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Jean Charles Deniau : « La tombe de Maurice Audin se trouve entre Zeralda et Kolea » – Interview

Par Maghreb Émergent
janvier 10, 2014
Jean Charles Deniau : « La tombe de Maurice Audin se trouve entre Zeralda et Kolea » – Interview

C’est un livre qui va faire du bruit en Algérie et en France. Jean-Charles Deniau, journaliste, écrivain, réalisateur et auteur, vient de faire paraître ce 9 janvier, un livre-choc : « La vérité sur la mort de Maurice Audin ». Maghreb Emergent l’a interviewé sur son livre et les révélations qu’il comporte.

 

L’ouvrage retrace les derniers moments du jeune mathématicien, militant communiste algérien et partisan de l’indépendance de l’Algérie. Jean-Charles Deniau fait plusieurs révélations. Arrêté par l’armée française le 11 juin 1957, Maurice Audin a, depuis, été «porté disparu». Le journaliste se fonde notamment sur le témoignage du général Aussaresses avant sa mort, pour expliquer que c’est le général Massu qui a donné à ses hommes l’ordre d’exécuter Maurice Audin.

Pourquoi ce secret sur la mort de Maurice Audin est si lourd à porter par l’armée française ?

Parce que l’armée française a tué Maurice Audin. Alors que l’on a toujours fait croire qu’Audin avait disparu. D’ailleurs à ce jour, il est toujours officiellement porté disparu. Au fil des ans, l’armée française a cadenassé cette affaire. Le premier étant le général Massu qui a tout fait pour que rien ne soit divulgué sur cette affaire. Que rien ne soit connu sur la mort de Maurice Audin. Et cette omerta a duré plus de 50 ans.

Pourtant le général Aussaresses, que vous avez interviewé pour ce livre, a reconnu dans ses mémoires avoir tué Larbi Ben M’hidi et Ali Boumendjel. Pourquoi donc cette chape de plomb ? Parce qu’Audin était français ?

Oui peut être par ce qu’il était français. Mais peut être aussi parce qu’il y a eu un livre juste après sa disparition, « La question » d’Henri Alleg (militant communiste, ancien directeur d’Alger Républicain, ndlr) et un autre livre « L’affaire Audin », de Vidal Naquet (historien, militant communiste pour l’indépendance de l’Algérie, ndlr) qui ont fait que Maurice Audin soit devenu quasiment un symbole de la répression et de la torture en Algérie.

Pour vous donc l’assassinat de Maurice Audin est bel et bien un crime d’Etat et non une bavure ?

Pour moi, indéniablement, c’est un crime d’Etat. L’Etat français doit reconnaître que Maurice Audin n’a pas disparu. Il y a eu une fausse évasion qui avait été mise en place à l’époque, un stratagème pour faire croire que Audin s’était évaporé dans la nature. Mais il n’a jamais disparu. Il est mort entre les mains des parachutistes du général Massu.

Pourquoi as-t-on assassiné Audin et comment ?

L’équipe de Massu avait entre les mains trois militant communistes : Henri Alleg, Maurice Audin et George Hadjadj. Hadjadj avait parlé. Maurice Audin et Henri Alleg, eux, n’ont pas parlé. Mais au fait, les hommes de Massu cherchaient à arrêter André Moine qui était le responsable de la cellule action du parti communiste algérien, en vain. A un moment, il a été décidé d’en faire un exemple et le choix s’est porté sur Maurice Audin. Ce que je n’ai toujours pas réussi à comprendre, c’ets pourquoi Audin, alors qu’il n’était pas très important dans l’organigramme du parti communiste algérien ? Il était chargé de l’hébergement des cellules action du parti et c’était tout. Apparemment c’est pour l’exemple qu’ils ont décidé de l’exécuter. L’ordre est alors donné par Massu à Aussaresses, dont les sbires vont emmener Audin de nuit dans les faubourgs d’Alger pour l’exécuter à l’arme blanche et l’enterrer dans une fosse dans un endroit que l’on ne connaît pas avec exactitude. Certains témoignages, très peu, parlent de Larbaa. Mais selon les dires d’Aussaresses, et par recoupements, je pense que le corps de Maurice Audin se trouve dans une zone que je situerais entre Zeralda et Koléa même s’il reste quand même un doute, parce que des autoroutes, des immeubles aussi ont été construit depuis. Peut être que des fouilles devraient être entreprises par les autorités algériennes.

Ce fut difficile de faire parler Aussaresses sur Audin ?

J’avais déjà rencontré Aussaresses lorsque j’avais réalisé un documentaire sur la torture en Algérie. J’avais écrit un livre sur lui, sur sa vie, sur son rôle dans les services secrets français après la guerre d’Algérie, quand il était agent du « 11e choc » (l’unité action des services secrets français de l’époque, ndlr). Du temps est ensuite passé. J’ai alors eu l’occasion d’avoir son épouse au téléphone et j’ai découvert une femme hantée par l’affaire Audin, complètement bouleversée et qui n’arrivais plus à dormir au crépuscule de sa vie. Elle voulait que Mme Audin sache la vérité sur le sort de son mari avant que son époux, déjà très âgé, ne disparaisse.
Je suis donc allé le voir une première fois. Mais ça été très difficile pour qu’il se mette à parler. Le général Massu avait dit, juste après l’exécution d’Audin, « c’est une affaire flash » c’est-à-dire secret, on n’en parle sous aucun prétexte. Et d’ailleurs lorsque dans les années 2000, le général Aussaresses a commencé à parler et à dire tout haut ce que tout le monde savait tout bas en France et essayait de le cacher, il a subi les remontrances de l’armée. Il resta donc muet sur cette affaire Audin très longtemps et ne voulait pas en parler. Mais ça le tourmentait et dans les derniers temps de sa vie, il a lâché l’affaire. Il voulait en finir avec et libérer sa conscience juste avant de mourir. J’étais là, au bon moment pour sa confession. Il est d’ailleurs décédé 4 mois après.

La justice française pourra-t-elle ouvrir ce dossier ?

Je ne pense pas. Il y a aujourd’hui malheureusement prescription des crimes commis en Algérie à l’époque. Il y a eu une amnistie il y a bien longtemps. On ne peut plus accuser personne en France de crimes commis en Algérie. L’Etat français peu simplement reconnaître officiellement que c’est un crime d’Etat et c’est déjà beaucoup pour la famille de Maurice Audin et pour les Algériens.

 

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