Abandonner la vaccination des enfants, douter du bien-fondé du vote, ne pas pouvoir exploiter ses richesses ni même les répertorier : l’Algérie du 4ème mandat s’enfonce dans la déprime.
Qu’y a-t-il de commun entre le vaccin, le gaz de schiste et le vote? Ce sont des thèmes sur lesquels l’Algérie a réussi à transformer l’or en zinc. Ce sont des promesses inouïes sur lesquelles l’Algérie pouvait bâtir la prospérité, le bien-être et le confort de ses habitants, mais que le quatrième mandat du président Bouteflika a réussi à discréditer, pour en faire des handicaps et des éléments de désintégration de la vie sociale. A cause d’institutions en déliquescence, d’un personnel politique qui a perdu toute crédibilité et de mœurs politiques typiques d’une ère de dégénérescence accélérée.
La vaccination généralisée a constitué une avancée scientifique majeure du 20ème siècle. Elle a permis d’éliminer des maladies dévastatrices dans l’Algérie post-indépendance. Mais dans l’Algérie du début du 21ème siècle, elle a été remise en cause. Des parents d’élèves en sont arrivés à refuser que leurs enfants soient vaccinés. Une association de consommateurs s’en est mêlée, pour exiger du ministère de l’Education nationale qu’il suspende une opération mise en place depuis des décennies et totalement entrée dans les mœurs. Entre rumeurs sur des vaccins non conformes, sur des produits périmés, sur des accidents supposés avoir fait des victimes, et une administration qui a perdu sa crédibilité, les parents ont été pris par le doute.
Cette situation n’est pas advenue du jour au lendemain. Elle est le résultat d’un long cheminement qui a amené le citoyen algérien à douter de son médecin, de la médecine et de la science de manière générale.
Un faux manifeste
On peut retracer cette évolution en quelques grands rappels. En plus de la dégradation des prestations offertes par certains établissements publics, l’Algérie a vécu, en avril 2013, un acte d’une extrême gravité, auquel on n’a pas accordé l’importance requise : un médecin a publiquement produit un faux. Lorsque le président Abdelaziz Bouteflika avait subi une sérieuse altération de son état de santé, un médecin de renom a publié un communiqué affirmant que le chef de l’Etat avait été victime d’un « accident ischémique transitoire sans séquelles ». Lorsque le président Bouteflika est réapparu, il s’est avéré qu’il s’agissait d’un AVC, avec des séquelles très sérieuses.
Dans le domaine de la santé, il est difficile d’envisager un fait plus grave qu’une perte de confiance entre le patient et le médecin. Le 4ème mandat a révélé qu’on pouvait faire pire : voir des médias de forte audience et des responsables chargés de veiller sur la santé des Algériens encourager le charlatanisme et les charlatans. Cela a donné les fameux épisodes Bellahmar et Zaïbet, qui ont eu un écho immense au sein de la société algérienne. Dans un tel climat, la remise en cause de la science et de la médecine était inévitable. Ce révisionnisme anti-scientifique a atteint son point culminant lorsqu’un « débat » a opposé un médecin et un charlatan !
La surprise Ould Kaddour
Dans le sous-sol algérien, des quantités immenses de pétrole et de gaz de schiste dorment. Il s’agit du troisième ou quatrième potentiel au monde. Mais l’Algérie ne peut les exploiter pour le moment ni même mener les évaluer. Parce qu’une opinion locale, fortement remontée, relayée par les réseaux sociaux, s’y oppose.
Les responsables gouvernementaux avaient beau tenter de convaincre, ils parlaient dans le vide. Mieux : plus ils insistaient, plus l’opinion se radicalisait. Pour aboutir à un résultat inouï : alors que le pétrole de schiste américain est devenu la principale variable d’ajustement du marché mondial, l’Algérie, malgré ses difficultés financières, est dans l’incapacité de recourir à cette richesse !
La nomination de M. Moumène Ould Kaddour à la tête de Sonatrach ne risque guère d’arranger les choses. L’homme a été condamné à une peine de 30 mois de prison pour passation illégale de contrats et espionnage au profit d’une puissance étrangère. Si l’accusation est fondée, il sera perçu comme un corrompu lié à une puissance étrangère, la seule à avoir développé à grande échelle l’exploitation du schiste ; si l’accusation n’est pas fondée, cela confirmera que les institutions ne sont pas crédibles, et qu’elles servent uniquement des intérêts de pouvoir. Dans un cas comme dans l’autre, la nomination de M. Ould Kaddour montre que le bons sens a totalement déserté les allées du pouvoir.
Le vote, acte de foi ?
Reste, enfin, le vote. Celui-ci constitue, malgré Donald Trump et François Fillon, un grand moment de démocratie. C’est l’aboutissement d’années de travail, de militantisme, de mobilisation, de confrontation de programmes. C’est le moment où émergent de nouveaux talents et de nouvelles idées.
Pourtant, le scrutin de mai prochain en Algérie ne soulève pas l’enthousiasme des foules. En plus d’une conviction, largement répandue, selon laquelle le résultat est scellé à l’avance, de nouveaux faits viennent renforcer cette méfiance vis-à-vis de l’urne. Le fils du patron du parti majoritaire au parlement est surpris avec des sommes colossales, manifestement destinées à avantager des candidats. Une dirigeante du même parti est accusée de corruption dans le même but. Un ancien premier ministre et un ancien wali rappellent des fraudes massives dans des élections précédentes, pour favoriser le second parti du pays.
Comment, dans de telles conditions, entendre les quelques rares voix qui tentent de donner un sens et du contenu politique au vote? Comment des militants, totalement désintéressés, et qui ont passé toute une vie dans des combats impossibles, peuvent-ils aujourd’hui convaincre qu’ils ont choisi la tribune du parlement pour s’exprimer, non pour accéder à une vulgaire rente?
C’est dire comment cette Algérie du 4ème mandat a transformé un acte de foi en un potentiel acte de compromission, après avoir introduit le doute dans ses richesses et même dans la science.