L’année 2021 est l’année de tous les dangers, de vives tensions sociales qui risquent d’avoir un impact sécuritaire, avec l’accélération du processus inflationniste qui induira la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité de la population algérienne avec une économie en léthargie, une incohérence de la politique socio économique et des discours de certains responsables déconnectés de la réalité qui croient vendre des utopies. Cette situation ne peut que conduire le pays au FMI courant 2022, rendant urgent une nouvelle politique et un sursaut national, car toute détérioration économique aura un impact négatif sur le sécuritaire et les réformes politiques annoncées.
Fin 2020, 98% des exportations proviennent toujours des hydrocarbures en incluant les dérivées et malgré toutes les restrictions le déficit de la balance commerciale, non pas la balance des paiements, montant auquel il faut ajouter les sorties de devises des services, de fin 2020 s’est élevé à 10,6 milliards de dollars, avec une exportation hors hydrocarbures n’ayant pas dépassé un milliard de dollars.
Dans une économie de marché concurrentielle structurée dominée par un appareil productif performant,(élasticité des facteurs de production pour reprendre le jargon des économistes) toute dévaluation d’une monnaie, à terme, permet la dynamisation des exportations. Or en Algérie le dérapage du dinar de 5 dinars un dollar en 1970 à 132 dinars un dollar en janvier 2021 a produit l’effet contraire montrant que le blocage est d’ordre systémique et que les mesures monétaires sans les synchroniser à la sphère réelle auront des effets pervers, contredisant les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation devrait dynamiser les exportations.
1.Le gouvernement actuel projette dans le PLF2021 non pas une amélioration de la cotation du dinar mais une amplification de sa dévaluation, entre 2021/2023 ce qui suppose pas d’amélioration de la situation socio économique. Pour 2023 le PLF 2021 prévoit environ 185 dinars un euro et 156 dinars pour un dollar et en prenant un écart de 50% par rapport au marché parallèle nous aurons environ 300 dinars un euro contre 210 dinars un euro début janvier 2021 alors que les frontières sont toujours fermées et sous réserve de la maîtrise de l’inflation sinon l’écart serait plus important.
La cotation du dinar est passée en 1970, à 4,94 dinars un dollar, en 1980 à 5,03 dinars un dollar, en 1990: à 12,02 dinars un dollar, en 1995 à 47,68 dinars un dollar, en 1999 : 66,64 dinars un dollar -2001 : 77,26 dinars un dollar 69,20 dinars un euro : -2005, 73,36 dinars un dollar, 91,32 dinars un euro : – 2010, 74,31 dinars un dollar et 103,49 dinars un euro : -2015, 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro : -2016 :100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro : -2017 : 110,96 dinars un dollar et 125,31 dinars un euro : – 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro : -2019 :119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro :-14 janvier 2021 à 132,7718 dinars et 161,1319 dinars un euro.
Pour le PLF2021 : 142 dinars pour un dollar en 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023. Le PLF2021 prévoit les dépenses budgétaires (dépenses de fonctionnement et d’équipement) qui se situent à environ 64,98 milliards de dollars au cours de 128 dinars un dollar au moment de l’établissement de la loi tandis que les recettes fiscales globales (ordinaires et pétrolières) sont estimées à 41,62 milliards de dollars, soit un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB.
La banque d’Algérie procède au dérapage du dinar par rapport au dollar et à l’euro ce qui permet d’augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures (reconversion des exportation hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements, matières premières, biens finaux), montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité.
Pour le directeur général du commerce extérieur, au niveau du ministère du Commerce, en date du 14/01/2021, le déficit de la balance commerciale fin 2020 s’est établi à 10,6 milliards de dollars; le volume des importations algériennes a enregistré une baisse atteignant les 18%, pour s’établir à 34,4 milliards de dollars et les exportations ont enregistré une diminution de 33% pour s’établir à 23,8 milliards.
Le document significatif étant la balance de paiement et non la balance commerciale incluant les sorties de devises des services qui se sont établies ces dernières années entre 10/11 milliards de dollars. Si on prend la moitié environ 5,5 milliards de dollars, les sorties de devises en 2020 se seraient établies à environ 40 milliards de dollars. En attendant que le ministre des finances donne l’information sur le niveau des réserves de change fin 2020 certainement en dessous des 50 milliards de dollars, ce dernier a annoncé récemment une baisse de 8 milliards de dollars des importations mais qui n’est pas due à une bonne gestion, une lutte contre les surfacturations, mais à une réduction drastique des importations sans ciblage qui ont paralysé tout l’appareil de production.
2.Il faut cerner les causes essentielles de la distorsion entre la valeur officielle du dinar et celle du le marché, de s’attaquer à l’essence du mal et non aux apparences où je recense sept raisons en précisant que le cours sur le marché parallèle serait beaucoup plus élevé qu’actuellement en cas de retour à la normale de l’économie mondiale.
Premièrement, l’écart qui s’explique par la faiblesse de la production et la productivité, l’injection de monnaie sans contreparties productives engendrant le niveau de l’inflation. A cela s’ajoute, la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance moyen malgré une recette en devises ayant dépassé les 1000 milliards de dollars et une importation de biens et services en devises ayant dépassé les 935 milliards de dollars sans compter les dépenses internes en dinars entre 2000/2019, en moyenne 8/3% alors qu’il aurait dû dépasser les 8/10% : mauvaise gestion et corruption. Pour 2020 la croissance sera négative moins 5% donc un accroissement du taux de chômage qui a du dépasser les 15% .
Deuxièmement, l’écart s’explique aussi, par la diminution de l’offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne localement et à l’étranger qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie, montrant clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration. Ces montants fonctionnant comme des vases communicants entre l’étranger et l’Algérie, renforcent l’offre. L’épidémie du coronavirus, l’emprisonnement des oligarques rentiers qui ont des fortunes colossales à l’étranger difficilement récupérables car placés par des prêtes noms, en bons anonymes ou dans des paradis fiscaux, la faible allocation devises et le dérapage du dinar officiel ont ralenti ces transferts qui avec le retour à la normale selon la loi de l’offre et de la demande amplifiera l’écart entre le cours officiel et celui du marché parallèle.
Troisièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent (touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis) du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Mais avant l’épidémie du coronavirus, les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent elles aussi aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie. Quatrièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle selon la banque d’Algérie 33%de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés; fruits/légumes, de la viande rouge/blanche, marché du poisson, et à travers l’importation utilisant des petits revendeurs pour des produits à fortes demandes et pour suppléer à la faiblesse de l’offre. Dans une conjoncture politique et économique instable, où même un ex chef de gouvernement reconnait l’avoir utilisé pour écouler les lingots d’or, sans retour à la confiance, la stabilité juridique et monétaire, il est illusoire de canaliser l’épargne de cette sphère où le taux d’intérêt ou le taux de profit est de loin inférieur aux actes spéculatifs qui peuvent ramener un gain monétaire largement supérieur et sans risques. Dans ce cadre, après un tapage publicitaire de plusieurs mois, le ministre des finances doit informer l’opinion publique sur le montant de l’épargne via la finance islamique à travers les nombreux guichets de certaines banques publiques installés au niveau territoire national.
Cinquièmement, l’écart s’explique par le passage du Remdoc au Credoc, instauré en 2009, a pénalisé les petites et moyennes entreprises et n’a pas permis de juguler comme cela était prévu la hausse des importations qui ont doublé depuis 2009, tout en renforçant les tendances des monopoleurs importateurs. Pour éviter les ruptures d’approvisionnement du fait de la faiblesse de l’allocation de vises pour exploitation, bon nombre d’opérateurs recourent au marché informel.
Sixièmement, beaucoup d’algériens et d’étrangers, avant la fermeture des frontières utilisaient le marché parallèle, pour le transfert de devises, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant, assistant certainement, du fait de la méfiance, à une importante fuite de capitaux de ceux qui possèdent de grosses fortunes.
Septièmement, pour se prémunir contre l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. En effet, beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, achètent les devises sur le marché informel. Dans ce contexte d’incertitude, avec des banques déstructurées qui croulent sous le poids des créances douteuses et la majorité des entreprises publiques structurellement déficitaires ,avec des comptabilités défectueuses, il est illusoire de vouloir opérer ’ la privatisation partielle avec de surcroit une bourse d’Alger en léthargie où l’on a construit un stade sans de véritables joueurs.
3.- Toute Nation ne peut distribuer que de ce qu’elle a préalablement produit quitte à aller vers la dérive politique, sociale et économique où avec la pression démographique, plus de 50 millions d’habitants en 2030, l’on devra devant créer entre 350.000/400.000 emplois par an, non par décrets qui s’ajoute aux taux de chômage actuel. Il faut éviter les utopies comme cette annonce d’un haut responsable le 12/01/2021, de vouloir, avec une crise économique aigue, de créer un à deux millions d’entreprises en 2021 soit pour 10 emplois par entreprises entre 10/20 millions d’emplois, étant une aberration mais par des entreprises innovantes dictées par la logique du marché local e international, nécessitant un taux de croissance annuel entre 2021/2030 de 8/9% par an qui s’ajoute aux taux de chômage actuel. A court terme, cette croissance est ralentie par la baisse des prix des hydrocarbures, pas seulement le pétrole mais le gaz naturel, 33% de ses recettes, qui constituent sa principale entrée en devises , influant sur le niveau des réserves de change. A un niveau de 10/15 milliards de dollars, sans dynamisation de l’appareil productif, la banque d’Algérie serait contrainte de dévaluer le dinar à plus de 200/220 dinars un euro début 2022 avec un cours sur le marché parallèle d’environ 300 dinars un euro. Cela induira forcément, combiné avec la dévaluation du dinar une inflation importante pour tous les produits importés biens de consommation, biens intermédiaires et équipements, l’ONS. Ainsi le prix des légumes secs importés, des pièces de voitures, les ordinateurs et les composants depuis début janvier 2021 ont connu une hausse entre 20/40% selon les produits. Pour les importations de voitures, si on achète à 100 euros arrivé au port d’Alger, le prix sera multiplié par 160/170 dinars un euro , plus les droits et taxes appliqués à la partie dinar plus la marge du concessionnaire, donc un prix au consommateur très élevé et qui sera fonction de la marque et du gabarit et de la structuration du pouvoir d’achat. Ainsi, malgré les subventions de certains produits, la majorité des produits connaissent une hausse vertigineuse ayant un impact sur le pouvoir d’achat des Algériens. Car, s’agissant d’un problème aussi complexe que celui de l’inflation, il me semble utile de préciser qu’une analyse objective doit tenir compte de la structure et des particularités de l’économie à laquelle ils sont appliqués, les aspects de structures de l’économie internationale, de l’économie interne, résultant de l’option de la stratégie de développement économique, aux schémas de consommation générés en son sein pour des raisons historiques, d’influences socioculturelles et aux composantes des différentes forces sociales pour s’approprier une fraction du revenu national. L’indice global de l’inflation doit être régulièrement réactualisé car le besoin est historiquement daté, les besoins évoluant, cet indice étant biaisé, devant l’éclater par produits selon le modèle de consommation par couches sociales (fonction de la stratification du revenu national) et surcroît comprimé artificiellement par les subventions sinon il dépasserait les 10%. La perception de l’inflation est différente d’une personne qui perçoit 200 euros par mois de celle qui perçoit 5.000 euros ou plus n’ayant pas le même modèle de consommation. Un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales. Aussi, une interrogation s’impose : comment est-ce qu’un Algérien, qui vit au SNMG, (moins de 200 euros par mois fait face aux dépenses incontournables : alimentation, transport, santé, éducation. Le travail au noir (sphère informelle) de certaines catégories, de la sphère réelle après les heures de travail, parfois la petite corruption de ceux qui détiennent certains segment sud pouvoir économique au niveau local, la cellule familiale, paradoxalement, la crise du logement (même marmite, même charges) et les subventions et transferts sociaux mal ciblées et mal gérés jouent temporairement et imparfaitement comme tampon social. L’inflation joue comme vecteur de redistribution et de concentration du revenu national au profit des revenus variables et pénalise les revenus fixes. Nous sommes dans un cercle vicieux : l’inflation accélère les revendications sociales pour une augmentation des salaires qui à leur tour en cas de non productivité accélère l’inflation. Comme la détérioration du pouvoir d’achat accroît soit l’endettement des ménages ou accélère la déthésaurisation des ménages notamment les couches moyennes qui se paupérisent en la mettant en circulation leur épargne , ils gonflent la masse monétaire en circulation accélérant, en cas de rigidité de l’offre, le processus inflationniste. Lorsque l’Etat a les moyens financiers, l’importation de produits subventionnés joue comme tampon transitoire. Qu’en sera t-il avec l’éclatement de la cellule familiale et en cas de chute du cours des hydrocarbures ne pouvant plus subventionner, un couple avec deux enfants devant percevoir minimum entre 50.000/60.000 dinars/mois net pour uniquement substituer sans paiement de loyers, ni voitures, ni téléphone ? Le processus inflationniste est amplifié par les tendances monopolistiques tant au niveau commerce extérieur qu’au niveau interne où les circuits entre le producteur et le consommateur (les grossistes informels) ont tendance à se rallonger, la marge commerciale pouvant représenter 2 à 3 fois le prix de production (surtout dans le domaine agricole), ce qui ne peut que décourager le producteur immédiat et l’orienter vers des activités spéculatives. Ainsi, la politique bureaucratique autoritaire d’encadrement des prix s’avère d’une efficacité limitée, sinon il faudrait des milliers de contrôleurs, ne résolvant d’ailleurs pas le problème dans la mesure où le contrôle des prix repose sur le détaillant qui ne fait souvent que répercuter ces surcoûts de distribution alors que s’impose un nouveau système de régulation transparent..
En résumé, l’Algérie, pays à fortes potentialités, est à la croisée des chemins, n’ayant pas besoin de louanges de la part de certains responsables, même comportements que par le passé où on idolâtrait un tableau, mais des résultats sur le terrain, étant confrontée à des défis importants surmontables, entre 2021/2030, posés par les enjeux géostratégiques, les politiques hasardeuses du passé, mais depuis le début 2020, un impact mitigé de l’action gouvernementale mis en relief par le président de la république. L’urgence est de mettre fin au manque de visibilité et une organisation institutionnelle ministérielle pléthorique (41 ministres), ce qui réduit l’efficacité et la cohérence, des institutions en berne comme la cour des comptes, le conseil national de l’énergie, le conseil national de la concurrence, le conseil économique et social et en plus frappé par l’épidémie du coronavirus qui paralyse l’économie. Les défis futurs, pour se projeter sur l’avenir, impose une nouvelle gouvernance reposant sur plus de MORALE afin de rétablir la confiance, de s’éloigner des aléas de la mentalité rentière, de réhabiliter le travail et l’intelligence, de rassembler tous ses enfants, évitant la division sur des sujets secondaires, tout en respectant toutes les sensibilités, par un discours de tolérance. Il y va de la sécurité nationale.
Dr Abderrahmane MEBTOUL Professeur des universités, expert international
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