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Comment on m’a révélé la machine à corrompre monégasque d’Unaoil grâce à une annonce dans « Le Figaro »

Par Yacine Temlali
avril 3, 2016
Comment on m’a révélé la machine à corrompre monégasque d’Unaoil grâce à une annonce dans « Le Figaro »

Dans cet article, le journaliste australien Nick McKenzie livre des détails sur le processus d’investigation qui a débouché sur la révélation du scandale mondial Unaoil qui, rappelons-le, touche aussi Sonatrach.

 

 

Le courrier m’avait été envoyé en lettre simple. En le lisant, j’ai eu l’impression de parcourir une page d’un roman de John Le Carré.

Si mon journal et moi voulions révéler au public un scandale de corruption sur des fonds publics, impliquant les plus grands noms du secteur pétrolier, avait écrit l’expéditeur anonyme, je devais faire passer une annonce dans la rubrique « Immobilier » du Figaro en juillet 2015.

Cette annonce devait contenir les mots codés « Monte Christo ».

L’expéditeur ne souhaitait pas dévoiler son identité, mais il voulait peut-être aussi s’assurer que j’étais le genre de journaliste prêt à suivre une piste tout autour du monde. Quelles qu’étaient ses intentions, sa proposition était trop intrigante pour que je n’y prête pas attention.

Ma curiosité avait de plus été piquée par la mention d’une mystérieuse société du nom d’Unaoil, dirigée par la richissime famille Ahsani de la Principauté de Monaco. Les Ahsani appartiennent à l’élite monégasque, ils sont des familiers des familles royales européennes, des cheikhs arabes et des hauts dirigeants des compagnies pétrolières américaines et britanniques.

Avec mon collègue Richard Baker, j’avais écrit quelques lignes sur Unaoil dans un article d’investigation paru en 2013, résultat d’une enquête méticuleuse révélant qu’un groupe australien de premier plan avait apparemment versé d’énormes pots de vin à des responsables haut placés pour remporter des contrats publics au Moyen-Orient.

Nous avancions dans l’article que cette entreprise australienne avait utilisé Unaoil comme intermédiaire et que cette société monégasque était d’une manière ou d’une autre en cheville avec des hauts fonctionnaires et des hommes politiques de premier plan ayant la haute main sur de gigantesques projets pétroliers financés sur fonds publics.

Dès la publication, ces allégations avaient immédiatement été repoussées et démenties par Unaoil, qui les avait qualifiées de pure fiction. En 2014, le patriarche d’Unaoil? le très affable Ata Ahsani, multimillionnaire d’origine iranienne, avait même déclaré sous serment devant la Haute Cour de justice du Royaume-Uni que l’idée qu’Unaoil était une sorte d’arrangeur pour le compte de multinationales dans des versements de dessous de table n’était que pure ineptie.

Mon mystérieux épistolier m’affirmait cependant qu’il avait été impressionné par notre article de 2013. Ses mots laissaient également entendre que nous étions loin d’avoir assez creusé cette histoire.

Mon annonce parut donc dans Le Figaro pendant la dernière semaine de juillet 2015: « AUSTRALIE SIDNEY ‘MONTECHRISTO’: Propriété de luxe, sur terrain de 1000m², maison 850m², 8 chambres. » J’y avais joint une image récupérée sur Internet, montrant la vue imprenable de cette résidence fictive: une photo panoramique à couper le souffle de la baie et de l’opéra de Sydney (quand on vend une fausse maison, autant qu’elle ait une vue majestueuse).

Au cours des mois qui suivirent, mon contact anonyme (à qui j’avais attribué le nom de code « Le Figaro », pour rester dans l’esprit de notre aventure) et moi nous sommes tourné autour. J’ai reçu des textos de faux numéros de portable allemands, ainsi que des appels de lignes téléphoniques espagnoles, qui s’avéraient inexistantes lorsque je tentais de les rappeler.

Cette mystérieuse personne lâcha petit à petit quelques bribes d’informations laissant entendre que des groupes comme Rolls Royce et Halliburton prenaient part à une opération mondiale de corruption qui, au vu du nombre d’entreprises et de pays concernés, dépassait toutes les affaires de pots de vin déjà rendues publiques.

Il ne me manquait que les pièces à conviction. J’avais besoin de rencontrer « Le Figaro » pour obtenir des preuves. Un rendez-vous fut organisé à Paris, au coin d’une rue pavée proche du Louvre. Une heure avant l’heure dite, ma source me fit faux bond. A bout, je fis pression pour organiser une nouvelle rencontre. Cette fois-ci, elle proposa une autre ville européenne. 24 heures plus tard, après un voyage en avion puis en train, une limousine noire me prit en charge pour m’emmener dans un petit restaurant.

Dans un parfait numéro d’incompétence journalistique, je m’étais emmêlé les pinceaux dans les fuseaux horaires, et il ne me restait que 27 minutes pour montrer au « Figaro », au cours du déjeuner, que mes collègues et moi-même étions à la hauteur de la tâche qu’il avait voulu nous confier.

C’était bien trop court. Nous avons échangé sans discontinuer pendant le repas et sur le chemin de l’aéroport. Ma source a même couru à mes côtés alors que je me pressais vers la porte d’embarquement à l’appel de mon nom dans les haut-parleurs.

Donner plus de détails sur ce qui se passa les mois suivants pourrait risquer de lever le voile sur l’identité du  » Figaro » et celles d’autres sources qui me furent ensuite présentées.

Mais les informations que je recherchais arrivèrent tout d’abord avec une lenteur incroyable, puis sous forme de monceaux de données de plus en plus volumineux, et notamment de dizaines de milliers de courriers électroniques internes à Unaoil envoyés entre 2002 et 2012, dont de nombreux avaient été adressés à ses clients internationaux.

Les sources de cette enquête n’ont jamais demandé d’argent. Leur motivation était que certaines des personnalités les plus fortunées et les plus puissantes au sein des milieux gouvernementaux et économiques du monde entier se voient exposées au public pour la corruption dont elles faisaient preuve en toute impunité depuis des années.

« Le Figaro » avait raison. L’affaire dépassait, de très loin, ce que nous avions imaginé en 2013. L’heure est désormais venue d’en dévoiler les tenants et aboutissants. C’est ce que nous avons commencé à faire ce mercredi.

 

 

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