Pour analyser les blocages en Afrique, on ne peut isoler les facteurs économiques des facteurs politiques. Le rapport conjoint BAD-GFI diffusé le 29 mai 2013 met en relief le fait que l’Afrique a pâti de sorties nettes de fonds de l’ordre de 597 milliards de dollars à 1 400 milliards de dollars, entre 1980 et 2009.
Pékin ayant accueilli le premier Focac en 2006, le deuxième sommet de coopération Chine-Afrique (Focac), le premier à se tenir sur le continent africain. Il se déroulera les 05 et 06 décembre 2015 en Afrique du Sud regroupant les dirigeants africains et chinois dont le premier ministre algérien Abdelmalek SELLAL représentant le président de la république. Il devrait annoncer une série contrats malgré le ralentissement récent des investissements chinois en Afrique de plus de 40% au cours des six premiers mois de 2015, par rapport à la même période en 2014. Le commerce entre la Chine et l’Afrique a augmenté de 5,9 % en base annuelle pour atteindre 210,2 milliards de dollars en 2013, selon les chiffres publiés mardi par la Chambre du commerce international de la Chine. Les exportations chinoises vers l’Afrique ont totalisé 92,8 milliards de dollars, en hausse de 8,8 %, tandis que les importations en provenance de l’Afrique ont atteint 117,4 milliards de dollars, en augmentation de 3,8 %. Fin 2013, on recensait plus de 2 000 sociétés chinoises établies en Afrique, impliquées dans des secteurs tels que l’agriculture, les infrastructures, la fabrication, l’exploitation de ressources, les finances, le commerce et la logistique.
1.-La Chine est l’une des plus anciennes civilisations, le troisième pays le plus grand du monde après la Russie et le Canada. La Chine avec une frontière terrestre de 22.117 km est située au centre de l’Asie et possède 14 pays voisins : le Vietnam, le Laos, la Birmanie, l’Inde, le Bhoutan, le Népal, le Pakistan, l’Afghanistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, le Kazakhstan, la Russie, la Mongolie, et la Corée du Nord. La Chine possède également des frontières maritimes avec la Corée du Sud, le Japon et les Philippines. La population est estimée en 2014 à 1,368 milliard d’habitants avec une densité de 143 hab/km² avec pourtant une faible croissance démographique de 0,5% selon la banque mondiale mais avec un accroissement du niveau de vie 75 ans et un très fort taux d’alphabétisation de 95%. 2.- La Chine est le deuxième pays au monde par son produit intérieur brut PIB derrière les USA, 11285 milliards de dollars pour une population de plus d’un milliard d’habitants derrière les USA avec 18287 milliards de dollars mais pour une population de 360 millions d’habitants, loin devant le Japon (4882), l’Allemagne(3909) le Royaume Uni(3003) et la France (2935 milliards de dollars). Le secteur public continue à tenir une importante place dans la vie économique mais les entreprises privées y jouent un rôle croissant, le pays s’étant fortement intégré dans le système économique mondial. Symbole de l’ouverture sur le marché mondial, la Chine est devenue membre de l’OMC en 2001 avec des entreprises concurrentielles dans de nombreux secteurs (énergie, électronique, ferroviaire, solaire, éolien par exemple). La Chine utilise ses atouts économiques pour jouer un rôle stratégique au niveau régional et mondial montrant que la diplomatie d’un pays en ce XXIème siècle est surtout fonction de sa puissance économique et non de ressources naturelles fussent –elles les hydrocarbures car éphémères. Ainsi, la Chine a renforcé son rôle dans le processus d’intégration régionale en Asie, avec une double volonté de structurer et de stabiliser son environnement. Elle s’est pleinement intégrée aux organes multilatéraux de coopération en Asie, notamment l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), l’ASEAN+3 (Association des nations de l’Asie du Sud-Est + Chine, Japon et Corée du Sud). Un accord de libre-échange entre la Chine et l’ASEAN est entré en vigueur début 2010. Dans le champ politico-militaire, la Chine a initié en 2001 la création de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai), qui regroupe la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Dans ce cadre régional voire mondial sur le plan économique, la création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB)», cette nouvelle banque créée en octobre à l’initiative de la Chine, Londres, Paris, Berlin et Rome annoncent leur intention de devenir membres fondateurs. Encore que pour Washington, cette nouvelle institution vise directement à concurrencer la Banque mondiale, largement vue comme un vecteur de l’influence américaine dans les pays émergents ou la Banque asiatique de développement (BAD) «pilotée» par le Japon traduisant une partie d’échecs financière à l’échelle planétaire. Cependant les derniers indicateurs économiques de 2015 sont inquiétants notamment les indices PMI manufacturiers et des services publiés, qui attestent d’un fléchissement économique et renforcent l’idée d’un coup de pouce monétaire pour empêcher un ralentissement encore plus marqué.
2.- Confrontée au ralentissement du marché immobilier mais aussi des échanges commerciaux et des investissements, la Chine s’achemine en 2016 vers une croissance de 7% soit la plus faible depuis vingt-cinq ans. La population active du pays compte 800 millions de personnes, l’agriculture occupant 33,6% de la main d’œuvre en 2012 avec 10% du PIB et l’industrie emploie environ 30,3% de la population active, avec près de 47 % du PIB. Car l’objectif est de lutter contre l’inflation et le chômage. Certes, le taux d’inflation est relativement maîtrisé, 2,9% en 2014, selon le FMI et de 1,5% selon les autorités chinoises, la baisse de la croissance de l’économie chinoise sur l’année écoulée et la baisse des prix de l’énergie sont les principaux facteurs d’explication de cette faible inflation. Le cours du yuan accroît les tensions avec l’Europe et les USA qui reproche à la chine une sous évaluation de sa monnaie pour dumper les exportations a été coté en avril 2015 est de 6,195 pour un dollar. Quant au taux de chômage en Chine, il faut un taux de croissance au minimum de 9/10% pour qu’il ne s’accroisse pas. Il est officiellement de 4,1%, un chiffre que bon nombre d’observateurs considèrent comme peu fiable étant donné qu’il n’a pas beaucoup varié ces dernières années, y compris en période de ralentissement prononcé. Une étude du Wall Street Journal montre que le taux de chômage réel en Chine est le double du niveau officiel annoncé, soit 8%. Aussi le gouvernement chinois s’il venait à augmenter, serait contraint de ralentir le rythme des réformes et d’intervenir en injectant de nouveau de l’argent dans l’économie, comme il l’a fait en 2008 avec un plan de relance de 4.000 milliards de yuans (495 milliards d’euros). Encore que le fort excédent commercial provoqué par les exportations industrielles a permis au pays de se constituer de grandes réserves de change pour faire face à la situation. Bien que les réserves en devises étrangères de la Chine, ont plus que quadruplé depuis 2005, du fait de ce ralentissement a connu une baisse de ses réserves de change au quatrième trimestre 2014 en dépit d’un excédent de sa balance courante toujours confortable, ce qui reflète une poursuite des sorties de capitaux dans un contexte de ralentissement de la croissance pour s’établir, selon les données de la Banque populaire de Chine, à 3.820 milliards de dollars fin 2014. C’est que la PBOC injecte des yuans dans l’économie tandis qu’elle place une partie de ses devises en bons du Trésor américains, en dette souveraine d’autres Etats, utilisant également une partie de ces réserves pour investir dans des entreprises à l’étranger à travers son principal fonds souverain, le CIC. Je précise que depuis février 2015 , le Japon a remplacé la Chine pour devenir le premier détenteur de bons du trésor américain, selon le département d’Etat américain avec 1.224,4 milliards de dollars et la Chine à 1.223,7 milliards de dollars, s’inquiétant d’ailleurs des retraits où la somme des parts étrangères est descendue à 6.163 milliards de dollars en février 2015 contre 6.219 milliards de dollars en janvier 2015. Cependant, la population reste relativement pauvre car il faut relativiser, non voir le PIB en valeur absolu mais le diviser par la population totale : en parité de pouvoir d’achat, on évalue le PIB par habitant en 2013 à 9 800 dollars par habitant, ce qui place la Chine au 121e rang mondial. Le pays demeure toutefois marqué par des déséquilibres tant spatiaux que socio-processionnels importants : écarts de revenus entre les habitants qui expliquent les révoltes récentes pour accroître le revenu minimum ; problèmes environnementaux importants (pollution de l’eau, de l’air, des sols) ; modèle de croissance qui continue de reposer fortement sur l’investissement, au détriment de la demande des ménages. Du point de vue du déséquilibre spatial, la côte est le cœur économique du pays avec notamment Changhai, Hong Kong et Macao qui concentrent la production de richesse aux dépens des provinces de l’ouest, restées très rurales et présentant un important retard de développement.
3. Quant à l’Afrique, c’est un continent à fortes potentialités et un enjeu du XXIe siècle. Les pays constituant l’Afrique par zones sont: a-Afrique du Nord – Algérie – Égypte – Libye – Maroc – Tunisie. b – Afrique occidentale – Bénin – Burkina Faso – Côte d’Ivoire – Ghana – Guinée Bissau – Libéria – Mali – Mauritanie – Nigeria – Sénégal – Togo. c – Afrique centrale – Burundi – Cameroun – République centrafricaine – République démocratique du Congo – Guinée équatoriale – Rwanda – Tchad. d – Afrique orientale – Djibouti – Erythrée – Ethiopie – Kenya – Ouganda – Soudan – Tanzanie. e – Afrique australe et océan indien – Afrique du Sud – Madagascar – Malawi – Maurice – Zambie. – Zimbabwe. L’Afrique couvre 30,353 millions de km2. La population est passée de 966 millions d’habitants en 2009 à 1 075 millions, mais sept pays regroupent 51% de la population. En 2020, la population africaine devrait passer à 1,3 milliard et à 2 milliards en 2040. Mais, il existe non pas une Afrique mais des Afriques. Certains pays notamment le Nigeria, le Gabon, le Tchad, la République démocratique du Congo, l’Algérie, la Libye sont spécialisés dans le pétrole, le gaz et les matières premières, qui connaissent une forte demande et un prix élevé sur le marché mondial leur permettant une relative aisance financière mais artificielle en fonction des cours mondiaux et donc de la croissance de l’économie mondiale notamment des pays développés et émergents. A l’inverse, des pays comme le Bénin, le Malawi, l’Ile Maurice, le Swaziland, l’Ethiopie, le Togo, le Mali, sont pénalisés dans des produits qui connaissent souvent une détérioration en termes d’échange. La misère, la famine et souvent des conflits internes et externes où le budget des dépenses militaires en Afrique dépasse l’entendement humain au détriment de l’allocation des ressources à des fins de développement. Aussi, malgré cette diversité et ses importantes potentialités, l’Afrique est marginalisée au sein tant du produit intérieur mondial que du commerce mondial. Selon l’IRES de Paris, l’Afrique représente seulement 1,5% du PIB mondial, 2% du commerce mondial et 2% à 3% des investissements directs étrangers. Selon un rapport de la Banque africaine de développement (BAD-2013), le commerce interafricain n’est que de 15% sur tout le continent, les échanges intermaghrébins représentant également moins de 3%.. Les raisons sont multiples : manque de capitaux, d’infrastructures et mauvaise gouvernance. Sans compter les taxes douanières qui coûtent très cher. Tous ces problèmes de logistiques associés «au manque de compétence des ressources humaines constituent un sérieux frein à la fluidité des échanges alors qu’une entreprise a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée ». Certes, des organisations telles que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ou la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (Ceeac) existent. Mais plusieurs dissensions entravent leur bon fonctionnement. Se pose essentiellement le problème de la sécurité et de la stabilité des Etats qui doivent se fonder sur des valeurs démocratiques. Et là se pose la problématique des tensions au Sahel. Nous avons assisté dans la région à de profondes mutations de la géopolitique saharienne après l’effondrement du régime libyen, avec des conséquences pour toute la région Afrique et l’espace méditerranéen..Il existe par ailleurs la barrière de la langue et de la culture entre les pays de la zone francophone et anglophone qui ne facilite pas le développement de l’intégration régionale. Et surtout l’importance du poids de l’informel en Afrique, variant selon les pays, mais dépassant d’une manière générale 50% à 60% de la superficie économique pour certains pays employant plus de 70% de la main-d’œuvre. Selon le Bureau international du travail (BIT), ce secteur fournit ainsi 72% des emplois en Afrique subsaharienne, dont 93% des nouveaux emplois créés, en comparaison du secteur formel qui n’emploie que près de 10% des actifs sur le continent. Au Maghreb (voir notre étude réalisée sous ma direction pour l’Institut français des relations internationales, Paris -IFI décembre 2013), elle dépasse les 50% de la superficie économique. Pour analyser les blocages en Afrique, on ne peut isoler les facteurs économiques des facteurs politiques. Le rapport conjoint BAD-GFI diffusé le 29 mai 2013 met en relief le fait que l’Afrique a pâti de sorties nettes de fonds de l’ordre de 597 milliards de dollars à 1 400 milliards de dollars, entre 1980 et 2009, après ajustement des transferts nets enregistrés pour les flux financiers sortants frauduleux, et que la fuite des ressources hors de l’Afrique au cours des trente dernières années – l’équivalent du PIB actuel de l’Afrique – freine le décollage du continent qui a besoin de sous intégration régionales et d’une bonne gouvernance et de valoriser l’économie de la connaissance. Or, une enquête menée en 2012 par l’UA/Nepad dans 19 pays africains montre que seuls le Malawi, l’Ouganda et l’Afrique du Sud investissent plus de 1% de leur PIB dans la Recherche-développement (R-D), contre de 0,2% à 0,5% pour les autres. Le rapport précité de l’Unesco souligne que l’Afrique ne consacre que 0,3% du PIB en moyenne à la R-D. C’est sept fois moins que l’investissement réalisé dans les pays industrialisé Ainsi, les dirigeants africains portent une lourde responsabilité devant leur population et doivent favoriser l’Etat de droit, la bonne gouvernance et lutter contre les mentalités tribales, la protection des droits de l’Homme et s’engager dans la démocratisation de leur société tenant compte de l’anthropologie culturelle évitant de plaquer des schémas déconnectés des réalités sociales. Le développement de l’Afrique sera profitable à l’ensemble des autres espaces économiques évitant cette migration clandestine. Dans le cas contraire, il est à craindre des crises politiques à répétition. Bon nombre de citoyens africains traversent une crise morale du fait du manque de valeurs au niveau du leadership avec le danger d’une polarisation de la société entre les riches et les pauvres qui peuvent nourrir le terrorisme et l’exode.
Pour conclure, face aux bouleversements géostratégiques, l’Afrique est appelée à se déterminer par rapport à des questions cruciales et de relever des défis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils dépassent en importance et en ampleur les défis qu’elle a eus à relever jusqu’à présent. Mais avant tout, l’Afrique sera ce que les Africains voudront qu’elle soit.
(*) Abderrahmane MEBTOUL Professeur des Universités, expert international, Docteur d’Etat (1974) [email protected]
NB : Cette contribution reprend l’interview donnée par le professeur Abderrahanbe Mebtoul à l’agence française AFP le 03/12/2015 sur les relations Algérie/Chine et l ‘Agence de Presse chinoise Xinhua le 05/12/2015 sur le sommet Afrique-Chine