La Russie accepte de réduire de 300 000 barils jour sa production. Après l’avoir amené à un niveau record depuis l’accord d’Alger. Décryptage d’une stratégie de centralité montante sur le marché pétrolier.
Sitôt l’accord de Vienne entré en vigueur au soir du 30 novembre, voilà que la Russie premier pays exportateur d’hydrocarbures hors cartel, qui durant les deux mois de tractations qui ont suivi l’accord d’Alger, avait noyé le marché pétrolier de sa surproduction atteignant depuis le mois de septembre le pic des 11 millions de barils/jour, se distingue le soir même de l’accord, par une décision singulière.
Réduire de 300.000 barils/jours sa production, mais par étapes tout au long du premier semestre de l’année 2017, et le tout calculé sur sa production de novembre-décembre, soit son plus haut niveau depuis le début de l’année 2016.
La Russie n’a pas cessé d’avancer sur une case et de reculer sur une autre sur ses intentions réelles de réduire sa production, en conditionnant celle-ci par l’entente qui devait se faire en premier lieu, entre les membres du cartel eux-mêmes durant les deux mois des négociations qui ont suivi l’accord d’Alger.
Faut-il donc croire que la Russie a offert des « étrennes » de fin d’année aux pays de l’OPEP pour consolider la remontée des prix, et permettre aux économies des pays les plus fragilisés par la chute de leurs revenus de souffler un tant soit peu, elle qui ?
Force est de reconnaître que la Russie et à sa tête Vladimir Poutine, qui a le vent en poupe avec la montée des nationalismes et du protectionnisme dans le monde (Brexit, élection de Trump aux USA, surprise de François Fillon aux primaires de la droite en France, avantage russe sur le théâtre syrien), n’agit nullement en fonction des rapports de force du moment, mais bel et bien sur la base d’une stratégie réfléchie, calculée, et nullement en mode action-réaction.
L’observation durant ces deux mois qui se sont écoulés depuis la conclusion de l’accord d’Alger, des déclarations du ministre de l’Energie russe, des apartés qu’il a accordé et des fuites organisées à son niveau et relayées par des engagements du président Poutine, démontrent que les phases actuelles par lesquelles évolue la diplomatie économique russe sur cette question, obéissent à un plan préalablement conçu, dont la matrice repose sur la théorie du déséquilibre volontaire du marché.
Dans le monde des Échecs, un déséquilibre représente tout ce qui peut différencier la position « blanche » de la position « noire », sur le terrain réel, la Russie a réussi à différencier sa position à chaque fois face à ce que fût la position d’accord décrochée au forceps par les membres de l’OPEP.
Le processus de la position russe qui est loin de se limiter à souffler le chaud et le froid, tend à exploiter les avantages de sa position tout en s’efforçant d’en réduire au minimum les inconvénients et non les désavantages structurels (ceux-là prennent plus de temps et s’inscrivent sur le long terme).
De l’art de tirer profit des particularités d’une position
Durant ces soixante longues journées et autant de nuits depuis l’accord d’Alger, la Russie n’a eu de cesse de cultiver et de développer sa particularité sur la question de son adhésion ou non en tant que premier producteur au monde de pétrole, à l’idée d’un gel de la production, et plus tard d’une réduction de sa production.
Le pays camarade s’emploie alors lors de toutes les rencontres qui ont foisonné depuis l’accord d’Alger (Istanbul, Vienne, Doha, visites ministérielles, accueil de chefs d’Etat, rencontres bilatérales, échanges téléphoniques) à singulariser sa position tout en figeant celle des autres, aucun autre pays ne pouvant plus se permettre de s’y soustraire y compris les deux adversaires Iran et Arabie Saoudite.
La profusion d’événements favorables à la politique russe dans le monde, le retrait attendu de la menace de l’oncle Sam à la suite de la défaite du chantre de l’interventionnisme du gendarme américain la candidate Clinton, ont fini par placer le Kremlin dans une position particulièrement favorable, et depuis, le pays camarade s’emploie à l’utiliser selon sa stratégie du déséquilibre volontaire.
Le pire ennemi de l’imprévu, le sentiment de certitude
La veille de la rencontre de Vienne le ministre Russe de l’énergie a plombé l’espoir d’un consensus et jeté l’incertitude sur un accord du cartel sur la diminution de la production. On notera que plus personne ne parle de gel de la production en référence à janvier 2016.
Alexander Novak dira : « qu’il ne sera pas à Vienne, cela ne sert à rien », » il faut d’abord que l’OPEP fasse sa réunion », pour préciser plus loin sa pensée : » disponibilité à discuter d’une coopération éventuelle si le cartel parvenait à un accord sur une limitation de la production ».
De tel propos montrent que la Russie ne prend pas le risque de se retrouver acculée à adopter une position de principe, sans que les garanties les meilleures ne lui soient assurées, et pourtant la veille de cette déclaration de nature à décourager les plus intrépides, le président russe et celui de l’Iran au cours d’une conversation téléphonique ont fait part de leur soutien aux mesures prises par l’OPEP en vue de limiter la production du pétrole.
Peut-on alors croire que le ministre russe va à contresens de la position de son président ? Il devient clair qu’à ce niveau et comme dans un théâtre d’ombres, la position de certitude de la réussite de la réunion de Vienne, ne pouvait être que le pire ennemi de l’imprévu, que les russes abhorrent le plus dans leur plan reposant sur le déséquilibre volontaire du marché.
De l’utilité suprême de prêter attention à l’adversaire
Le camarade pays privilégie dans sa consolidation du déséquilibre volontaire, la position qui consiste à battre l’adversaire sur sa position préférée, notamment si ce dernier a tendance à favoriser la manœuvre aléatoire et à chercher le prestige de celle-ci.
La Syrie constitue aujourd’hui cette position dans laquelle les alliés de Moscou (Syrie et Iran) gagnent bataille après bataille, imposent farouchement leur domination sur le terrain, la destruction de la ville d’Alep et son rasage presque total « et il le sera avec le temps », est pour les russes un simple atavisme de l’histoire.
Ils connaissent mieux que quiconque dans ce monde du 21° siècle, le sort des villes dévastées vécues lors de la deuxième guerre mondiale, eux qui n’ont eu aucun mal à faire vivre le même sort à Grozny durant la première et la deuxième guerre de Tchétchénie, dans leur logique de zéro tolérance face à la subversion, la sécession et le terrorisme.
La Russie tire profit de la règle de jeu en échecs qui stipule que » si on veut battre son adversaire, on doit étudier les parties qu’il a perdues », et sur ce terrain, les expériences de la Russie sur le sol Afghan, sont largement suffisantes, y compris celles similaires des USA sur le sol irakien.
L’Arabie Saoudite et les autres pays satellites se sont résignés à admettre que depuis le 08 novembre 2016, le désengagement futur de l’oncle Sam via l’isolationniste Trump, va accentuer leur isolément, et les marges de manœuvre naguère soutenues à coup de pétrodollars relèvent aujourd’hui du passé, que du passé.
Le rapport à la fatalité chez les russes est exceptionnellement singulier, il relève même du dogme chez tous les hommes de grande entreprise (l’homme suprême sait utiliser la fatalité, comme le marin utilise le vent, quel que soit sa direction). Dixit Gustave le bon.
De la stratégie du déséquilibre volontaire du marché
A la veille de la rencontre d’Alger le 30 septembre dernier, la Russie affichait un record de production de pétrole en devenant son premier producteur au monde avec 11 millions de barils/jours, et depuis cette date, cette hausse spectaculaire de la production, s’est conjuguée avec la mise en service de nouveaux gisements et de nouveaux projets même dans l’extrême septentrion de l’arctique.
Cette frénésie dans la production avait comme corollaire l’objectif d’inonder le marché par le produit russe, de maintenir élevés les stocks qui arrivaient à saturation de par le monde, et de pousser par conséquent à une pression sur les prix du pétrole, qui après avoir connu une éphémère montée le lendemain des accords d’Alger, ont repris leur tendance baissière durant plusieurs semaines.
Cette démarche avait pour soubassement de pousser le marché vers la baisse, et de ne laisser ni le temps ni les possibilités de manœuvre aux autres, pour agir autrement sur le marché.
En déséquilibrant volontairement de la sorte le marché par sa forte production, la Russie s’installait en acteur incontournable pour tout ce qui concernera et les décisions du cartel, et celles des pays hors-OPEP, mais dans un espace de temps relativement court, étant donné que les possibilités de maintenir plus longtemps un tel volume de production demeureront très difficiles pour elle.
En agissant de la sorte sur l’équilibre général du marché qui existait au lendemain des accords d’Alger, la Russie a anticipé par ses manœuvres, la trajectoire future de ce que seront demain les accords de Vienne du 30 novembre dernier.
Dans les jeux d’échecs encore une fois, celui qui occupe le centre, apprend à contrôler les côtés, la Russie a occupé le plus haut niveau de la production, elle a eu le contrôle sur les prix du marché et sur la trajectoire des accords de l’OPEP.
De la précision des effets à la célérité du déploiement
La démarche russe ne s’est pas limitée à agir sur une production record pour garder le marché sous tension, elle s’est élargie à d’autres actions aussi précises dans leurs effets, notamment en devenant à compter du mois de septembre 2016 un acteur clé de la guerre en Syrie, dans laquelle son engagement plein et total ne souffre plus d’approximations.
La Russie devant l’imminence des élections aux USA, a mis les bouchées doubles, prévoyant le retrait de ce pays de la scène internationale, empêtré dans une campagne électorale devenue et considérée comme la plus satirique et caricaturale de l’histoire de ce pays.
Par la célérité du déploiement stratégique de ses forces armées, la Russie a par ailleurs entamé l’agrandissement de sa base navale dans la ville de Tartous pour en faire une installation permanente, mais aussi pour construire une nouvelle base militaire dans la ville portuaire de Jabala, accentuant d’une part sa présence, et mettant définitivement le monde et les occidentaux, OTAN en premier lieu, face à une nouvelle rivalité et un nouveau défi.
Ce positionnement irréversible dans le soutien à la Syrie du Président Assad est un signe de soutien irrévocable contre le gré de l’Arabie Saoudite, qui fragilisée de toutes parts, et engluée dans son conflit au Yémen, perdait largement de ses initiatives, et continue à subir lourdement le poids des finances de ses campagnes guerrières hasardeuses en Syrie et au Yémen.
La fin de l’histoire est connue, son premier épisode est arrivé à terme le soir même de ce 30 novembre à Vienne. Une autre stratégie se dessine déjà, elle est annoncée d’une manière subliminale, elle reposera sur la domination du marché de la production des pays hors cartel, en poussant les autres à accentuer la réduction de leur production de 300.000 barils/jours.
Mais cette stratégie ciblera dans son segment dit de la précision des effets, une occupation plus agressive du pôle arctique, au nez et à la barbe de la ligne de défense de l’OTAN : la Norvège, deuxième producteur de pétrole au monde après la Russie et non membre du cartel. A suivre …
LIRE AUSSI : Iran et Arabie saoudite : pourquoi la géopolitique n’a pas empêché l’accord d’Alger
(*) Redouane Malek est le directeur du magazine algérien spécialisé en énergie « Oil & Gaz Business » (OGB magazine)