Cette présente contribution est une synthèse de la conférence que j’ai donnée le 08 juin 2021 de 10-12H30 à Alger, devant les représentants des pays de l’Union européenne et de la banque mondiale accrédités en Algérie.
Mesdames et messieurs les ambassadeurs, les responsables politiques et économiques des ambassades et des institutions internationales présents à cette conférence, devant remercier l’Union européenne , de cette aimable invitation, qui est le prolongement de la conférence donnée le 19 mars 2019 de 14-16h à l’Ecole supérieure de guerre MDN et le même jour au siège de l’ambassade de 19-20h30 devant les attachés économiques de l’OCDE , ayant été initiée par l’ambassade des Etats Unis d’Amérique, sur le thème l’impact de la baisse des hydrocarbures sur les équilibres macro-économiques et macro- sociaux de l’Algérie , où nos prévisions se sont malheureusement avérées justes.
Mesdames et Messieurs, dans une conjoncture de crise mondiale qui touche tous les pays de la planète due à l’épidémie du coronavirus , avec une dette publique mondial et un taux de chômage sans précédent, depuis la crise de 1929, l’Algérie, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine , pays à fortes potentialités aura en principe un nouveau gouvernement, après les élections législatives du 12 juin , au plus tard courant juillet 2021 et nombreux sont les défis qui l’attendent.
La mise en œuvre de profondes réformes conditionnée par un changement de cap par la rénovation des institutions, la moralisation de la société et la lutte contre la corruption, est une condition indispensable pour un développement durable, étant conscient , loin de toute démagogie , qu’existe encore un long chemin pour l’instauration d’un Etat de Droit et la Démocratie. Mais l’expérience historique montre que l’instauration de la démocratie ne se fait pas d’une baguette magique , les pays occidentaux ayant mis des siècles et ne pouvant plaquer sur un corps social des schémas d’autres pays devant tenir compte des anthropologies culturelles. Il faut le reconnaître, à travers les chiffres officiels du gouvernement algérien, la situation socioéconomique est inquiétante ce qui renvoie à la sécurité nationale impliquant un sursaut national, car l’avenir de l’Algérie étant entre les mains des seuls algériens.
1.-Quelle est la situation socio- économique entre 2020/2021 ? Le taux de croissance du produit intérieur brut qui détermine le taux d’emplois, est en nette diminution , estimée en 2020 à 160 milliards de dollars et selon le FMI de 153 milliards de dollars pour 2021.Cela s’explique par la léthargie de l’appareil de production impacté tant par sa structure passée (le secteur industriel moins de 6% du PIB en 2020 ) que par l’épidémie du coronavirus, ( selon le patronat une perte d’emplois d’environ 500.000 uniquement dans le BTPH) et le tissu économique fonctionnant à peine à 50% de ses capacités, plus de 95% du tissu économique en 2021 étant constitué d’unités personnelles, de petites SARL , peu initiées aux nouvelles technologies et aux commerce international, dépendantes pour plus de 85% des matières premières de l’extérieur.
Quant à la production de pétrole elle est en décroissance. Elle est , selon le rapport de l’OPEP passée de 1,2 millions de barils/j entre 2008/2010 à environ 850.000 barils/j en mai 2021. Les exportations de gaz ( GNL et GN à travers les canalisations Transmed via Italie et Medgaz via Espagne ) sont passées d’environ 65 millions de mètres cubes gazeux à 41/42 milliards de mètres cubes gazeux en 2020 et où le cours sur le marché libre est passé pour la même période de 10/12 dollars le MBTU à 2,5-3,0 dollars le MBTU.
Aussi , les recettes totales en devises ( pas le profit net devant retirer les couts ) d’exportation seront un petit plus élevé que prévu dans la loi de finances complémentaire 2021, à environ 26/27 milliards de dollars. Après la dernière réunion de l’OPEP¨+ début juin 2021, le quota de l’Algérie augmentera légèrement en juillet, de 14.000 barils/jours, relative à une augmentation de 441.000 barils/jour de leur production le mois juillet 2021. Cela donnera une recette additionnelle pour les six mois du second semestre 2021 au cours de 65 dollars le baril comme moyenne annuelle. 166.000 dollars, un montant très modeste. Et comme la majorité des exportations relèvent de Sonatrach, ce montant dépend du prix du pétrole s’il se maintient entre 60/65 dollars et du gaz (33% des recettes de Sonatrach).
2.-. Pour l’Algérie, le population active dépasse 12,5 millions sur une population totale résidente de 44,7 millions d’habitants au 1er janvier 2021. La sphère informelle représentant selon le FMI 33% de la superficie économique mais plus de 50% hors hydrocarbures. Elle contrôle une masse monétaire hors banques, selon les informations données par le président de la république, entre 6000 et 10.000 milliards de dinars 30-45% du PIB . Au cours de 130 dinars pour un dollar, elle représente entre 46,15 et 76,90 milliards de dollars. Selon le FMI, le taux de chômage incluant la sphère informelle et les emplois rente, devrait atteindre 14,5% en 2021, et 14,9% en 2022, contre 14,2% en 2020, ce taux dépassant les 20/30% pour les catégories 20/30 ans et paradoxalement parmi les plus diplômés.
Quant aux caisses de retraite selon le ministère du Travail, en date du 08 avril 2021 le déficit financier de la CNR pourrait atteindre 690 milliards de dinars en 2021, le nombre de retraités dépassant les 3,3 millions, le CNR enregistrant un taux de cotisation de sécurité sociale, estimé à 2,2 travailleurs pour chaque retraité alors que pour un équilibre , le taux de cotisation devrait atteindre cinq travailleurs pour un retraité. La paix sociale transitoire tant qu’il y a la rente est assurée par les importants montants des transferts sociaux, subventions généralisées et non ciblées. Une source de gaspillage représentant 23,7% du budget général de l’Etat et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021. Une situation sont intenables dans le temps.
Il s’agit impérativement dans ce contexte de lutter contre les surfacturations qui trouvent leur essence dans la mauvaise gouvernance interne et dans la distorsion du taux de change entre le cours officiel et celui du marché parallèle, avec la complicité de l’étranger. Les subventions de produits importés à travers le trafic des frontières permettent des transferts de devises. Il y a également pour les projets internes des surfacturations en dinars, du fait que la majorité des départements et des responsables locaux ont failli dans le suivi assistant à des réévaluations progressives.
Une surfacturation de 140 milliards de dollars
Nous avons assisté à une baisse vertigineuse des réserves de change. Elles sont de l’ordre de 42 milliards de dollars fin 2020. Des importations en biens et services ( souvent oublié ayant varié entre 10/12 milliards de dollars par an entre 2010/2019) ont dépassé plus de 935 milliards de dollars entre 2000 et 2019 pour une entrée en devises de plus de 1000 milliards de dollars ( 98% relevant de Sonatrach). Des dépenses qui ne correspondent pas aux taux de développement (moyenne du taux de croissance 2/3% alors qu’il devait dépasser 8/9% . Si l’on applique un taux de surfacturation de 15% , les sorties illicites de capitaux entre 2000/2019 aurait été d’environ 140 milliards de dollars sans compter la partie dinars au niveau interne.
3.-Ici s’impose la réhabilitation du contrôle démocratique à travers des partis représentatifs et la société civile, l’objectif stratégique de la refondation de l’Etat à travers des intermédiations politiques, sociales et économiques crédibles collant à la réalité sociologique afin d’éviter en cas de malaise social un affrontement direct services de sécurité- citoyens. Mais également des organes techniques de contrôle devant éviter les télescopages et devant réhabiliter la Cour des comptes , institution stratégique inscrite dans la Constitution, chargée du contrôle a posteriori des finances de l’Etat, des collectivités territoriales, des services publics, ainsi que des capitaux marchands de l’Etat. Ayant eu l’occasion de visiter les structures de la cour des comptes au niveau international et de diriger en Algérie par le passé (pendant la présidence du feu docteur Amir ex-secrétaire général de la présidence de la république), trois importants audits sur l’efficacité des programmes de construction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestaries au niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relations avec le ministère de l’Intérieur, et celui de l’habitat, je ne saurai donc trop insister sur son importance où j’avais préconisé un tableau de la valeur au niveau de la douane relié aux réseaux nationaux et internationaux pour éviter les surfacturations, tableau qui n’a jamais vu le jour car s’attaquant à de puissants intérêts rentiers.
Mais pour avoir un contrôle efficace, lui-même lié aux contrepoids politiques, il faut uniformiser l’action des institutions de contrôle. Par ailleurs, si l’on veut lutter contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, rendre le contrôle plus efficient, il y a urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé, posant la problématique de la transparence des comptes, y compris dans une grande société comme Sonatrach. Ayant eu à diriger un audit financier avec une importante équipe avec l’ensemble des cadres de Sonatrach et d’experts, sur cette société, il nous a été impossible de cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R’mel et Hassi Messaoud tant du baril du pétrole que le MBTU du gaz arrivé aux ports, la consolidation et les comptes de transfert de Sonatrach faussant la visibilité. Sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile et dans ce cas la mission des institutions de contrôle serait biaisée. Dans les administrations, c’est presque impossible, du fait que les méthodes de gestion relèvent des années 1970 ignorant les principes élémentaires de la rationalisation des choix budgétaires.
4.-Quels sont les scénarios possibles et réalistes? Que faut-il faire pour préserver les réserves de change à un niveau raisonnable? Continuer de dépenser sans compter et sans renouvellement de la gouvernance et la politique socio-économique serait suicidaire pour le pays conduisant à la cessation de paiement courant 2022:
le premier scénario est un cours du pétrole supérieur à 100 dollars et du cours du gaz supérieur à 7/8 dollars le MBTU. L’Algérie fonctionne dans le cadre de la loi de finances 2021 à plus de 130 dollars le baril, un scénario dans la conjoncture mondiale actuelle irréalisable. Le cours moyen entre 2021/2022 s’il y a augmentation de la production en volume physique et une reprise de l’économie mondiale devant se situer entre une fourchette de 60/65 dollars, niveau défendu par les plus grands producteurs, l’Arabie Saoudite et la Russie. L’Algérie est un producteur marginal, les réserves de pétrole étant d’environ 10 milliards de barils et entre 2000/2500 milliards de mètres cubes gazeux selon les déclarations de l’ex-Ministre de l’Energie en 2020.
Le deuxième scénario ou, au rythme actuel , l’Algérie ne pourrait plus honorer ses engagements énergétiques internationaux du fait notamment de la forte consommation intérieure qui en 2030 dépassera les exportations. Les autorités doivent accélérer la transition énergétique axée sur le mix énergétique. L’Algérie possède d’importantes potentialités dans l’agriculture, le tourisme, les nouvelles technologies, ayant une importante diaspora et dans les énergies renouvelables mais il ne faut jamais oublier que le fondement du développement du XXIème siècle repose sur la gouvernance à travers des décentralisations ( grands pôles économiques régionaux) évitant le mythe d’entités locales administratives budgétivores et bureaucratiques et la valorisation du savoir . Le pays possède le troisième réservoir mondial de pétrole/gaz de schiste mais dont les techniques économisant l’injection d’eau douce et de produits chimiques dans les puits ne seront pas opérationnels avant 2025 afin de préserver l’environnement et éviter la pollution des nappes phréatiques du Sud (audit sous la direction du professeur A. Mebtoul, pétrole gaz de schiste, opportunités et risques 8 volumes premier ministère 2015) .
Le troisième scénario est une exportation hors hydrocarbures entre 2021/2022 au sein de filières internationalisées approchant 10 milliards de dollars. Or si les projets sont lancés fin 2021, sous réserve de la levée des contraintes bureaucratiques, de la rénovation du système financier, l’adaptation du système socio-éducatif, le seuil de rentabilité pour les PMI/PME ne sera pas atteint avant 2024 et pour les projets capitalistiques (dont le fer de Gara Djebilet, le phosphate de Tebessa ) entre 2027/2028. Aussi, il sera difficile d’atteindre les exportations algériennes hors hydrocarbures pour 5 milliards de dollars (USD) d’ici fin 2021. Plus de 70% des exportations, selon les statistiques douanières, sont constituées de semi-produits et le montant réel hors dérivées hydrocarbures ne devrait pas dépasser les 2-2,5 milliards de dollars mais devant pour avoir le profit net retirer tous les matières premières brutes ou semi-brutes importées en devises .
Le quatrième scénario est une restriction drastique des importations ce qui ne peut conduire à une inflation de fait du déséquilibre offre/demande et de vives tensions sociales en paralysant toute l’activité économique. L’objectif étant une meilleure gestion et la lutte contre la corruption renvoyant à une nouvelle gouvernance.
Le cinquième scénario est un endettement extérieur ciblé et un partenariat gagnant- gagnant pour des segments à valeur ajoutée et une balance devises profitable à l’Algérie. Mais sans objectifs clairs , de profondes réformes et une stabilité des institutions et juridique, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Aussi, l’ensemble des scénarios montrent que la marge d’actions du futur gouvernement est étroite.
En résumé, le XXIème siècle sera dominé par l’émergence de réseaux décentralisés, qui remplaceront les relations personnalisées d’Etat à Etat dans le domaine des relations économiques et de l’intelligence artificielle (le primat de la connaissance) qui révolutionnent tout le système économique mondial. Je ne saurai trop insister que le développement durable doit avant tout se fonder sur un Etat de Droit, avec l’implication des citoyens à travers la société civile, une véritable opposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice, tout cela accompagné par une cohérence et une visibilité dans la démarche de la politique socio-économique et un renouveau de la gouvernance. Car toute déstabilisation de l’Algérie, comme je le soulignais dans des interviews (2016/2019), l’une aux USA, à l’American Herald Tribune, dans plusieurs médias français et d’autres des pays du Golfe, aurait des répercussions internes, mais également géostratégiques sur toute la région. Les partenaires étrangers ne doivent plus considérer l’Algérie et plus généralement l’Afrique, continent à enjeux multiples comme de simples marchés mais favoriser un partenariat gagnant –gagnant. Mais les étrangers ne peuvent faire les réformes structurelles à notre place. Les différentes composantes de la société algérienne, pour des raisons de sécurité nationale, doivent transcender leurs différends grâce à la tolérance. Evitons toute sinistrose, sous réserve d’une nouvelle gouvernance , l’Algérie, garante de la stabilité régionale , a toutes les potentialités pour devenir un pays pivot.