Impacts de la baisse du cours du brut sur les réserves de change et le Fonds de régulation des recettes (2e partie) - Maghreb Emergent

Impacts de la baisse du cours du brut sur les réserves de change et le Fonds de régulation des recettes (2e partie)

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Dans cette seconde partie d’une contribution dont la première partie a été publiée hier, l’auteur* s’intéresse notamment aux retombées de la baisse des cours pétroliers sur les réserves de change. En cas de cours du baril moyen de 60 dollars, met-il en garde, ces réserves s’épuiseront horizon 2019.

 

  

Les importations algériennes ont été de 20,048 milliards de dollars en 2005, de 21,456 milliards en 2006, de 27,631 milliards en 2007, de 39,479 milliards en 2008, de 39,294 milliards en 2009, de 40,473 milliards en 2010, de 47,247 milliards en 2011, de 47,490 milliards en 2012, de 55,028 milliards en 2013 et, enfin, de 58,330 milliards en 2014.

La loi de finances pour 2015 prévoit 65 milliards de dollars d’importations de biens, et ce, malgré la règle des 49-51% et le passage du Remdoc au Credoc, instauré par la loi de finances complémentaire pour 2009 et qui devait limiter les importations. Selon le Centre national sur l’information statistiques des douanes (CNIS), le solde de la balance commerciale (y compris les exportations hors hydrocarbures) a évolué comme suit: 24,989 milliards de dollars en 2005, 33,157 milliards en 2006, 32,532 milliards en 2007, 39,819 milliards en 2008, 5,9 milliards en 2009 (moment de la crise d’octobre 2008), 16,580 milliards en 2010, 26,242 milliards en 2011, 24,376 milliards en 2012, 9,946 milliards en 2013 et seulement 4,626 milliards en 2014.

L’excédent commercial important entre 2005 et 2008 a permis le remboursement de la majeure partie de la dette extérieure par anticipation. Mais la balance commerciale a peu de signification à elle seule, et nous devons toujours prendre en compte la balance des paiements incluant les mouvements de capitaux, y compris le mouvement des services, l’Algérie étant, dans ce domaine, un importateur net. Le solde de la balance courante s’est détérioré, notamment entre 2012-2014. Il a été de 30,6 milliards de dollars en 2007, de 34,5 milliards en 2008, de 0,4 milliards en 2009 (coïncidant toujours avec la crise de 2008), de 12,1 milliards en 2010, de 19,7 milliards en 2011, de -8,3 milliards en 2012, de -16 milliards en 2013 et de -17,9 en 2014. Cette tendance devrait s’accentuer en 2015.

Il en est de même du solde de la balance des paiements : 29,6 milliards de dollars en 2007, 35,7 milliards en 2008, 3,9 milliards en 2009, 15,3 milliards en 2010, 20,1 milliards en 2011, -7,2 milliards en 2012, -14,2 milliards en 2013 et -15,9 milliards en 2014. En effet, aumontant des achats de biens à l’étranger, il faut ajouter les importations de services, dont le montant en 2013, selon la Banque d’Algérie, a été de plus de 10,739 milliards de dollars, contre 4,78 milliards en 2006. Si l’on prend en moyenne 11 milliards de dollars de services entre 2012 et 2014, les sorties de devises, y compris les transferts légaux de capitaux des compagnies étrangères (une moyenne de 7 milliards de dollars par an), ont été de 65 milliards de dollars en 2012, de 73 milliards en 2013, de 76 milliards en 2014 ; elles seraient de 83 milliards de dollars en 2015, si l’on tient compte des prévisions de la loi de finances.

 

Baisse inquiétante des réserves de change

 

Les réserves internationales d’un pays sont, généralement, l’ensemble des disponibilités composant le portefeuille des actifs que sa Banque centrale détient (devises, or, droits de tirages spéciaux). Pour l’Algérie, environ 83% des réserves sont placés à l’extérieur, dont 40% en euros, 40% en bons du trésor américain et 20% dans les banques internationales AAA.

Après une dizaine d’années de hausse continue, les réserves de change de l’Algérie sont en recul. Rongées par la hausse des importations et la chute des cours du pétrole, elles ont chuté de 15 milliards de dollars entre fin mars et fin décembre 2014. Selon le FMI, elles ont évolué ainsi : 110 milliards de dollars en 2007, 143,1 milliards en 2008, 148,9 milliards en 2009, 162,2 milliards en 2010, 182,2 milliards en 2011, 190,7 milliards en 2012, 194 milliards en 2013, 187,6 milliards en 2014. Pour 2015 et 2016, dont les prévisions sont établies sur la base d’un cours de 80 dollars le baril, elles seront, respectivement, de 172,6 milliards et 157,1 milliards. Or le cours du brut s’établit, depuis juin 2014, dans une fourchette de 55-58 dollars pour le Brent et 45-50 pour le WIT.

Pour le gouverneur de la Banque d’Algérie, dans une déclaration en date du 19 mars 2015, lesréserves de change algériennes se sont établies à 178,94 milliards de dollars au 31 décembre 2014, contre 194,012 milliards de dollars à fin 2013. Or la loi de finances pour 2015 donne un déficit supérieur à 52 milliards de dollars. Au rythme actuel de la dépense publique, des versements de salaires sans contrepartie productive, les réserves de change s’établiront entre 30 et 40 milliards de dollars par an entre 2015 et 2020. En cas de cours du baril moyen de 60 dollars, elles s’épuiseront horizon 2019 et elles s’épuiseront horizon 2022 en cas de cours du baril moyen à 70 dollars. Comme conséquence nous aurons un dérapage du dinar et une tendance inflationniste que l’on comprime provisoirement par des subventions et des transferts sociaux mal ciblés et mal gérés (environ 60 milliards de dollars en 2014, soit 27-28% du PIB).

Le calcul du taux d’inflation, comme le taux de croissance, se calcule annuellement d’une période T2 par rapport à la période T1.

Le taux d’inflation officiel est biaisé : il doit être éclaté par produits selon le modèle de consommation par couches sociales (fonction de la stratification du revenu national) et il est de surcroît comprimé artificiellement par les subventions sans lesquelles il dépasserait 10%. Un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales. Une analyse pertinente devrait lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociale, devant déflater par le taux d’inflation réel pour déterminer le véritable pouvoir d’achat. 

La dépréciation du dinar par rapport tant à l’euro et au dollar se répercute tant sur le pouvoir d’achat des ménages que sur les opérateurs qui ne disposent que de très peu de visibilité sur les perspectives d’évolution de la valeur de la monnaie nationale. Ces derniers sont exposés aux risques de change, la réglementation de la Banque d’Algérie ne permettant pas l’achat à terme de devises.

Les réserves de change, outre qu’elles sont actuellement une des clefs de la diplomatie algérienne, permettent de sécuriser l’investissement et surtout d’éviter un dérapage plus important de la valeur du dinar, par rapport aux devises. Il existe une corrélation d’environ 70% entre la valeur actuelle du dinar et ce stock de devises via la rente des hydrocarbures. Autrement, le dinar flotterait à une parité de 300/400 dinars l’euro. Rappelons ici qu’il existe une disparité importante entre le cours officiel et le cours sur le marché parallèle du dinar algérien avec un différentiel variant entre 45 et 50%.

 

Menaces sur le Fonds de régulation des recettes

 

Qu’en est-il de l’impact de la chute du cours des hydrocarbures sur le fonds de régulation des recettes ? Précisons que le dérapage du dinar de 20% par rapport au dollar gonfle artificiellement de 20% le Fonds de régulation des recettes calculé en dinars ainsi que la fiscalité hydrocarbures voilant l’importance du déficit budgétaire. Créé en 2000, ce fonds est alimenté par les différences entre le prix du pétrole vendu sur le marché et le prix de référence (37 dollars le baril) retenu par la loi de Finances.

Le solde budgétaire/PIB hors hydrocarbures est inquiétant pour la période 2007/2014 : -42,6% en 2007, -51,5% en 2008, 42,9% en 2009, 37,6% en 2010, 43,8% en 2011, 47,1% en 2012, 33,8% en 2013 et 36, 9% en 2014. Fortement sollicité pour les dépenses d’équipement, le fonds de régulation des recettes est passé de 5 238,80 milliards de dinars à fin 2013, contre 4 773,51 milliards au deuxième semestre 2014 représentant un décaissement de 465,29 milliards de dinars, soit environ 6.1 milliards de dollars. En pourcentage du PIB selon le FMI il aurait évolué ainsi : 34,6% en 2007, 38,9% en 2008, 43,1% en 2009, 40,2% en 2010, 37,2% en 2011, 33,4% en 2012, 33,4% en 2012, 31,6%% en 2013, 27,1% en 2014. Sur la base de plus de 80 dollars le baril, moyenne 2015/2016, le FMI tablait sur un taux de 21% en 2015 et 15,6% en 2016. Or, la loi de finances 2015 prévoyait des recettes budgétaires de 4.684,6 milliards de dinars et des dépenses publiques de 8.858,1 milliards de dinars, soit un déficit budgétaire de 4.173,3 milliards de dinars , plus de 52 milliards de dollars au cours de la monnaie nationale établi par la loi de finances, 79 dinars un dollar, autrement dit environ 22,1% du PIB, qui devait être alimenté par le fonds de régulation des recettes. Au vu de la conjoncture pétrolière, le déficit sera donc plus important. La loi de finances pour 2015, en réalité, se base sur un cours de 120 dollars le baril (37 dollars étant un artifice comptable peu réaliste). Or sur la base d’un cours de 60 dollars le baril le fonds de régulation des recettes au rythme de la dépense actuelle devrait s’épuiser dans 24 mois et à un cours entre 60/ 70 dollars dans et 36 mois.

 En résumé, qu’en sera t-il avec la chute du cours des hydrocarbures avec un système bancaire dominé à 85% par les banques publiques et avant la crise pétrolière du programme quinquennal d’investissement de 262 milliards de dollars sur la période 2015-2019 ? Il s‘agira impérativement de redéfinir les priorités. Car, le problème central stratégique pour l’Algérie entre 2015/2025, est de réaliser la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, fondée sur le savoir, des entreprises compétitives et la bonne gouvernance, devant privilégier des co-localisations et des co-partenariats gagnants/gagnants s’insérant dans le cadre des valeurs internationales dont son espace naturel est l’espace euro-méditerranéen et africain, l’Afrique, continent qui devrait tirer la croissance de l’économie mondiale à l’horizon 2030/2040. 

 

(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management stratégique.

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