Le second semestre de 2016 a été celui du redressement relatif du marché du pétrole, ce qui a fait oublier un autre grand thème de l’actualité énergétique, le fameux peak oil, tombé dans l’oubli.
Plus personne ne parle de peak oil. Pourtant, ce concept a été au centre de débats passionnés pendant de longues années, entre spécialistes du secteur pétrolier. Géologues, économistes, mathématiciens adeptes de modèles prêts à la consommation, stratèges militaires et stratèges tout court se préoccupaient fortement de ce peak-oil aujourd’hui passé de mode.
Ce pic de la production de pétrole se basait sur une idée simple : la terre contient une quantité limitée de pétrole ; à un moment ou un autre, il ne sera plus possible de continuer à produire du pétrole au même rythme. La production devrait donc engager un déclin, après une possible stagnation de quelques années. Quand se situerait ce moment où la production cesserait d’augmenter, avant d’engager un déclin inévitable ?
Une première estimation avait situé ce moment au tournant du siècle. D’autres parlaient de la période entre 2010 et 2015. Est-ce cela qui a provoqué l’envolée des prix jusqu’à il y a deux ans ? Plus raisonnables, ou plus rassurants, d’autres analystes rejettent ce moment fatidique vers 2030, ou plus tard. Peut-être vers la moitié du siècle.
Nombreuses inconnues
Les explications ne manquent pas pour justifier ces revirements. Si les données de base relatives au caractère limité des réserves disponibles font consensus, les variables demeurent nombreuses : rythme de la consommation mondiale, niveau d’investissements, économies d’énergie plus efficaces que prévu, émergence de sources d’énergie alternatives, amélioration des techniques de recherche et d’extraction, qui ont permis d’améliorer de dix points en un demi-siècle le pourcentage des volumes récupérés, nouvelles découvertes à des profondeurs inaccessibles jusque-là, sur terre et dans les océans, etc.
Résultat : la production de pétrole continue d’avancer d’un million de barils par jour en moyenne chaque année depuis deux décennies. Elle était de 75 millions de barils par jour juste avant la crise de 1998. Elle est autour de 95 millions de barils vingt ans plus tard. Selon l’Agence internationale de l’Energie, autorité reconnue dans le domaine, la consommation devrait s’établir à 96.1 millions de barils/jour en 2016, et 97.4 millions en 2017. A ce rythme, elle franchirait le seuil symbolique des 100 millions de barils/jour avant 2020.
Le spectre continue de s’éloigner
Jusqu’où ira la consommation ? Pour le moment, il faut bien admettre que le spectre du peak oil continue de s’éloigner. Plus personne ne le considère comme imminent. Il n’y a pas de pénurie de pétrole dans le monde, alors que trois pays à fort potentiel, l’Irak, la Libye et le Nigeria, font face à une forte perturbation de leur production. En temps normal, ces trois pays mettraient à eux seuls sur le marché plus de cinq millions de barils supplémentaires par jour.
Sur le long terme, la question se pose différemment. Avec de nombreuses inconnues. Certes, les grands gisements dans le monde sont sur le déclin. On découvre moins de pétrole qu’on en consomme, répètent en chœur les théoriciens du peak oil, qui nous dévoileront dans quelques années leurs nouvelles prévisions, en nous expliquant peut être que le fameux pic interviendra lorsque la consommation de la Chine, de l’Inde et celle du continent africain se rapprocheront des standards occidentaux. Le peak oil serait alors fixé non par la capacité de production, mais par les limites de la consommation
Un ogre très utile
En attendant, le peak oil n’a pas été inutile. Il a joué un rôle essentiel pour permettre au prix du pétrole de passer du seuil de 20-30 dollars, à celui de 100-120 dollars. Cette transition, subie sans dommage particulier par l’économie mondiale, a débouché à son tour sur des résultats inattendus. Elle a changé nombre de données, en permettant notamment l’exploitation de gisements non conventionnels que personne n’envisageait il y a vingt ans.
Grâce au schiste, la production de pétrole des Etats-Unis a ainsi augmenté de 57% entre 2008 et 2014, replaçant brièvement les Etats-Unis comme premier producteur mondial de pétrole, alors que le peak oil américain était supposé dater de près d’un demi-siècle. Le peak oil a aussi contribué à un formidable redéploiement de la carte énergétique mondiale, avec trois effets majeurs.
Le premier concerne les Etats-Unis, qui sont aujourd’hui en mesure de se passer du pétrole du Proche et Moyen-Orient ; le second concerne le déplacement du marché énergétique vers l’Asie, où la Chine et l’Inde, et dans une moindre mesure la Corée, vont constituer les principaux débouchés pour la croissance de la consommation ; le troisième concerne une accélération remarquée des énergies renouvelables, avec une baisse sensible des coûts. Seule l’Algérie est restée en rade de cette mutation majeure.