La chronique hebdomadaire de El Kadi Ihsane sur El Watan scrute la trajectoire de la politique monétaire aux Etats-Unis pour rappeler combien le marché est devenu addictif à l’argent gratuit.
C’est un événement qui s’est déroulé loin d’Alger mais dont l’incidence configure la conjoncture économique du monde dans les prochaines années. Donald Trump a désigné Jérôme Powell pour remplacer Janet Yellen à la tête de la FED, la banque centrale américaine, en février prochain à la fin de son mandat. Une option de continuité assurée de la politique monétaire conduite par depuis trois ans. Avec un enjeu d’une grande complexité. Poursuivre la politique d’accommodement monétaire engagée depuis la crise de 2008 et systématisée dans le « Quantitative Easing » en 2012 pour ne pas casser le ressort fragile de la croissance américaine. Mais réduire, dans le même temps, la taille de cette politique de rachats d’actifs de marchés pour ne pas soutenir la progression d’une bulle financière devenue un risque sur les marchés dont les courbes haussières vont beaucoup plus haut que le redressement de l’économie réelle. Une figure d’équilibre. Son point de bascule, le rythme de la remontée des taux directeurs de la FED. Parti de zéro, ils ont progressé depuis prés de deux ans. A 1,25% aujourd’hui. Il s’agissait pour le Board de la FED et pour Janet Yellen de reconstituer une marge de manœuvre monétaire avant la prochaine dépression de l’activité. La lutte préventive engagée par son prédécesseur, Bern Bernanke, contre une trappe déflationniste américaine (semblable à celle qui a succédé au Krack d’octobre 2009), a porté ses fruits puisque l’objectif d’inflation de 2% affiché par la FED a été approché à 1,5%. Donald Trump, ce n’est pas un secret, souhaite, un dollar faible pour mieux protéger les industries américaines dans leurs frontières et les aider à repartir à l’assaut du monde. C’est peut être ce qui a valu au professeur John Taylor, éminent spécialiste des politiques monétaires, de ne pas être retenu pour le job. Il aurait sans doute impulsé une accélération du mouvement de remontée des taux directeurs de la FED et concouru à un raffermissement de la devise américaine.
L’argent restera bon marché
La leçon de la nomination de Jérôme Powell est tonitruante. Donald Trump est hors norme dans sa manière de diriger la première puissance du monde. Il veut bannir les musulmans à l’entrée du territoire, annuler l’ObamaCare, quitter l’accord de Paris sur le Climat. Mais lorsqu’il approche le réacteur nucléaire du capitalisme américain, la FED et Wall Street, il redevient un président normal. Il opte pour Jerome Powell, un personnage centriste qui a, au sein du board où il siège depuis 2012, voté tout le temps comme la présidente Yellen, nommée en 2014 par Obama. Le système financier américain, et le monde dans son sillage, a développé une douce addiction à l’argent gratuit et aux rachats massifs d’actifs par la FED. Il sait qu’il doit en sortir en douceur. Il est entrain de le faire depuis la mi-2016. La trajectoire qui se dessine pour le reste du monde est consensuelle. La banque centrale Européenne peut poursuivre son accommodement monétaire en décalant sa courbe de sevrage des marchés de quelques mois. Son président, Mario Draghi, en fin de mandat, a choisi de ne pas s’engager sur un calendrier de réduction des rachats d’actifs par son institution. Le redressement de la croissance n’est pas assez rassurant en zone Euro pour une telle manœuvre. Faut il en déduire que la tendance des taux d’intérêts des centres émetteurs devrait rester basse sur une période de moyen terme d’une dizaine d’année ? L’Algérie aura besoin de se faire une religion sur la question. Après avoir recouru au financement non conventionnel pour son déficit budgétaire, elle devra bientôt (3 ans ?) revenir sur le marché du financement extérieur. L’équation de la rémunération de l’épargne mondiale n’a pas été dynamitée par Donald Trump. Elle se préserve. Le loyer de l’argent va se renchérir lentement les prochaines années. Mais il va se renchérir. Jusqu’à l’explosion de la prochaine bulle financière. Imminente selon les plus « pessimistes ». Sous contrôle, selon les « croyants » en les effets préventifs de la régulation financière post-subprimes. Et alors qu’arrivera-t-il lorsque, tôt ou tard, la dépression surviendra ? Les banques centrales reviendraient en pompier, les taux repartiraient vers le bas et le cout de la dette baissera. Donald Trump est de ce point de vue un risque systémique planétaire. Sauf pour la sauvegarde du cœur nucléaire, la capacité des banques centrales à soutenir « le plein emploi ». En fait, à protéger le capitalisme de ses propres frasques.
Loukal vs Powell
Le secours non conventionnel que peut porter un institut d’émission monétaire à une économie n’est pas élastique sans limites. Il faut savoir laisser l’élastique se détendre afin qu’il puisse servir à nouveau. Au prochain besoin. C’est à cela que tente d’aboutir la lente remontée des taux engagée par Yellen, que va poursuivre Powell à la tête de la FED. Ce mouvement est possible grâce à une tradition d’indépendance, jamais intégrale, mais toujours consistante, dont dispose la banque centrale à l’égard du pouvoir politique. La venue de la banque d’Algérie sur le terrain du financement du trésor public par le rachat de ses émissions en grand flux, pose le problème de la capacité de cette institution à résister à la pression politique pour déplacer les contraintes financières du court terme vers le moyen terme grâce la planche à billet. Comme Jérôme Powell, Mohamed Loukal gouverneur de la banque d’Algérie, n’est pas PHD en économie. Une tradition de trente ans rompue par Donald Trump (qui devait bien se distinguer négativement sur quelque chose). Mohamed Loukal n’est pas à la tête d’une fortune personnelle de 55 millions de dollars, ce qui fait de Jerome Powell le plus riche président de la FED. Un bon point pour son homologue algérien. Powell est déjà soupçonné de vouloir repartir sur le chemin de la dérégulation financière. Certes, mais cela ne suffira pas pour placer l’institution dirigée par Mohamed Loukal sur le terrain de la bonne gouvernance monétaire compte tenu de la contrainte budgétaire algérienne. Il a fait profil trop bas depuis sa nomination pour ne pas soulever de légitimes inquiétudes sur ce plan. La première annonce que devrait faire début 2018 la banque d’Algérie est celle de son programme d’achat d’actifs du trésor pour 2018. Elle fixerait une limite au gouvernement. Et une limite à elle même. Elle peut même donner une indication et annoncer que ce programme d’achat d’actifs souverains, qui servira à financer le déficit budgétaire, baissera en 2019 si le solde budgétaire de 2018 présente un déficit plus faible que prévu. La trajectoire serait celle d’un accommodement monétaire encadré et paramétré. Faire du « Quantitative Easing » comme les Etats Unis c’est, en finances publiques, l’équivalent de se lancer dans le nucléaire civil. Il faut le savoir et y réfléchir. Avec comme repère ce constat de la semaine. Même Trump prend cela au sérieux.