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In memoriam Mohamed Fechkeur : un humble nous a quittés (contribution)

Par Maghreb Émergent
juin 12, 2020
In memoriam Mohamed Fechkeur : un humble nous a quittés (contribution)

Le vendredi 5 juin, nous quittait Si Mohamed Fechkeur, connu par ses intimes sous le pseudonyme de ‘’Mguedem’’ et appelé affectueusement ou respectueusement ‘’Si El-Hadj’’ par son entourage . C’est un humble qui s’en va après avoir tant donné.

El Hadj Mohammed Fechkeur est né et a grandi sous le soleil de la porte du sud, à Laghouat, à l’ombre des palmiers et des jardins qui embaumaient les ruelles de parfum de fleurs d’oranger. Orphelin de père et issu d’une famille modeste, il s’était forgé dès l’enfance la volonté d’aller aussi loin que possible dans ses études. Arrivé au terme de l’école ‘’ primaire ’’, sa ville ne disposait pas encore de CEM, mais lui était de ceux qui avaient assimilé la devise du Prophète Mohamed (QSSL) : « Cherchez le savoir jusqu’en Chine ». Porté par ce rêve radieux, il quitte le pays et la ville qui l’a vu naître et qu’il porte dans son cœur, vers l’Europe (France Allemagne, Suède),  pour être enfin affecté par le GPRA pour des études supérieures en chimie industrielle en Allemagne. Dix ans plus tard, il revient en Algérie avec le titre d’ingénieur.  

Une école d’excellence et une génération exceptionnelle

Armé d’expérience, de savoir accumulé et de projets plein la tête pour contribuer au développement du pays, il assure de brèves missions dans le secteur des hydrocarbures et DNC/ANP avec le Colonel Aouchiche. A la fin de 1966, on lui confie l’annexe de l’IAP de Hassi Messaoud, constituée de quelques baraques plantées dans un terrain aride, sans moyens et sans budget, ‘’il n’a pas pu résister à l’appel du sud et surtout à son rêve de formation des compétences ; il a délibérément choisi la carrière de bâtisseur et de formateur ; dédaigneux des facilités de la vie, et des honneurs fugaces, il s’est consacré à cette mission discrète et difficile jusqu’à ingrate, il s’est plié à toutes les exigences ; il a d’abord assuré l’algérianisation de la formation à l’IAP d’Hassi Messaoud puis son développement et plus tard sa transformation et extension de ses missions et attributions sous le nom de Naftogaz’’.

L’Allemagne qui dispose d’un des meilleurs modèles de formation professionnelle au monde, a su l’appliquer à tous les secteurs du monde économique y compris celui des services. Mohamed Fechkeur ayant fait sa formation dans ce pays, a réussi à reproduire en Algérie le modèle allemand de la formation professionnelle. Il a gardé avec ce pays de nombreuses attaches, chose qui lui a permis de faire de l’IAP, de Hassi Messaoud une école performante.

En s’attaquant à un secteur presque exclusivement contrôlé par les sociétés occidentales comme c’était le cas pour les hydrocarbures, il s’est investi dans la formation des foreurs dès 1968. Son choix allait se révéler capital à travers la maîtrise par les techniciens algériens (à la tête desquels se trouvaient les Iapistes -diplômés de l’IAP-), de la production de pétrole au moment du retrait des techniciens français, au lendemain des nationalisation des hydrocarbures en 1971.

Mohamed Fechkeur a fait de l’IAP de Hassi Messaoud devenu par la suite Naftogaz, un centre d’excellence reconnu à travers le monde comme l’un des meilleurs sites de formation de techniciens dans le domaine du forage pétrolier. Les diplômés qui sortaient de l’école étaient demandés partout à tel point que les “majors pétrolières” se les arrachaient. Ils ont pu ainsi occuper divers postes de responsabilité dans les quatre coins du globe.

La renommée de l’école a atteint une telle notoriété en si peu de temps, que les ambassades étrangères priaient les autorités algériennes d’assurer à leurs ressortissants quelques places sur ses bancs.

Jusqu’au bout, Mohamed Fechkeur est resté attaché au Sud et à son école. A maintes reprises, il refusa des propositions alléchantes : stage de deux ans au Japon avec la garantie de diriger une raffinerie à son retour en Algérie, direction du nouvel institut algérien des pétroles à Boumerdes, conseiller au sein de l’équipe de Hamrouche à la Présidence de la République chargé de la formation professionnelle…

Remercié prématurément à la fin de 1997, il se retrouve sans logement. Il rejoint ses enfants qui avaient monté une petite entreprise de services. Il a pu alors trouver sur le terrain encore aride de RedMed à Hassi Messaoud, une cabine pour habiter. Il s’engagera par la suite dans un troisième parcours qui s’avérera aussi fructueux que les deux précédents. Malgré des enjeux différents, ce sera pour lui un nouveau challenge où la formation restera l’axe prioritaire se des préoccupations.

Vingt ans plus tard, à force de labeur et de rigueur, il se retrouve à la tête d’un groupe, avec une dizaine de filiales, qui emploie plus de deux mille travailleurs et qui occupe le haut du tableau des entreprises les plus performantes du pays…

La formation était son sacerdoce 

Mohamed Fechkeur est d’abord un formateur. Il a su inculquer tant de valeurs à ses enfants qu’à ses élèves, aussi bien l’amour du travail que la rigueur du terrain.

Dans les pays développés et émergents, la politique de la formation professionnelle est au cœur du développement. Aujourd’hui plus qu’hier, la réduction du chômage est étroitement liée à une politique de formation professionnelle performante.

Il considérait à juste titre ce paramètre comme la locomotive du développement. Il a puisé dans son intelligence et a déployé tous ses efforts pour faire de l’Iap de Hassi Messaoud, une des meilleures écoles au monde pour les techniciens de forage pétrolier.

L’homme a fait de la formation son sacerdoce. Il a réalisé de grands projets et toutes ses œuvres vous marquent le souci du détail… ‘’ Il s’agit ici d’un de ceux qui, toute leur vie durant, sans relâche, ont semé ces graines et autour d’eux, de ceux qui les y ont accompagnés, à une phase, un peu, beaucoup ou tout le temps.’’

Ses contributions marquantes peuvent être qualifiées de « succes stories » ‘’ car, au delà de leur impact matériel immédiat ou durable, elles constituent un patrimoine immatériel ; leur exemplarité est l’une des plus grandes forces d’entrainement, plus que tous les enseignements, tous les discours, toutes les injonctions, c’est le guide vers la confiance en soi, et, partant, le compter sur soi,  une petite pierre dans la mosaïque de l’histoire, et aucune pierre n’est remplaçable par une autre’’.     

Son vœu le plus cher était de continuer à former des gens. Pourquoi tant d’intérêt pour la formation alors que l’essentiel des activités qu’il gérait s’articulait autour des services ? Mohamed Fechkeur avait conscience que les besoins du pays en matière de main d’œuvre qualifiée étaient aussi importants qu’auparavant. Les réserves en hydrocarbures pourraient suffire encore pour cinquante ans de plus, mais sous réserve de réhabilitation des puits.

Les techniciens formés suivant le modèle appliqué par Mr Fechkeur sont aujourd’hui en voie d’extinction, car ils appartiennent à une catégorie ayant déjà rejoint le ciel ou le confort de la retraite. D’aucuns sont partis l’étranger. Souvent, il évoquait ce problème avec ses visiteurs, il était hanté par la formation, prêt à se lancer dans une nouvelle aventure comme celle de l’IAP. Il en faisait sa préoccupation l’après pétrole, tout en sachant que le sud algérien disposait d’un taux d’ensoleillement remarquable et qu’il y aura beaucoup à faire dans le domaine des énergies renouvelables.

Dans cette perspective qu’il a organisé avec le staff allemand de Desertec (Dii), un séminaire sur l’énergie solaire à Adrar en 2016, lequel a été suivi par un autre à Laghouat en 2017. La formation lui tenait toujours à cœur. Il était persuadé que le pays ne pourrait s’en sortir qu’en misant dessus, mais en privilégiant de qualité, pour disposer de techniciens « exportables ».

Un homme hors du commun

Pour les personnes qui l’ont connu, Mohamed Fechkeur est un homme hors du commun. ‘’ Sa force et sa résilience proviennent de sa foi, sa patience et permanente sérénité, il a ainsi réussi à intégrer et apprivoiser l’environnement et les caractères, il a d’abord imposé puis inculqué sans douleur aux hommes une discipline martiale dans toute sa gestion avec son sourire toujours affiché. Ainsi, un officier supérieur de l’ANP nous a dit après sa visite à Naftogaz «… au delà, le sens de l’organisation de votre ami est au moins aussi militaire que le nôtre».  Lors d’une autre visite où il expliquait les méthodes de formation de l’institut, une personne lui a dit qu’Albert Einstein, avait aussi dit quelque chose de semblable « la connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information », c’est bien résumé, je suis d’accord avec lui, a-t-il répondu.

Quand on avait la chance de le rencontrer, il était toujours égal à lui même, le visage toujours souriant, jovial, malgré les épreuves, les vents de sable et le soleil torride de Hassi Messaoud. Il a construit, il a planté, il a formé, il a transmis’’.   

‘’En plus de ses qualités humaines, Mohamed Fechkeur donne durablement l’impression d’être un vrai leader, pragmatique et surtout visionnaire. Il fût un formateur de formateurs, en contribuant au développement du potentiel énergétique du pays, l’Algérie. Tout cela est fait en gardant à l’esprit la notion du terroir, de la famille étendue et celles des enfants de ce pays.’’     

Les gens qui ont entendu parler de lui pensent que c’est un homme d’affaires. D’autres qui ont eu la possibilité de le croiser ou de le rencontrer, gardent de lui le souvenir d’un homme très humble, facilement accessible, très avenant et plein de respect pour autrui. Pour ceux qui ont eu la chance de le connaître, ils savent qu’ils ont eu à faire à un homme particulier, plein de qualités humaines, dont on cherche la compagnie et qu’on a toujours plaisir à revoir.

L’itinéraire de Mohamed Fechkeur, a été retracé dans un livre édité en 2018 par A. C. com, intitulé : « Mohamed Fechkeur : il n’y a de richesse que d’hommes ». Le message qui se dégage de la narration de son expérience devrait réconcilier les jeunes avec le travail. Il montre que l’espoir est permis lorsqu’on a à faire à des hommes motivés, tout en sachant, cependant, que rien ne peut être obtenu sans sacrifice.

P r Mostéfa Khiati

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