La liberté économique – droit pour chaque être humain de travailler, produire, posséder et investir où et quand il le souhaite – n’existe absolument pas dans les pays du Maghreb. C’est l’un des enseignements que l’on peut tirer de l’étude du classement établi par la Heritage Foundation, un think tank basé à Washington, et le Wall Street Journal.
En effet, la dernière livraison de « l’index of economic freedom » (index de la liberté économique), la vingtième depuis sa création, place l’Algérie (146ème), le Maroc (103ème) et la Tunisie (109ème) dans la dernière catégorie, celle des « mostly unfree » (absence presque générale de liberté économique). A titre indicatif, les six premiers pays, ceux qui jouissent d’une « liberté économique totale » sont, par ordre décroissant, Hong Kong, Singapour, l’Australie, la Suisse, la Nouvelle Zélande et le Canada. A l’opposé, parmi les derniers, là où la liberté économique est « réprimée », on trouve l’Iran (173ème), le Venezuela (175ème), le Zimbabwe (176ème) et, bonne dernière, la Corée du Nord (178ème). En examinant le classement, sachant que l’Egypte est 135ème, la Mauritanie 134ème et que la Libye n’est même pas classée, la première conclusion qui vient est que le Maghreb, au sens géographique large, est la zone économique la moins libre dans le monde. En effet, chaque région du monde a, au moins, un champion à l’image de l’île Maurice (8ème) ou du Botswana (27ème) pour l’Afrique subsaharienne tandis que Bahrein (13ème), les Emirats arabes unis (28ème) et le Qatar (30ème) confirment que le Golfe est une région où la liberté économique est bien plus avancée que celle concernant les droits politiques et sociaux. En clair, le Maghreb est donc à la traîne. Une donnée d’importance car ce genre de classement n’est jamais anodin ou neutre. Il circule dans les institutions financières internationales et sert parfois de facteur de référence pour les prises de décision en matière d’investissement pour les états-majors des multinationales. Certes, il est nécessaire de préciser que la Heritage Foundation n’est pas ce que l’on pourrait appeler une institution progressiste. Bien au contraire, il s’agit de l’un des hérauts mondiaux du conservatisme néolibéral (ce fut l’un des fervents soutiens des politiques de dérégulation de Ronald Reagan). De même, le Wall Street Journal, quotidien des affaires, est bien plus droitier, voire réactionnaire (dans ses éditoriaux et pages d’opinion), que son principal concurrent global, le Financial Times.
Un jugement sévère sur l’Algérie
Pour autant, il ne faut pas commettre l’erreur de minimiser l’importance de ce classement. Basé sur un indice composite, il prend en compte le degré d’ouverture de l’économie, le poids de la fiscalité, l’efficacité de la régulation et la qualité de l’environnement des affaires. Concernant l’Algérie, le jugement est très sévère, le pays étant l’avant-dernier de la zone Proche-Orient et Afrique du nord (MENA) puisque seul l’Iran fait moins bien. Selon le document, l’Algérie enregistre l’un des plus importants reculs dans ce classement et si cette tendance se maintient, il pourrait même passer en catégorie « liberté économique réprimée ». The Heritage Foundation, dont les experts planchent déjà sur l’après-Obama en matière de programme économique, pointe l’absence de réformes économiques d’envergure et la hausse continue de dépenses publiques pour, notamment, garantir la paix sociale. Autre motif de critique, la trop forte dépendance aux hydrocarbures et les difficultés rencontrées par les investisseurs étrangers pour s’installer. Deux autres éléments négatifs sont avancés : la faiblesse du marché des capitaux (à peine 1% du Produit intérieur brut) et la fameuse loi du 49/51 qui impose à tout opérateur étranger de demeurer minoritaire dans le capital d’une entreprise créée en Algérie.
Pas flatteur pour le Maroc
Concernant la Tunisie (dont on notera qu’elle fait mieux que l’Algérie malgré sa situation politique incertaine), l’étude rappelle qu’il fut un temps où l’environnement économique était considéré comme « généralement libre ». Parmi les facteurs négatifs, sont cités l’alourdissement de la fiscalité des entreprises et la hausse des dépenses publiques. De même, les entraves au commerce extérieur ainsi qu’un durcissement de la législation du travail sont jugés comme des handicaps ayant entamé l’apport positif des réformes mises en place par le gouvernement de transition dans les domaines de l’amélioration de l’environnement des affaires et de la conduite de la politique monétaire. La Heritage Foundation salue tout de même un léger mieux en ce qui concerne la lutte contre la corruption. Comme pour l’Algérie et la Tunisie, les commentaires concernant le Maroc ne sont guère flatteurs, ce pays ayant lui aussi fortement régressé dans le classement. Gains jugés modestes après la mise en place de réformes, système judiciaire handicapant pour les acteurs économiques (notamment en ce qui concerne le manque d’application concrète des décisions de justice), législation contraignante pour les investisseurs étrangers cela sans oublier une corruption jugée omniprésente. Une chose est certaine, en citant ces points noirs, la fondation conservatrice et le Wall Street Journal ne se laissent pas convaincre par les efforts de communication déployés par les autorités marocaines au sujet de l’émergence économique du royaume.