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Face au risque de récession, les Algériens dans l’attente d’un basculement Ahmadinejad-Rohani

Par Maghreb Émergent
janvier 22, 2016
Face au risque de récession, les Algériens dans l’attente d’un basculement Ahmadinejad-Rohani

 

La semaine économique* commentée par El Kadi Ihsane.

Quel est le seuil de prix moyen du baril du pétrole à partir duquel les solutions changent de nature en Algérie ? Il y a en gros trois types de scénario face à un contre-choc pétrolier en cours. Le premier est connu. C’est celui de juin 2015-septembre 2016. L’attente. Il a déjà coûté cher à la balance de paiement, au FRR et aux réserves de change de l’Algérie. Le second est celui qui a été introduit par la loi de finances pour 2016. C’est celui de l’austérité. Il a pour vocation d’ajuster à cours terme la demande solvable interne à l’offre de biens et services disponibles. L’ajustement se fait par le renchérissement des prix à l’importation et le contingentement des produits importés. C’est à la fois la demande et l’offre qui sont rabotés. Cela ne va jamais très loin. Car les ménages, les peuples acceptent de resserrer leur consommation lorsqu’une perspective leur est proposée pour un rebond de leur niveau de vie grâce aux sacrifices consentis.

Ce rebond, c’est le troisième scénario qui le permet. Celui de la réforme qui rend performant le système de production algérien dans un standard moyen d’ouverture au marché mondial. C’est bien sûr le plus dur à mettre en œuvre. Il suggère une sortie du contre-choc par le haut. Profiter de la contrainte de la baisse des prix du pétrole pour ne plus dépendre que des exportations des hydrocarbures dans son modèle de croissance. A moins de 30 dollars le baril en janvier, le prix moyen de 2016 s’annonce du type 3. Celui qui oblige à la sortie de crise par le haut. Diversification, facilitations, démonopolisation, insertion. Le président iranien Rohani a, en marge de l’accord sur le nucléaire et la levée des sanctions, présenté la chute du prix du pétrole comme une opportunité pour que son pays quitte «la spécialisation matière première».

Aucun officiel algérien n’a encore parlé ainsi. Le changement de premier ministre qui se dit être devenu pressent est le premier moment attendu pour savoir si l’action politique à venir ira vers le scénario 3 ou restera au niveau du second, celui de l’austérité. En réalité, l’issue est connue. Le système politique actuel a oublié d’envisager d’être inventif et audacieux. L’évolution iranienne elle-même est là pour montrer que c’est une inflexion politique importante, l’élection de Rohani après Ahmadinejad, combinée aux effets néfastes de l’embargo économique, qui ont ouvert un nouveau cours de politique économique basée sur le retour de l’Iran dans le capitalisme mondial. Rien de cela encore en vue à Alger, côté officiels. En attendant, les idées pour la sortie par le haut circulent dans les médias.

Slim Othmani,  président de NCA Rouiba et du Think Tank Care, propose la convertibilité du dinar comme choc de confiance face à la crise qui arrive. Son argumentaire, sur Radio M cette semaine, peut paraître déjà connu. Il est différent de celui du contexte précédent où il a été beaucoup question de la convertibilité du dinar, celui de la crise du début des années 90’. Pourtant, il contient un postulat nouveau : il n’existe pas suffisamment de capital disponible dans l’économie algérienne pour la diversifier comme cela est nécessaire.

Le capital algérien ne s’accumule pas suffisamment

En tous les cas, ce que génère comme cash flow le secteur industriel algérien (5% du PIB), environ 2 milliards de dollars par an, est, selon l’estimation de Slim Othmani, très largement insuffisant pour financer des investissements massifs dans des filières d’activités hors hydrocarbures, et se mettre à exporter dans quelques années autre chose que des produits énergétiques. L’apport en capital des autres secteurs, celui des services notamment, pour participer à la diversification de l’économie ne peut pas être consistant. La faute à la fragmentation du capital algérien qui ne s’accumule pas suffisamment. «Les détenteurs de capitaux n’ont pas de plans d’investissements innovants. Ils pensent surtout à mettre leur argent à l’abri. Dès qu’il le change au noir, il s’éparpille à l’étranger entre plusieurs opérations de change et ne sert plus l’économie nationale».

La convertibilité totale du dinar à laquelle appelle Slim Othmani est une solution définitive au problème du manque de confiance dans l’économie algérienne pour les deux catégories d’acteurs : les détenteurs d’argent algériens et les investisseurs étrangers. Les premiers ne se précipiteront plus pour changer leurs dinars poussés par la peur d’une dépréciation continue de leur épargne. Les seconds initieront des flux de capitaux entrants en Algérie dès lors que la convertibilité assure en retour les flux sortants. La convertibilité du dinar est-elle opportune au moment où les réserves de change de la Banque d’Algérie entament une décrue ? «Il faut le faire un jour ou l’autre pour entrer dans l’économie mondiale», répond le président de CARE. «Il n’y a pas assez de capital en Algérie pour se développer vite. Or, si nous voulons réellement nous diversifier, nous avons un besoin massif en Investissements directs étrangers (IDE). Ils viendraient donc grâce au signal fort de la convertibilité du dinar». Le retour de la convertibilité du dinar va sans doute susciter un vif débat les prochaines semaines. C’est bien le signe que le 3e scénario face au contre-choc n’est plus très loin de nous.

La consommation des ménages a déjà été impactée par les premières hausses des prix de 2015. Les chefs d’entreprises privées le savent avant l’Office national de la statistique (ONS). Surtout ceux qui se situent sur le front des produits de large consommation, là où les arbitrages de consommation se font au quotidien. Pour une demande solvable qui a été érodée par l’effet prix ces derniers mois, le temps des stratégies d’économie d’achats est arrivé. Cela devrait profiter d’abord aux produits nationaux. Mais rien n’est aussi certain. Les producteurs nationaux sont nombreux, ces dernières semaines, à rappeler que ce sont d’abord de grands importateurs de matières et de composants dont les prix – surtout en dollars – se sont renchéris. Le cycle de la crise va dépendre des anticipations de ces chefs d’entreprises. Ils vont d’abord augmenter leurs prix. Ils subiront ensuite des pertes de parts de marché. Ils ralentiront leurs investissements de développement. Ils réduiront enfin leurs coûts. Notamment les charges salariales.

Ce chemin de la récession peut prendre deux ans. Il n’est inéluctable. Il est écrit. Il attend un basculement Ahmadinejad-Rohani pour, peut-être, échapper à son destin.

 

 

(*) Publié sur le quotidien El Watan du 18 janvier 2016.

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