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Tunisie: « Il nous reste la transition économique à réussir » (Fadhel Abdelkefi)

Par Maghreb Émergent
17 juillet 2017
Tunisie: « Il nous reste la transition économique à réussir » (Fadhel Abdelkefi)

 

 

Fadhel Abdelkefi,  ministre tunisien du développement et de l’investissement nous parle de la situation dans laquelle se trouve actuellement son pays mais surtout des  défis qui restent encore à relever.

 Maghreb émergent : Cela fait presque une année que vous êtes au gouvernement. A votre arrivée, la crise battait son plein. Depuis, la situation s’est-elle débloquée ou s’est-elle plutôt compliquée?

 

Fadhel Abdelkefi : La situation de la Tunisie s’est beaucoup améliorée sur le plan sécuritaire grâce à une coopération étroite avec plusieurs pays ; notamment l’Algérie. La sécurité est un socle important.  Sur le plan politique, la situation s’est également améliorée. Aujourd’hui, nous sommes dans uns stabilité politique certaine. Nous avions un gouvernement d’union national issu d’un dialogue national qui repose sur un socle, le document de Carthage, qui représente une garantie de stabilité politique. Nous avons, par ailleurs, enregistré un frémissement positif de la situation économique qui est le corollaire du retour à la sécurité et la stabilité politique. Nous avons en effet connu un taux de croissance de 2.1% d’année en année  et de 0.9% durant le premier trimestre de l’année 2017.  Nous prévoyons aussi une bonne année touristique grâce, notamment à nos frères Algériens. Il y a enfin le retour à la production du phosphate qui commence à fonctionner à un rythme normalisé.  Nous nous attendons à une saison agricole meilleure par rapport à celle d’avant. Bien sûr, en matière de perception et de crédibilité, la Tunisie commence à revenir sur la scène internationale. Grosso modo, la situation s’améliore et elle reste relativement fragile sur le plan économique. La lutte contre le terrorisme est une lutte permanente et la guerre économique est aussi une guerre de tous les jours. Nous travaillons à réussir cette reprise économique et à la consolider.

 

 

Les solutions préconisées par votre gouvernement pour parer à la crise suscitent-elles l’adhésion espérée auprès des acteurs économiques, sociaux et, plus généralement, de la population ?

 

Il y a uns sondage qui vient d’être fait et qui montre clairement que la population soutient le Chef du gouvernement Youssef Chahed ; dans l’essentiel de ce qu’il a entrepris sur les plans politiques, économique ; notamment la lutte contre la corruption. Le gouvernement a aussi l’appui des principales organisations nationales, notamment les syndicats des travailleurs et le syndicat des patrons.  Ceci dit, un soutien ne devrait pas nécessairement porter sur tous les points. Il y a toujours des dialogues à faires, une marge pour la discussion avec les acteurs politiques, économiques et sociaux.

 

Parmi les principaux obstacles à la mise en place de votre politique de redressement du pays figure le manque de financements. Comment comptez-vous venir à bout de ce problème ?

 

Il faut rappeler que plus de 85% du tissu des entreprises tunisien est constitué de PME et de PPE ;  c’est le cœur battant de notre économie. Effectivement ; nous nous rendons compte  que très peu de crédits vont à ces entreprises. Nous avons pris plusieurs dispositions pour consolider les fonds de capital risque ; travailler sur la micro-finance, travailler sur les banques des régions et les banques des PME ; structurer des crédits extérieurs destinés à la PME, demander aux banques d’êtres plus regardantes sur cette catégories d’entreprises et leurs accorder des avantages fiscaux ; et accélérer le renforcement de leurs fonds propres par le marché alternatif de la bourse de Tunis.

Quelles sont les perspectives qui s’offrent à la Tunisie en matière d’investissement, de résorption du chômage et de promotion des exportations à court et à moyen termes?

Aujourd’hui, nous n’avons pas le choix. La Tunisie a beaucoup de chômeurs dont une grande partie de diplômés. Nous avons fait une transition politique et nous avons pu la mener sereinement pour arriver à un gouvernement d’union nationale. Maintenant, nous sommes établis dans une démocratie naissante. C’est un acquis pour les Tunisiennes et les Tunisiens. Mais il faut réussir la phase économique. Et réussir la phase économique, c’est renouer avec la croissance.  La Tunisie a tout ce qu’il faut pour croitre à des rythmes beaucoup plus élevés, beaucoup plus inclusifs. Nous sommes très compétitifs, les plus compétitifs de la rive sud de la méditerranée. Il faudrait juste remettre le pays au travail.

L’économie tunisienne a-t-elle les moyens pour renouer durablement avec la croissance et le développement ?

 

A l’indépendance, la Tunisie n’avait pas beaucoup de moyens mais elle a pu accéder à un développement humain convenable grâce à de bonnes décisions du père fondateur de la Tunisie, le Président Bourguiba ; notamment dans l’Education, la santé et le planning familial. Toutes ces dispositions font de la Tunisie un pays qui a un bassin d’emploi très important, une technicité reconnue et qui sait commercer. Avant, on a cru à des taux de  5 et 6%. Mais, on s’est rendu compte que ce n’était pas assez inclusive et que cela ne touchait pas toutes les régions du pays.  Maintenant, on est capable de reprendre la croissance à des taux de 3% et 4% et d’une façon plus inclusive facilement. Je suis convaincu que nous en sommes très capables.

On peut donc dire que le gouvernement Chahed n’est plus ce qui se dit dans la rue, à savoir « un Gouvernement de pompiers » ?

Dans un  gouvernement, il y a toujours une composante « pompiers ». Nous sommes dans une situation qui reste malgré tout fragile, un pays post-révolution. Je ne pense pas que la journée d’un ministre après la révolution est la même que celle d’un ministre avant la révolution.  Nous parons à des situations compliquées à courts termes et c’est nécessaire. Mais, pour reconstruire le pays, c’est dans le moyen et le long terme que nous inscrivons notre action.  Le Chef du gouvernement, Youssef Chahed, a parlé, dans son discours du 14 janvier,  du « nouveau rôle de l’Etat tunisien », « des réformes à mener notamment dans la fonction publique, le système bancaire », etc. Nous avons clairement une vision stratégique qui s’inscrit dans le moyen et le long terme même si, parfois, nous nous trouvons dans l’obligation de faire face à des urgences dues essentiellement au fait que nous sommes dans une phase de transition.

La lutte contre la corruption est une des priorités du gouvernement Chahed.  Est-c-ce que ce n’est pas un pavé dans la marre qui risque de perturber la situation ou, au contraire,  un moyen de regagner la confiance de la population et des acteurs politiques, économiques et sociaux ?

 

Le discours sur la lutte contre la corruption n’est pas un effet d’annonce. La lutte contre la corruption ne vise pas à faire monter la popularité du gouvernement dans les sondages.  C’est une politique que nous avons entamée et qui, nous l’espérons, va durer dans le temps, une politique qui vise à dire simplement qu’il n’est pas concevable dans une démocratie que quelqu’un vive et travaille dans un pays sans payer ses impôts. Il n’est pas non plus concevable qu’il y ait un  marché parallèle important, qu’il y ait une activité économique informelle qui concurrence déloyalement l’activité formelle, sachant que tout cela porte un immense préjudice à la communauté nationale. La lutte contre la corruption figure parmi les priorités du gouvernement et pour longtemps. Elle figure d’ailleurs dans l’accord de Carthage qui représente le socle sur lequel il repose.  Nous avons jusque-là eu quelques réussites qu’il faut consolider et qu’il faut multiplier. Il faut que la Tunisie ait une économie qui évolue substantiellement dans le formel. Il est inacceptable de bafouer les lois de la République, quelle que soit l’importance des acteurs qui en sont coupables.

Les relations algéro-tunisiennes sont bonnes mais les échanges et les partenariats entre les deux pays restent minimes. A peine 200 entreprises tunisiennes sont présentes en Algérie et  moins de 50 entreprises algériennes en Tunisie ; des échanges sont de moins d’un 1.5 milliard d’euros. Y a-t-il encore des efforts à faire de part et d’autre ou l’Algérie et la Tunisie ont-ils déjà atteint les limites objectives de leurs possibilités d’échanges et de partenariat ?

 

La situation que vous décrivez n’est pas symptomatique seulement des relations algéro-tunisiennes mais  des relations entre tous les pays des la région et même tous les pays arabes.  Nous perdons chacun, au niveau du Maghreb, entre 1.5 et 2% de croissance par année à cause de la non-intégration économique de la région. Le Maghreb est malheureusement l’une des régions les moins intégrée dans le monde. Ce qui est particulier dans l’histoire de l’intégration de cette région, c’est que les relations économiques ne se sont jamais élevées au niveau des relations fraternelles diplomatiques. Etre l’Algérie et de la Tunisie, la coopération économique est très en-deçà des potentialités que recèlent les deux pays. On constate que ces derniers temps, il y a un intérêt croissant des investisseurs tunisiens pour l’Algérie  et des Algériens pour la Tunisie. Mais concrètement, les échanges restent timides. Il faut œuvrer à développer les relations économiques et commerciales entre les deux pays qui sont complémentaires sur bien des niveaux. Il n’est pas normal que l’on aille chercher en Europe ce que chacun de nous peut trouver chez l’autre et à des prix très compétitifs.

 

Justement, il y a la Zale et un Accord préférentiel entre l’Algérie et la Tunisie qui garantissent  le libre échange entre les deux pays. Mais, certains acteurs économiques des deux pays disent que ces deux accords ne sont pas toujours respectés. Pourquoi ? Qu’en est-il en vérité ?

 

On ne peut pas contredire les agents économiques qui sont tout le temps confrontés à la réalité du terrain. Ceci dit, le non respect de ces accords peut s’expliquer par la complexité des lois dans les deux pays. Partout dans le monde, à chaque fois qu’il y a un problème, on se met autour d’une table pour l’aplanir.  Un assouplissement des lois et des cadres d’échanges peut parfois durer longtemps. A titre d’exemple, même si l’Union Européenne existe depuis des décennies, il y a toujours de petits blocages qui surgissent ici et là mais qui se règlent par le dialogue. Je pense que l’intérêt des commissions mixtes réside justement là puisqu’elles permettent d’identifier les difficultés du terrain et d’y remédier rapidement et efficacement.

 

Un débat sur l’intégration économique de la région s’enclenche en Algérie, en Tunisie et au Maroc.  Que représente pour vous la perspective d’un marché commun maghrébin et d’une monnaie commune maghrébine?

 

Pour moi, ce n’est pas seulement une perspective, mais un rêve. Les générations qui nous ont précédés n’ont pas pu le faire. J’espère que la nôtre continuera à bâtir les relations qu’il faut pour qu’un jour  cette région puisse être intégrée économiquement, monétairement  et en matière de circulation des personnes comme c’est le cas un peu partout dans le monde. C’est quand on est un bloc qu’on est fort dans la négociation. Il faut que les pays du Maghreb sachent aligner leurs intérêts pour pouvoir avancer ensemble. Jusque-là, nous n’avons pas été assez pédagogues pour montrer à quel point il y a un alignement possible des intérêts de chacun. C’est le moment.

 

Les économies des pays de la région ont-elles suffisamment mûres pour s’intégrer ?

 

Il n’y a pas d’économies mûres et d’autres qui ne le sont pas.  Je connais très bien le cas des pays de l’Afrique de l’ouest francophone. Ce sont des pays en voie de développement comme les nôtres et qui ont parfois beaucoup plus de retards par rapport aux pays d’Afrique du nord,  mais qui sont complètement intégrée économiquement et monétairement et qui enregistrent des réussites dans nombre de domaines. Les décalages des économies les une par rapport aux autres ne sont pas nécessairement un élément négatif. Bien contraire, si les choses sont bien faites, il se dégage toujours une sorte de pays locomotive qui titre les autres vers l’avant.

 

 

 

 

 

 

 

 

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