Par Meziane Isli
Une défaite, une de plus. Cinq petits points en neuf matchs disputés depuis le début de saison. Jamais sans doute, la JSK, club emblématique et le plus titré d’Algérie, à l’histoire singulière, n’a entamé un début de saison aussi catastrophique depuis sa création.
Avec un effectif très remanié, mais dont le niveau est loin visiblement de répondre aux attentes des supporters, un staff dirigeant confronté au sempiternel problème de trésorerie et à d’autres problèmes extra-sportifs, évoluant dans un environnement délétère, la JSK peine à retrouver la flamboyance qui a fait jadis son âge d’or.
Aujourd’hui, elle se fait ramasser à la petite cuillère par les plus novices des équipes. C’est dire la profondeur de la crise dans laquelle elle ploie. A telle enseigne que ses milliers de fidèles redoutent le spectre de la relégation à laquelle elle n’a pas goûté-l ’une des rares équipes de l’élite du championnat national-, depuis son accession à la fin des années soixante. « Je suis responsable des résultats, mais pas du rendement des joueurs. On fait tout à l’entrainement, malheureusement on commet des erreurs de novices. C’est pour cela que je veux partir, car j’ai tout essayé », a lâché, impuissant, peu après le match de samedi contre la JS Saoura, l’entraineur Amrani, comme pour suggérer l’incapacité à remettre à flot un navire qui prend eau de toutes parts.
Arrivé, il y’a à peine deux mois, Abdelkader Amrani, réputé pour sa rigueur et sa compétence, se rend, à la triste évidence de la réalité : Il n’est pas aisé de remettre sur les rails une équipe presque sans âme, en déficit de préparation, à la qualité technique limitée et empêtrée dans une crise dont l’ampleur est sans pareil. Car, la JSK, à l’inverse de nombreux clubs de l’élite, n’est pas un club ordinaire. De par son histoire, les circonstances de sa création, son parcours et sa singularité, elle incarne dans la mémoire de ses supporters, particulièrement dans la sphère berbérophone, un porte flambeau de la revendication identitaire et culturelle.
C’est lors d’une finale de coupe d’Algérie en 1977 que le mot « imazighen » a été scandé pour la première fois par les supporters de la JSK. Cet état de fait, malgré elle, l’a confiné à devenir un enjeu politique au point qu’à l’avènement du défunt président Chadli et dans la foulée des événements d’avril 80, son nom a été changé pour devenir « Jeunesse Electronique de Tizi-Ouzou », du nom de l’entreprise étatique qui la sponsorisait, l’ENIEM. Un changement qui n’a pas eu d’incidence sur la perception que se faisaient les supporters de leur équipe fétiche qu’ils épelaient par « Jugurtha Existe Toujours ».
Aujourd’hui, encore, beaucoup d’observateurs, mais également de ses admirateurs, n’hésitent pas à lier cette crise à des considérations qui dépassent de loin le simple cadre sportif.
Enjeux
S’il est vrai que la crise des résultats est en partie liée à l’instabilité chronique à la barre technique et aux changements fréquents de l’effectif des dernières années, d’autres facteurs extra-sportifs empêchent ce club d’évoluer dans la sérénité. Succédant au défunt Mohand Chérif Hannachi, en 2017, lui-même contesté en raison d’une crise de résultats mais également de sa proximité avec l’entourage de l’ex Président, Abdelaziz Bouteflika désigné président d’honneur du club et dont un portrait géant ornait les gradins du stade du 1er novembre, l’ex président Cherif Mellal a tôt fait d’essayer de nettoyer l’entourage du club de « nombreux parasites » agissant pour le compte de cercles divers et de fédérer les supporters autour du club en jouant sur la fibre identitaire.
Une approche qui s’avéra payante puisque non seulement l’équipe a renoué avec les bons résultats, mais elle a également suscité un engouement tel que même des familles se déplaçaient au stade.
Reste que la dimension prise par le nouveau président, conjuguée à certains de ses comportements et l’image offerte par le club, dont sa participation à la marche de soutien au patron de Cévital qui était en bisbilles avec les autorités, l’exhibition des joueurs avec l’emblème amazigh, la mise en place d’un comité de soutien au club au sein de la diaspora ou encore sa participation au Hirak ont fini par être mal perçus et à lui attirer des inimitiés. La campagne de dénigrement suscitée qui le ciblait, notamment à travers les réseaux sociaux, en l’accusant même de sympathie avec les promoteurs de la sécession a fait le reste.
Dès son installation, après le limogeage de Chérif Mellal, la nouvelle direction conduite par Yazid Yarichène s’est employée à se défaire de l’image laissée par son prédécesseur en annonçant qu’il « n’est pas du genre Matoub Lounes », entendre un certain chauvinisme identitaire, et qu’il n’est « pas celui qui se rendra dans les dechras pour manger du couscous », allusion aux tournées de Chérif Mellal dans les villages de Kabylie.
Une année après son arrivée, ses détracteurs lui reprochent non seulement de n’avoir pas mis sur pied une équipe performante, faute d’argent (dans un contexte de crise économique qui touche également de nombreux clubs), mais aussi d’avoir perverti, par certains aspects, les valeurs qu’incarnait la JSK dans l’imaginaire de ses supporters : une équipe autour de laquelle se fédèrent certaines valeurs et luttes pour lesquelles la région de Kabylie, et au-delà la population berbérophone, est engagée.
Et rien ne symbolise l’enjeu autour duquel se trouve le club prisonnier que ces dissensions qui minent la direction actuelle : entre ceux qui réclament l’ouverture du capital et ceux qui convoitent l’arrivée d’une société nationale. En filigrane, l’enjeu du contrôle d’un club pris dans l’étau des manœuvres politiciennes.
Pourtant, au regard des mutations dans la société et les exigences du professionnalisme, la JSK gagnerait à assoir des normes et des règles qui la mettront à l’abri des contingences politiques, sans pour autant nier son identité. Mais le peut-elle aujourd’hui ? En attendant le bout du tunnel, l’équipe continue à broyer du noir au grand dam de ses amoureux qui ne reconnaissent plus celle qu’ils ont connues jadis et portée au pinacle par de nombreux artistes.