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Maghreb

Face à la crise économique, quel rôle pour les partis politiques et la société civile en Algérie ? (contribution)

Par Maghreb Émergent
avril 22, 2016
Face à la crise économique, quel rôle pour les partis politiques et la société civile en Algérie ? (contribution)

L’histoire ne se découpe pas en morceaux. La situation actuelle en ce mois d’avril 2016, et les perspectives futures sont le produit historique des logiques de pouvoir de l’indépendance à nos jours, et bien avant, devant remonter à la période Numides, coloniale tant espagnole, turque que française(1).

Le constat est amer : vieillissement des élites politiques, méfiance de citoyens vis-à-vis des partis tant du pouvoir que de l’opposition, société civile éclatée, enjeux de pouvoir internes, crise économique, sociale et culturelle et, enfin, contraintes externes de plus en plus pesantes ont abouti à l’absence dramatique d’une véritable stratégie nationale d’adaptation au phénomène total et inexorable qu’est la mondialisation et à une transition chaotique qui se traîne en longueur depuis au moins la crise de 1986

Poser la problématique de la refonte de l’Etat

Devant éviter se de référer aux intellectuels organiques aux ordres, selon l’expression du philosophe Gramsci, contre productif pour le pouvoir lui même, force est de constater que l’absence volontaire ou préméditée d’une élite agissante, capable d’élaborer des idées structurantes et peser par ses analyses sur les tendances et les choix majeurs qui fondent et marquent le lien social, se fait cruellement sentir. Cela n’est pas propre à l’Algérie où nous assistons presque partout à travers le monde a discrédit du politique La logique des alliances et la sémantique des discours politiques en vogue expriment une sorte de désarroi intellectuel face à la transformation rapide de la société–monde qui frappe de plein fouet l’action politique et particulièrement son rapport avec la société.. Or, la refondation de l‘Etat doit saisir les tendances réelles de la société algérienne en mutation. Le rôle de la recherche et la nécessité de nouvelles idées s’imposeront comme incontournable pour sortir du volontarisme populiste qui a empoisonné nos choix antérieurs. Le renforcement de l’Etat de droit devient alors plus urgent quand on sait que la démocratisation des institutions et l’autonomisation vont encourager l’éclosion de nouvelles identités qu’on croyait mortes et qui exigent le pilotage d’un Etat et d’un pouvoir fort de sa légitimité et crédible de sa compétence. La refondation de l’Etat, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. La fin de l’Etat de la mamelle, puis celle de la légitimité révolutionnaire, signifie surtout que le pouvoir bienfaisant ou de bienfaisances inaugurées comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politiques et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice. C’est la norme du droit qui reprend sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté nationale. Le passage de l’Etat de « soutien » à l’Etat de justice est de mon point de vue un pari politique majeur, car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la nation et l’Etat. L’Algérie ne peut revenir à elle même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d’innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de promotion sociale. La compétence n’est nullement synonyme de postes dans la hiérarchie informelle, ni un positionnement dans la perception d’une rente, elle se suffit à elle-même et son efficacité et sa légitimité se vérifient surtout dans la pertinence des idées et la symbolique positive qu’elle ancre dans les corps et les acteurs sociaux. Sans cela, les grandes fractures sont à venir et la refondation de l’Etat ne dépasserait pas une vaine tentation de vouloir perpétuer un pouvoir qui n’est plus en mesure de réaliser les aspirations d’une Algérie arrimée à la modernité tout en préservant son authenticité. La refondation de l’Etat ne saurait se limiter à une réorganisation technique (changement de gouvernement ou de ministres). Elle passe par une nouvelle gouvernance, une transparence totale et une clarté sans nuance dans la pratique politique et donc une moralité sans faille de ceux qui dirigent la Cité s’ils veulent mobiliser l’opinion. Il n’est plus permis grâce à .une aisance financière artificielle, de continuer de dépenser sans compter, importer au lieu de privilégier la production locale se fondant tant sur l’entreprise locale ou étrangère créatrice de richesses. La bonne gouvernance est une question d’intelligence et de légitimité réelle et non fictive. Cela implique des réaménagements dans l’organisation du pouvoir devant poser la problématique stratégique du futur rôle de l’Etat largement influencé par les effets de la mondialisation dans le développement économique et social notamment à travers une réelle décentralisation. Les exigences d’un Etat fort de sa droiture et de son droit, si elles constituent un outil vital pour la cohésion nationale et le destin de la nation, ne doivent pas occulter les besoins d’autonomie de pouvoirs locaux qui doivent être restructurés en fonction de leur histoire anthropologique et non en fonction des nécessités électoralistes ou clientélistes. La cohésion de ces espaces et leur implication dans la gestion de leurs intérêts et de leurs territorialités respectives enclencherait alors une dynamique de compétitions positives et rendront la maîtrise des groupes loin de la centralité politique largement dépassée. L’autonomie des pouvoirs locaux ne signifie pas autonomie de gouvernement mais un acte qui renforce la bonne gouvernance en renforçant le rôle de la société civile et les pouvoirs locaux afin de transformer la commune « providence » en « commune entreprise » Cela suppose que toutes les composantes de la société et les acteurs de la vie économique, sociale et culturelle, soient impliqués, sans exclusive, dans le processus décisionnel qui engage la configuration de l’image de l’Algérie de demain qui devra progressivement s’éloigner du spectre de l’exclusion, de la marginalisation et de toutes les attitudes négatives qui hypothèquent la cohésion sociale. L’implication du citoyen dans le processus décisionnel qui engage l’avenir des générations futures, est une manière pour l’Etat, de marquer sa volonté de justice et de réhabiliter sa crédibilité en donnant un sens positif à son rôle de régulateur et d’arbitre de la demande sociale. Les réformes en profondeur du fonctionnement de la société algérienne et non des replâtrages organisationnels, impliquent d’analyser avec lucidité les relations dialectiques réformes, les segments de la production de la rente (Sonatrach) et celui de sa redistribution (système financier), les gagnants de demain n’étant pas forcément ceux d’aujourd’hui. Lorsque la valeur de la rente des hydrocarbures s’accroit, paradoxalement les réformes sont freinées et l’on assiste à une redistribution passive de la rente pour une paix sociale éphémère avec l’extension de la corruption et une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière. Ce couple contradictoire rente/réformes traduisant des luttes de pouvoir pour le partage de la rente, explique fondamentalement l’instabilité juridique et le manque de cohérence et de visibilité dans la réforme globale. Ce qui m’amène à aborder les fondements du système partisan et de la société civile.

Un système partisan et une société civile au service du citoyen

Le nombre de partis approche selon certaines sources les 60, souvent avec des alliances contre nature alors que dans les pays démocratiques, ces alliances se font par affinité idéologique et sur un programme clair. Aussi, excepté une dizaine, le reste manifeste sa présence d’une manière formelle et ostentatoire lors des élections meublant le vide, impuissant presque toujours à agir sur le cours des choses et à formuler clairement les préoccupations et les aspirations de la société réelle. En raison des crises internes qui les secouent périodiquement, du discrédit qui frappent la majorité d’entre elles, de la défiance nourrie à leur égard et à l’endroit du militantisme partisan, les formations politiques actuelles ont une faible capacité aujourd’hui de faire un travail de mobilisation et d’encadrement efficient, de contribuer significativement à la socialisation politique et donc d’apporter une contribution efficace à l’œuvre de redressement national. Pour preuve les dernières élections législatives du 10 mai 2012. Les bulletins nuls ont représenté 7,87 % par rapport aux inscrits (une nette progression par rapport à 2007) ce qui nous donne 100 moins 43,14% soit un taux d’abstention de 56,86% plus 7,87% de bulletins nuls, donnant le nombre de personnes n’ayant pas fait un choix de 64,73% environ les deux tiers de la population algérienne. Mais pour une analyse plus fine il faut aller plus loin. Les abstentionnistes, suivi des partis n’ayant obtenu aucun siège et ceux ayant opté pour un bulletin nul sont majoritaires représentant 16.112.799 voix soit 74,44% du nombre d’inscrits. Si l’on ajoute les personnes en âge de voter ne s’étant pas inscrits, selon l’enquête de l’ONS de janvier 2012, environ 1,7 million ce taux ce rapproche de 80%. Ainsi plus des 3/4 de la population algérienne ne sont pas représentés. Mais la question stratégique est la suivante : Ira-t-on vers un réel changement salutaire en réorganisant la société, du fait des bouleversements géostratégiques mondiaux annoncés entre 2016/2020, ou simplement du replâtrage différant les tensions sociales inévitables à terme grâce à la distribution passive de la rente. Ce sont là des raisons suffisamment importantes pour envisager sérieusement de réorganiser le système partisan pour qu’il puisse remplir la fonction qui est la sienne dans tout système politique démocratique. D’où l’urgence de sa restructuration loin des injonctions administratives. En effet, le discrédit qui frappe les formations politiques doit laisser la place à des formations crédibles non crées artificiellement supposant une appréciation objective du statut et du rôle qui doivent être les leurs dans une société qui ambitionne de rejoindre le rang des sociétés démocratiques et afin de mobiliser la société d’autant plus que pour les années à venir, les réformes différées pour une paix sociale fictive, transitoire, seront très douloureuses. Quant à la société civile force est de constater qu’elle est éclatée y compris certaines confréries religieuses qui avec la désintégration sociale et une jeunesse parabolée ont de moins en moins d’impacts contrairement à une vision du passé. Pour preuve, elles ont demandé aux dernière élections aux citoyens d’aller voter avec le résultat dérisoire que l’on connait. En 2012, selon le Ministère de l’intérieur, nous aurions 93.000 associations dont environ plus de 1000 associations nationales. Mais selon une enquête menée par Amnesty Internationale en 2015, nous aurions la disparition de deux tiers des associations qui serait due à l’adoption de la loi 12-06 relative aux associations qui a fait que certaines ont disparues ou n’auraient pas renouvelé leur agrément dans le courant de 2015. Comme pour les partis, excepté une centaine se manifestent que sur instrumentalisation, la majorité vivant du transfert de la rente et non sur la base des cotisations de leurs adhérents. C’est que la confusion qui prévaut actuellement dans le mouvement associatif national rend malaisée l’élaboration d’une stratégie visant à sa prise en charge et à sa mobilisation. Sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traverse et sa relation complexe à la société et à l’Etat ajoutent à cette confusion et rendent impératif une réflexion qui dépasse le simple cadre de cette contribution. En raison de la jeunesse très grande de la société civile, des conditions historiques qui ont présidé à sa naissance et des évènements tragiques qu’a connus notre pays et auxquels elle a été directement ou indirectement associée, la question qui touche à sa mobilisation doit être traitée avec une attention et une vigilance soutenues. Héritière, dans une certaine mesure, des anciennes organisations de masses du parti unique – puisqu’elle y puisera une partie substantielle de ses cadres et de ses militants – elle va littéralement exploser dans les tous premiers mois qui ont suivi l’avènement du multipartisme. Paradoxe : malgré un contexte sécuritaire particulièrement difficile et dissuasif, dans les années 1990, elle va connaître, à l’instar du système des partis, un développement intensif et débridé durant la décennie écoulée. Constituée dans la foulée des luttes politiques qui ont dominé les premières années de l’ouverture démocratique, elle reflétera les grandes fractures survenues dans le système politique national Ainsi la verra-t-on rapidement se scinder en quatre sociétés civiles fondamentalement différentes trois au niveau de la sphère réelle et une dominante dans la sphère informelle. Le plus gros segment, interlocuteur privilégié et souvent l’unique des pouvoir publics sont des sociétés civiles appendice du pouvoir se trouvant à la périphérie des partis du pouvoir où les responsables sont parfois députés, sénateurs, vivant en grande partie du transfert de la rente. Nous avons une société civile ancrée franchement dans la mouvance islamiste, certains segments étant l’appendice de partis islamiques légaux. Nous avons une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et minée par des contradictions en rapport, entre autres, avec la question du leadership. Pour ces trois premières société civiles, leurs impacts pour le taux de participation aux dernières élections locales et législatives, malgré leur adhésion, a été relativement faible. Et enfin nous avons une société civile informelle, inorganisée, totalement atomisée qui est de loin la plus active et la plus importante avec des codifications précises formant un maillage dense. Sans l’intégration intelligente de la sphère informelle, non par des mesures bureaucratiques autoritaires, mais par l’implication de la société elle même, il ne faut pas compter sur une réelle dynamisation de la société civile. Car lorsqu’un Etat veut imposer ses propres règles déconnectées par rapport aux pratiques sociales, la société, enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner avec ses propres organisations. La dynamisation de la société civile afin d’en faire un instrument efficace d’encadrement de forces vives et un levier puissant de leur mobilisation en vue de leur implication active dans la société n’a de chance de réussir que si le mouvement associatif qui le compose ne soit pas au service d’ambitions personnelles inavouables et parfois douteuses.

En résumé, les Algériens veulent vivre leurs différences dans la communion et non dans la confrontation. L’Algérie qui traverse une phase cruciale de son histoire a besoin qu’un regard critique et juste soit posé sur sa situation sur ce qui a déjà été accompli et sur ce qu’il s’agit d’accomplir encore au profit exclusif d’une patrie qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d’une même ambition et d’une même espérance : un développement harmonieux conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale.

*Professeur des Universités, expert international
[email protected]

(1)-Conférence du Professeur Abderrahmane MEBTOUL« La Villa Méditerranée » Marseille 07 avril 2016« Comprendre l’histoire millénaire de l’Algérie : des Numides (IVe siècle avant J.-C.) à 1962 » Comme ne pas rappeler que dans un proche passé (2005), j’ai eu l’honneur de coordonner un ouvrage pluridisciplinaire, d’une brulante actualité ,ayant abordé les réformes politiques, sociales et économiques, fruit d’un travail collectif à la rédaction duquel ont contribué des collègues spécialistes en anthropologie, en économie et en sciences politiques des universités d’Oran et d’Alger. A cette époque j’ai donné plusieurs conférences aux universités de Annaba, de Tizi Ouzou, de Sid Bel Abbès et d’Oran avant de clôturer à l’école nationale d’administration d’Alger (ENA) qui a vu la présence de représentants de la présidence de la république, des membres du gouvernements, des ambassadeurs accrédités à Alger, de hauts cadres de l’Etat et des professeurs d’ Universités et ce afin pour expliquer notre démarche de la transition fondée sur l’alternance démocratique Voir Ouvrage collectif toujours d’une brulante actualité sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul Les enjeux de l’Algérie : réformes et démocratie 2 volumes Casbah Edition Alger- 2005 (520 pages)

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