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Comptes HBSC et sachet noir, une curieuse alliance contre l’économie algérienne

Par Yazid Ferhat
mars 19, 2015
Comptes HBSC et sachet noir, une curieuse alliance contre l’économie algérienne

En Algérie, comptes HSBC et sachet noir cohabitent. Paradoxes d’une économie où des bribes de modernité cohabitent avec l’archaïsme le plus primaire.

 

Première séquence : Chakib Khelil est mis en cause en Algérie dans l’affaire Saipem. Un journaliste tente d’enquêter sur les biens détenus par l’ancien ministre de l’Energie aux Etats-Unis, où il vient de se réfugier. Le journaliste prend contact avec un ancien confrère installé à Washington. En quelques minutes, celui-ci apporte de nombreuses réponses. M. Khelil possède deux maisons. Une simple connexion donne les adresses, la valeur des biens en question, la date de leur acquisition, leur mode de financement, etc.

Deuxième séquence : un autre journaliste algérien tente de savoir à qui appartient une entreprise qui venait de décrocher un marché en Algérie. Il souhaite obtenir les documents relatifs au marché et à l’entreprise. Sa démarche est évidemment infructueuse. Tout le monde le regarde de travers. Les gens se méfient, se dérobent, ont peur. Ils ne savent pas de quoi, mais ils ont peur. Des organismes chargés de collecter des informations économiques se ferment à la moindre demande.

Séquence trois : Maghreb Emergent publie une première liste de ressortissants algériens détenteurs de comptes auprès de la banque HBSC en Suisse. Le site a bénéficié de fuites de l’affaire swissleaks, et a réussi à obtenir des informations concernant les 440 algériens ayant déposé 670 millions de dollars auprès de cette banque. Parmi eux, un historique de la bataille d’Alger, Yacef Saadi, un industriel propriétaire de la biscuiterie Bimo, et un homme d’affaires en détention préventive dans le cadre de l’affaire de l’autoroute est-ouest.

Paradis fiscaux en sursis

Que révèlent ces trois affaires ? Elles montrent beaucoup de différences dans les rapports avec l’argent. Aux Etats-Unis, posséder de l’argent est respectable et impose le respect des autres. Tout le système est organisé de manière à permettre aux Américains de gagner plus d’argent, en toute légalité. Afficher sa fortune est une attitude naturelle. Il n’est pas nécessaire de la cacher. Les nouvelles technologies se sont greffées sur ce modèle pour l’améliorer : tout est public, transparent. Le montant des impôts payés par les personnes et les entreprises peut être consulté grâce à un simple clic. Seul le secret bancaire demeure, avec des restrictions imposées par la loi. Cela donne une visibilité exceptionnelle de l’activité économique américaine. C’est le pays où les chiffres sont les plus abondants, les plus réguliers, et les plus proches de la réalité.

En Suisse, on se contente de collecter l’argent des autres pour en tirer profit, tout en se protégeant derrière le secret bancaire. Et c’est précisément ce secret bancaire que les Américains tentent de lever, pour des raisons liées à leur propre sécurité : ils veulent « tracer » l’argent servant à financer des organisations considérées comme hostiles ; ils veulent savoir qui donne des fonds, à qui, en passant par quel réseau et par quelle place financière. Cela les a amenés à s’attaquer à leurs propres paradis fiscaux, qu’ils hésitent encore à démanteler : eux aussi en ont besoin pour faire transiter de l’argent inavouable au profit d’alliés encore plus inavouables.

En Algérie, on en est encore à une étape préhistorique de l’économie, celle de l’opacité organisée pour cacher la rapine et la fuite de capitaux. Des Algériens fortunés, mais gagnés par l’incertitude concernant l’avenir du pays, transfèrent une partie de leurs biens à l’étranger. Ces gens sont devenus aujourd’hui des victimes collatérales d’une évolution inattendue. Une nouvelle politique occidentale, alliée aux nouvelles technologies, est en train d’imposer un nouveau modèle financier, mieux adapté aux besoins de sécurité des pays occidentaux.

Nouveau modèle

En Algérie, on sent vaguement les prémices de ce nouveau modèle. C’est un mouvement gigantesque qui a déferlé sur le monde, mais l’Algérie est restée à la marge. Le paiement électronique ne s’est toujours pas imposé. Même le chèque reste l’exception dans les transactions entre particuliers, battu par cette horrible invention que fut le sachet noir.

En publiant la liste HSBC, Maghreb Emergent a révélé ce décalage entre l’Algérie et le reste du monde: un média modeste, collé au mouvement de mondialisation, a obtenu des informations sur un pan, le moins avouable peut-être, de l’économie algérienne. Il a mis le curser là où il devrait être : montrer à quel point l’Algérie est décalée par rapport au monde moderne. C’est un pays qui, dans son organisation générale de l’économie, reste à la préhistoire de la finance. Ce qui n’empêche pas certains acteurs d’en tirer pleinement profit, en utilisant cette opacité et cette apparente désorganisation pour faire fuir des capitaux à un rythme gigantesque.

Faut-il le rappeler ? L’affaire swissleaks concerne l’argent déposé à un moment donné (il y a près de dix ans), auprès d’une seule banque, dans un seul pays. Que se passera-t-il si jamais « l’empire » décide de donner la liste de tous les déposants, dans toutes les banques, dans tous les pays ? Mais rassurez-vous, cela n’arrivera jamais. L’empire gardera pour lui-même une somme d’informations aussi précieuses. En Algérie, il faudra se contenter d’un résultat plus modeste : connaitre, en accédant au site de l’administration des impôts, les bénéfices réalisés par les entreprises de M. Ali Hadad.

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