaire algérien est une entreprise publique, comme cela a été le cas dans une majorité des opérations de ces dernières années (AXA, Renault, Alstom, ect …) .  Renforcer l’offre domestique de biens et de service comme le souhaite le nouveau modèle de croissance impose de faire sauter la règle du 51/49 systématique dans tous les secteurs. Bouteflika ne le veut pas. Il est toujours rivé sur sa priorité stratégique. A laquelle il a l’illusion de pouvoir renoncer par petite touche successive. Un événement, peu médiatisé, a claqué pourtant cette semaine comme le plus alarmant des avertissements. L’Etat a lamentablement échoué dans l’introduction en bourse de la SKAEK, la cimenterie de Ain El Kebira.  La levée de fonds pour une augmentation du capital en bourse d’Alger a tourné court.  A moins du dixième de l’objectif recherché de 19 milliards de dinars.  L’Etat Bouteflika n’a pas la main sur l’évolution de ses propres actifs, de son propre périmètre. Il est déjà paralysé sur son front le plus névralgique, celui de l’activité et de sa valeur. Il est dans la même posture que l’Etat Chadli entre 1986 et 1988. L’Etat Chadli travaillait déjà à la réforme. Au passage d’un capitalisme Etatique à un capitalisme mixte. Celui dont a profité Bouteflika pendant 16 ans. L’Etat Bouteflika ne travaille pas à l’étape suivante. A l’élargissement du cercle des acteurs. Il lui manque une date pour y réfléchir. 1988. 

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