Pour Saïd Boukhelifa, ancien cadre au ministère du Tourisme aujourd’hui à la retraite, les compétences dans le secteur touristique existent, c’est le tourisme qui est inexistant !
Le poste de ministre du Tourisme est resté vacant durant 46 jours. Comment expliquez-vous cette situation, surtout qu’on est en pleine saison estivale ?
L’absence de la nomination d’un ministre du tourisme depuis le 28 mai et jusqu’au 12 juillet dénote l’insouciance, l’indifférence et le peu de crédit qu’accordent les pouvoirs publics à ce secteur économique important, mais qui demeure une richesse dormante non exploitée depuis plus de trente années ! Chaque nouveau ministre qui arrive mesure l’ampleur du retard à rattraper, observe et constate les dégâts au niveau des ZET (Zones d’extension touristique) qui sont détournées ou amputées de portions de terrain.
En 1976, on avait inventorié 19 ZET A Jijel, en 2017, il en reste 10 seulement. Le reste est détourné pour « utilité publique » ou par des privés favorisés. La wilaya de Tipaza a perdu deux ZET en 2010, Boumerdès aussi deux ZET en 2014 …etc. au niveau national, on peut compter jusqu’à 20 ZET disparu. Les raisons sont toujours les mêmes, négligence du secteur touristique et absence de culture touristique chez les décideurs !
Est-ce que l’abandon de ce secteur reflète l’image de l’absence de la culture touristique chez nos responsables et encore plus chez les citoyens ?
Absolument, l’Algérie qui est considérée parmi les vingt plus beaux pays du monde et aux gisements touristiques uniques au monde. Le tourisme demeure un secteur orphelin des pouvoirs publics, voire à l’abandon comme vous le soulignez, depuis 1981! Ceci reflète, en effet, l’absence d’une culture touristique qui dégouline du sommet de l’état jusqu’au serveur d’un hôtel !
L’Algérie avait jadis, dans les seventies, appris à faire du tourisme (période que j’ai vécue), car une réelle volonté politique existait, suivie et évaluée, adossée à une adhésion citoyenne, à la construction de nouveau complexes touristiques balnéaires, du niveau Méditerranéen, grâce un architecte de génie, Fernand Pouillon 1969-1974). Ensuite à la formation de qualité de jeunes algériens en France, Suisse, RFA, Liban, Italie,(1968-1975), à l’ouverture de cinq représentations de l’Algérie sous le label ONAT, en Suéd, RFA, France, Royaume -uni, Belgique.
Quel rôle jouent les acteurs du tourisme et de l’artisanat (syndicats, experts, agences de tourismes et de voyages) en ce moment de crise dans ce secteur ?
Les acteurs et opérateurs du tourisme ont un grand rôle à jouer. Les experts par leurs analyses et recherches très fouillées, encore faudrait-il, que les services de l’administration centrale tiennent compte de leurs remarques et de leurs suggestions, ce qui n’est pas le cas de nos jours.
Pourquoi à votre avis ?
Soit par autosuffisance stérile, soit par méconnaissance. Soit par insouciance et indifférence. Les syndicats professionnels défendent tant bien que mal, leur corporation qui demeure encore perfectible et qui n’a pas encore atteint sa phase de maturité. Cela viendra avec le temps, qui n’est pas lointain.
Encore faudrait-il que le ministre de tutelle, leur accorde l’importance qu’ils méritent et n’écoute pas trop certains de ses collaborateurs qui l’induisent en erreur par leurs lacunes !
Il est temps que les pouvoirs publics s’occupent sérieusement de ce secteur en jachère depuis des lustres, trop de retard accumulé, difficilement rattrapable, car s’il faut de l’argent et deux ans pour construire un hôtel, il faudrait vingt ans pour former un bon directeur pour le gérer (Bac + 4 plus 16 années de pratique)
Le premier ministre avait déclaré à l’APN que le nouveau ministre « aura toutes les compétences pour diriger le secteur du tourisme », une façon de sous-entendre qu’il y a une crise de compétence ?
Si le premier ministre Tebboune a réellement sous-entendu devant l’APN, l’absence d’une personne compétente à trouver pour diriger ce secteur moribond. C’est une dérobade de sa part car les compétences touristiques existent, c’est le tourisme qui est absent !
Je préciserai que depuis 1962, une trentaine de ministres du tourisme sont passées, seuls Six avaient le profil et l’envergure pour gérer ce secteur qui demande, un savoir-vivre, un savoir-faire, un savoir -être et notamment une bonne culture générale qui permet d’avoir une ouverture d’esprit !
Attendiez-vous qu’un nouveau profil comme celui de Lekhsen Marmouri, sort des annales de la présidence ?
Le nouveau ministre qui n’est pas un technocrate et dont la nomination a été saluée avec beaucoup de ferveur par les agences de voyage de l’extrême Sud, du Tassili, du Hoggar, du Gourara (Timimoun) et du Touat (Adrar), il aura la lourde tâche de faire relever un secteur titubant sans une mise en tourisme des régions prévue dans le SDAT horizon 2030.
Les agences du grand-Sud qui sont dans une situation précaire depuis 2008 attendent davantage d’un enfant de la région Saharienne, destination qui avait permis à l ‘Algérie d’écrire ses lettres de noblesse durant les années 70-80-90, dans le cadre du tourisme réceptif. Les tour-opérators étrangers étaient satisfaits des prestations fournies par ces agences locales.
Ce ministre, comme les précédents n’aura pas le temps d’achever les quelques chantiers lancés sous sa houlette. Car chaque deux ans ou moins parfois, il y’a changement de responsable du secteur touristique et chacun apporte sa méthode, avec ses qualités et ses défauts !