La scène médiatique connait depuis plusieurs semaines une suite d’évènements qui confirment, malheureusement, les appréhensions nourries jusqu’ici sur les réelles intentions des tenants du pouvoir quant aux droits démocratiques et sa conception restrictive des libertés. Les intimidations et menaces à l’égard des médias prennent désormais des formes de plus en plus affirmées qui augurent de lendemains sombres pour la liberté d’expression en général et la liberté de la presse en particulier, à contresens des aspirations des Algériens qui poursuivent admirablement leur lutte pacifique et résolue pour débarrasser le pays d’un système s’obstinant dangereusement à assumer sa vocation autoritaire.
Le contrôle sur les médias publics ne s’encombre plus de formes et s’affiche sans nuances comme un mode de gestion immuable mettant au service exclusifs du discours du pouvoir, télévisions, radios et publications de la presse écrite. La courageuse revendication de changement portée par un collectif professionnel de la Télévision publique est accueillie par une série de sanctions administratives et autres sournoises représailles visant à neutraliser les animateurs de ce mouvement et à dissuader toute possibilité d’engagement et de solidarité de la part de leurs collègues. Des journalistes et animateurs de la Radio publique se battent également pour repousser les limites à leur droit à informer.
La presse électronique qui, malgré un assidu travail de parasitages et de manipulation des officines du système, a su se faire une place sur la scène médiatique nationale tout au long de ces dernières années, subit pour sa part une nouvelle charge visant à la museler en ces moments cruciaux que vit l’Algérie et ou le citoyen a droit d’être informé. Des sites électroniques ont ainsi vu leur accès bloqués dans le pays, sans aucune forme d’explication de la part des autorités chargées de la gestion des flux web, ou des institutions censées veiller à la régulation du secteur de la communication.
La presse écrite, déjà confrontée à la crise systémique de son modèle économique -grandement provoquée par une stratégie du pouvoir ayant de tout temps limité les marges de son autonomie et programmé sa vulnérabilité- se retrouve à lutter pour sa survie et à résister au chantage qui lui est imposé. Le monopole sur le marché publicitaire, via l’Agence nationale d’Edition et de Publication (ANEP), est non seulement maintenu mais ouvertement orienté pour achever de condamner à l’asphyxie financière des entreprises de presse par ailleurs livrées à la concurrence déloyale et à la « pollution », orchestrée de longue date, du marché de l’édition. A cela s’ajoute depuis peu, et selon les témoignages de nombreux journalistes, des intimidations systématiques, voire menaces, réagissant ponctuellement à tout contenu éditorial critique à l’égard des tenants du pouvoir.
Des collectifs sont par ailleurs brutalement livrés à la précarité, comme l’illustre le cas des travailleurs du Groupe Media Temps Nouveau qui sont menacés dans leurs emplois.
Le Forum des Journalistes libres (FJL) s’élève contre ce qui s’apparente à une entreprise déterminée à museler l’expression libre et à faire disparaitre les quelques supports médiatiques qui continuent à assurer, aujourd’hui au prix de leur viabilité économique, leur vocation d’informer objectivement et d’assumer leur responsabilité d’éclairer l’opinion, notamment en ces moments décisifs où le pays négocie le virage délicat du changement. Il salue et soutient par ailleurs toutes les initiatives de collectifs professionnels visant à organiser la résistance contre les menées funestes des tenants de la pensée et l’expression unique et se déclare partie prenante de toute action concertée pour défendre les libertés médiatiques.
Le FJL dénonce d’autre part le scandaleux chantage institutionnalisé exercé par l’ANEP et appelle à la levée du monopole sur la publicité, par lequel le pouvoir en place continue à exercer sa tutelle sur les consciences et son mépris pour les règles économiques.
Enfin, le FJL, qui rappelle que la Liberté de la presse est un vecteur essentiel de développement social et une exigence de la vie démocratique, prend à témoin l’opinion sur les dépassements en cours et interpelle toute la société sur la nécessité d’organiser la solidarité entre tous ses segments acquis aux valeurs démocratiques et engagés dans la lutte contre l’autoritarisme.
Forum des Journalistes Libres
Alger : le 23 juin 2019