Echec de la politique industrielle du pays. Trois choix devant Ouyahia : reconnaitre les erreurs des gouvernements précédents et reculer, essayer de « sauver les meubles » ou s’enfoncer.
Depuis sa nomination à la tête du gouvernement, Ouyahia a beaucoup disserté sur la crise qui se profile à l’horizon 2020 en raison de l’épuisement des réserves de change du pays, mais a très peu parlé de ce qui est considéré par ses prédécesseurs comme étant la clef de sortie de cette crise : la relance industrielle. En effet, s’il est un sujet qui a délié les langues et fait polémique ces derniers temps, c’est bien celui de l’industrie automobile qui représente, nous dit-on, un axe stratégique dans la politique économique du pays.
Le ministre de l’Industrie et des Mines de Ouyahia, Youcef Yousfi, a déclaré en marge de la cérémonie de passation des pouvoirs avec son prédécesseur Mahdjoub Bedda, que « l’industrie automobile sera l’un des dossiers importants inscrits à l’ordre du jour de son agenda et qu’il compte examiner avec les cadres de son secteur en vue de la développer ». Toutefois, pour engageante qu’elle soit, cette déclaration n’a nullement été appuyée par le Premier ministre qui observe un silence de carpe à ce sujet. Pourquoi Ahmed Ouyahia refuse-t-il d’évoquer une question où il a pourtant mille et une bataille politiques et économiques à gagner ? S’agit-il d’une volonté délibérée d’éviter un sujet trop polémique ou s’abstient-il d’en parler parce qu’il n’a aucune solution à la crise qui mine le secteur ?
L’amer constat des experts
Le secteur de l’automobile a été présenté par le gouvernement comme une locomotive de la relance industrielle. C’est à travers ce secteur qu’il entend mettre fin au caractère mono-exportateur de l’économie algérienne et la diversifier. Toutefois, face à cette ambition, plusieurs experts industriels et économistes ont exprimé leur scepticisme et trouvent la démarche du gouvernement fort impertinente.
« L’Algérie n’a pas d’atout à faire valoir dans le secteur automobile », estime Mohamed Achir, économiste. « Pour amortir l’investissement dans la phase tôlerie-peinture-cataphorèse, il faut produire entre 150 000 et 200 000 véhicules/an. Ensuite, la mise en place des équipements nécessaires pour cette phase coûte environs 160 millions d’euros Or, pour l’’heure, le première usine, Renault, espère atteindre, au mieux, 60 000 véhicules/an, ce qui la place dans l’impossibilité de s’engager dans la phase tôlerie-peinture-cataphorèse, sans quoi elle risque de travailler à perte. Autrement dit, elle est condamnée à faire du montage», nous explique également M. Chahboub, expert industriel.
De son côté, Samir Bellal, économiste, considère que « les usines automobiles installées chez nous, sont conçues pour mourir par ce qu’elles ne produisent pas assez pour être compétitives ». « Elles n’ont pas été conçues pour être compétitives, mais juste pour satisfaire le marché local. Pour être compétitive, une usine automobile doit produire au moins 100 000 véhicules par an, voire le double dans certains cas. Il n’y a aucun intérêt à installer une usine qui produit 30000 véhicules an », affirme-t-il en soulignant que « ce type d’usine ne fait que pomper les ressources en devises du pays » et qu’ « une usine automobile n’a d’intérêt que si elle destine l’essentiel de sa production à l’exportation ».
Ouyahia face à un dilemme : politique ou économie ?
Face à ces observations qui sont partagées par plusieurs acteurs du secteur, y compris certains responsables qui ont déjà eu à qualifier l’industrie automobile « d’importation déguisée » et évoqué le caractère « capricieux » du projet, le Premier ministre est pour le moins gêné, lui qui est réputé pour sa rigueur dans le traitement des dossiers économiques.
Mais grand dilemme : mettre un pavé dans la marre et susciter le courroux des partenaires de l’Algérie ou se murer dans le silence et regarder s’évaporer les devises du pays avec dépit ? Autrement dit, faire de l’économie ou faire de la politique ? Jusque-là en tout cas, Ahmed Ouyahia n’a pas dit son mot sur l’industrie automobile ? Va-t-il décréter la mise à mort du secteur et reconnaitre l’erreur monumentale du gouvernement qui a été relevée par les experts ou essayer simplement de redresser la situation en agissant en pompier ? Les deux options sont possibles surtout que le Premier ministre ne rate aucune occasion de répéter que des jours sombres se profilent à l’horizon.
Néanmoins, dans cette intervalle d’évaluation et de réflexion que le gouvernement semble se donner, le constat sur l’échec de la politique industrielle de Bouteflika se consolide et les signes de cet échec se font de plus en plus patents : les devises du pays s’évaporent, les avantages fiscaux accordés aux investisseurs n’apportent nulle contrepartie, le chômage augmente passant de 10, 5 à 12.3, le déficit de la balance commerciale s’approfondit, la pénurie des véhicules s’accentue.