Le prix de cession du pétrole dépendra tant des facteurs économiques futurs que géostratégiques. Alors quelles perspectives pour l’initiative algérienne, certes louable, afin de redresser les cours du pétrole, objet de cette contribution.
1.- L’Algérie pèse moins de 4% de la production commercialisée de l’OPEP, moins de 1% des réserves mondiales de pétrole, 1,5% des réserves mondiales de gaz traditionnel. L’OPEP elle-même représente 33% dont 35 % de la production est assurée par l’Arabie Saoudite. Les plus grands producteurs hors OPEP (67%) sont la Russie et les USA qui avec la révolution du pétrole-gaz de schiste approchent la production journalière en barils/jour de l’Arabie Saoudite. Le facteur économique déterminant, outre l’évolution des cotations du dollar et l’euro- toute hausse du dollar, bien que n’existant pas de corrélation linéaire, pouvant entraîner une baisse du prix du baril-, est le retour ou non de la croissance de l’économie mondiale et notamment des pays émergents qui connaissent un ralentissement de leur taux de croissance surtout la Chine dont la croissance de 7% est due essentiellement au relèvement des taux d’intérêt, le BTPH contribuant à plus de 25% de son PIB et ce afin d’éviter la bulle immobilière. A cela s’ajoute la surproduction par rapport à la demande où existe un écart de 2,5 millions de barils bien que l’OPEP par la voix de l’Arabie Saoudite ait décidé de maintenir son quota à 30 millions de barils/jour jusqu’à la fin du premier semestre 2015. Il ya lieu de tenir compte de l’introduction du gaz/pétrole de schiste américain qui bouleverse toute la carte énergique mondiale, étant passé de 5 millions de barils/jour de pétrole à 8,5 actuellement. Les USA prévoient en 2015 environ 9,5 millions de barils jour, passant ainsi du rang de grand importateur à celui du plus grand producteur de pétrole brut (tenant compte de la consommation intérieure) devant l’Arabie Saoudite et la Russie, tout dépendant de la stratégie saoudienne où d’ailleurs les grandes compagnies américaines sont fortement implantées. Au cours du premier trimestre 2014, les USA ont produit 11 millions de barils de pétrole brut/jour. Etant également devenu le plus grand producteur mondial de gaz naturel depuis 2010, à l’horizon 2017-2020 les USA risquent de devenir exportateur (ayant diminué ses importations de gaz et de pétrole de l’Algérie de plus de 50% en 2013) en plus des nouvelles technologies poussant le bloc USA-Europe qui représentent actuellement plus de 40% du PIB mondial pour une population inférieure à un milliard d’habitants à l’efficacité énergétique. Donc, une prévision de réduction de 30% de consommation d’énergie. L’Algérie utilise toujours avec les mêmes méthodes de constriction et un système de transport axé sur la consommation de l’énergie traditionnelle. Les tendances sont à une nouvelle division et spécialisation internationale avec la concentration de l’industrie manufacturière forte consommatrice d’énergie en Asie qui absorbera 65% de la consommation mondiale horizon 2030, notamment l’Inde et la Chine. Les relations clients –fournisseurs seront à l’ avantages de ces deux pays qui ont des avantages comparatifs et pousseront à la baisse des prix.
2.-Cependant, pour comprendre l’évolution du cours, l’on doit éviter une projetions linéaire du modèle de consommation énergétique mondial. Des recherches poussées actuelles préfigurent une révolution par l’hydrogène entre 2030/2040, le carbone pour le gaz de schiste ne demandant pas d’eau et économisant 80% des produits chimiques, mais opérationnel et surtout rentable qu’entre 2020/2025. L’on doit faire confiance au génie humain qui engendrera des nouvelles technologies. Cela dépendra des énergies substituables qui selon les règles de l’économie doivent être produites à grandes échelles (les économies d’échelle) pour réduire leurs coûts. Elles deviennent au prix actuel à un cours variant entre 80/100 dollar, énergie solaire, l’hybride, le charbon dont le recyclage du CO2 étant maitrisé (200 années de réserve). Cela est intenable dans le temps au vu de l’évolution prévisible du cours des hydrocarbures entre 2015/2020. Au vu de l’évolution prévisible du cours des hydrocarbures qui entre 2015/2020, selon l’AIE (voir débat entre A. Mebtoul et Antoine Halff ancien économiste en chef au département US de l’Energie et actuellement responsable au niveau de l’AIE -RFI Paris France -2014) fluctueront entre 60/90 dollars, le pic énergétique est reporté pour l’instant horizon 2025/2030. Car l’offre est appelé à croitre avec les nouvelles découvertes dans le ponde, le Mozambique qui deviendra le deuxième ou troisième réservoir de l’or noir en Afrique, les découvertes de plus de 20.000 milliards de mètres cubes gazeux en méditerranée orientale, le retour de l’Irak qui peut produire plus que l’Arabie Saoudite à un coût inférieur à 20%. Pour le court terme, l’on devra tenir compte que les groupes terroristes contrôlent une partie du territoire en Irak et Syrie et écoulent le pétrole notamment vers la Turquie à 30 dollars le baril et selon certaines sources percevant environ 800 à un millions de dollars par jour. Comme il est à prévoir à horizon 2020, le retour sur le marché de la Libye 800.000 barils/jour actuellement et pouvant aller vers 2 millions de barils/jour, de l’Irak avec 3,7 millions de barils jour (deuxième réservoir mondial à un coût de production inférieur à 20% par rapport à ses concurrents) pouvant aller vers plus de 8 millions et de l’Iran, 2,7 millions de barils jour pouvant aller vers plus de 5 millions. Sans oublier les nouvelles découvertes en offshore notamment en Méditerranée orientale (20.000 milliards de mètres cubes gazeux expliquant en partie les tensions au niveau de cette région) et l’ Afrique ainsi que les nouvelles technologies qui permettent l’exploitation et la réduction des coûts des gisements marginaux. Egalement la stratégie expansionniste de Gazprom, notamment à travers les nouvelles canalisations : le North et le South Stream( provisoirement gelé par l’Europe) qui devaient approvisionner l’Europe d’environ 125 milliards de mètres cubes gazeux , la Russie ayant besoin de financement, les tensions en Ukraine n’ayant en rien influé sur ses exportations en Europe où sa part de marché a été de 30% en 2013 et investissant récemment pour le marché asiatique. L’expérience par le passé a montré que lorsque l’OPEP diminuait sa production, la Russie, qui a des réserves colossales d’hydrocarbures (plus de 25% des réserves mondiales de gaz traditionnel) , et contrairement aux discours, l’augmentait pour accroitre sa part de marché.
3.- Aussi, le prix plancher ( fonction du coût, l’Algérie devant acheter les brevets, importer l’équipement et les matières premières et donc devant investir dans le savoir faire) sera déterminé, par une entente entre les USA et l’Arabie Saoudite tenant compte du coût des gisements marginaux US et les coûts des grands gisements dans le monde où les grandes compagnies contrairement aux années 1970/1980 ne sont pas seulement consommatrices mais actionnaires, productrices au niveau des différentes contrées du monde. Sans oublier que le bas prix du pétrole (le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole) permet des économies d’énergie et donc la croissance de la majorité des pays du monde qui n’ont pas ces ressources (l’on parle d’une économie de plus de 45 milliards de dollars uniquement pour la Chine à un cours de 60 dollars le baril ). Car pour les USA la part des hydrocarbures dans le PIB est négligeable, ayant une économie diversifiée autant pour la Norvège, la France ou la Grande Bretagne. Sur le plan géostratégique,le prix sera influencé par l’évolution des négociations avec la Russie (l’Ukraine) et les négociations avec l’Iran. En effet, cela rentre dans le cadre géostratégique avec l’Occident dont les USA pour affaiblir la Russie et l’Iran, qui peut avec les Emiraties le Qatar, Oman, le Koweït, se permettre un cours plancher de 60/80 dollars. L’Arabie Saoudite est donc le seul pays producteur au monde actuellement ( à l’avenir l’Irak) qui est en mesure de peser sur l’offre mondiale, et donc sur les prix. Cette baisse des prix sert les intérêts stratégiques des États-Unis et de l’Arabie saoudite, assure Thomas Friedman dans le New York Times le 25 avril 2014. Dans un discours prononcé à l’université de Harvard, le prince Turki al-Fayçal, ancien responsable de la principale agence de renseignement d’Arabie saoudite et actuel président du centre de recherches et d’études islamiques Roi Fayçal a déclaré que le royaume entend accroître sa production et la faire passer à 15 millions de barils/jour en 2020, devant passer forcément par une entente sur le prix plancher entre l’Arabie Saoudite et les USA. En effet, le cours plancher de certaines grandes compagnies ne peut être inférieur à 70 dollars, le coût du pétrole de schiste US étant déterminant. Pour les pays africains, les régimes en place dépendent largement, de l’influence des USA et de la France ou de la Grande Bretagne et ne pourront pas prendre de grandes décisions sans avoir eu leur aval. Pour l’Algérie, selon le FMI (fonctionnant à 120/130 dollars le baril) avec une sortie de devises approchant les 80 milliards de dollars (importation de biens 60, de services 11/12 et transferts légaux de capitaux 7/9) elle ne peut tenir la route, ne devant pas croire à un retour de prix supérieur à 100 dollars entre 2015/2020. L’on doit raisonner toujours à prix constants et non à prix courants : un baril de 25 dollars en 1980 équivaut en parité de pouvoir d’achat à un prix de plus de 90 dollars en 2015. Avec l’amenuisement de ses recettes d’hydrocarbures traditionnels entre 2025/ 2030, ses réserves de change qui au rythme de la dépense publique actuelle, de versements de salaires sans contreparties productives, de mauvaises gestion (surcoûts exorbitants des projets accru par les surfacturations) ne peut continuer dans cette politique économique suicidaire, sinon les réserves de change s’épuiseront à l’horizon 2020. En cas de non dynamisation des sections hors rente, le dinar algérien ne pourrait que se déprécier à l’avenir avec le retour à l’inflation que le gouvernement comprime actuellement par des subventions généralisées et sans ciblage. Les subventions et transferts sociaux totalisent environ 60 milliards de dollars soit 27/28% du PIB. La solution pour l’Algérie est avant tout interne afin de résister à l’impact négatif de la baisse du cours des hydrocarbures. La manne de 190 milliards de dollars de réserves de change doit être bien gérée dans le cadre des valeurs internationales, afin d’éviter les chocs négatifs des années 1986 en réalisant tant la transition énergétique ( cœur de la sécurité nationale) que la transition économique. Cela renvoie forcément à des facteurs sociopolitiques. Pour toutes ces raisons, je ne pense pas que l’initiative algérienne, bien que louable, (peut être que le président de la république a été induit en erreur par certains conseillers ignorant les mutations géostratégiques ), puisse avoir un impact sur les décisions mondiales en matière énergétique, du moins à court terme. Le cadre macro-économique relativement stabilisé en Algérie grâce à la rente des hydrocarbures est éphémère, sans de profondes réformes structurelles nécessitant de profonds réaménagements dans les structures des pouvoirs. Le défi pour l’Algérie est donc de dépasser l’entropie actuelle est d’engager de profondes réformes micro-économiques et institutionnelles indispensables devant s’adapter tant aux nouvelles mutations mondiales qu’aux mutations internes.
(*) Pr Abderrahmane MEBTOUL, expert international et ancien directeur d’études Ministère Energie-Sonatrach (1974/1979-1990/1995-2000/2006)