La presse algérienne regrette l’absence de communication officielle sur un événement rapporté par les médias du monde entier.
La visite du président Abdelaziz Bouteflika à la clinique d’Alembert, à Grenoble, n’a pas été annoncée officiellement à Alger. Son retour au pays non plus. Les autorités algériennes ont choisi de rester dans la non-communication jusqu’au bout alors que les médias du pays relayaient abondamment les informations diffusées par les médias français.
Dimanche, des journaux comme Echourouk et El Khabar titraient sur l’information « disponible » : Bouteflika a quitté la « clinique de Grenoble ». Echourouk « regrette » l’absence de « communication » de la part des autorités qui s’est transformée en « terrain fertile » pour les médias français et arabes qui « se débarrassent, souvent, quand il s’agit de l’Algérie, des traditions de professionnalisme ! ».
Une remarque qui ne manque pas de piquant pour un journal dont la télévision persistait la veille – elle n’était pas la seule – à démentir la présence du président algérien en France. Ce qui d’ailleurs suscite un commentaire acide du journaliste Abed Charef sur sa page Facebook : « La presse algérienne très en retard. Elle n’a pas été la première à révéler le voyage de Bouteflika en France. Elle n’a toujours pas dit quand il est parti, ni comment. Et où il a atterri. Je ne parle pas de ceux qui ont démenti. Là, on n’est plus dans la presse. «
C’était également le cas d’Ennahar qui annonce un « agenda intense » pour le président Bouteflika durant les prochains jours. Il va « recevoir les lettres de créances de plusieurs ambassadeurs », rencontrera le président Turc Tayyip Erdogan et présidera un « important conseil des ministres » et décidera de la « dépénalisation de l’acte de gestion ».
Le Quotidien d’Oran ne s’est pas contenté des informations venant de Grenoble, il choisit de déduire : « Bouteflika regagne Alger ». Le journal critique en éditorial le « mauvais choix » des autorités algériennes de ne pas informer sur la présence de Bouteflika en France et critique les télévisions privées algériennes, « très sources proches » qui persistaient avec un « incroyable aplomb » à dire que le chef de l’Etat était à Alger. « Ces « nouveaux médias » ont fonctionné sur le mode classique de l’entêtement absurde : « oui, c’est une chèvre, même si elle vole ».
L’art 88 et la bataille de « l’après-Bouteflika »
El Khabar note que l’hospitalisation de Bouteflika à Grenoble « rouvre l’appétit de ceux qui demandent l’application de l’article 88 » de la Constitution sur l’empêchement. Une question posée depuis « neuf ans sur la capacité physique et mentale du président à assumer ses missions constitutionnelles ». Mais la mise en œuvre de l’article 88 paraît impossible.
Un ancien magistrat, Abdallah Heboul, explique « que la Constitution contient une brèche voulue en ne précisant pas quelle est l’autorité habilitée à saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il se réunisse et constate l’incapacité du président à assumer ses missions pour cause de maladie grave et durable. L’article en question ne donne pas le droit d’auto-saisine au Conseil constitutionnel. C’est une situation voulue ».
Pour lui, l’article 88 ressemble à quelqu’un « qui construit une chambre sans porte ni fenêtre de manière à ce que personne ne puisse y entrer ». Devant cette impasse, il faudra revenir à la « réalité politique. C’est l’armée en l’absence de toute autre institution forte qui détient les clés de la solution ».
Dans les médias à l’étranger, le journal Raialyoum de Abdelbari Atwan, se désole, dans un éditorial, de la situation dans laquelle se trouvent Bouteflika et l’Algérie : « Le président Bouteflika doit se reposer et ceux qui gouvernent en son nom ne doivent pas le transformer en un nouveau Bourguiba. Le président Bouteflika, qui est entré dans l’histoire en « tant que plus jeune ministre dans le gouvernement de son pays est un grand militant, il a rendu de précieux services à son pays, a réussi à réaliser une stabilité relative lorsqu’il a pris le pouvoir dans une période marquée par une guerre civile sanglante… Le temps est venu pour qu’il se retire avec des honneurs mérités » souligne l’éditorial, en général écrit par Abdelbari Atwan lui-même.
Dans un article dont l’accès intégral est réservé aux abonnés, le journal Le Monde estime que la « bataille de l’après-Bouteflika a commencé ». Le principal souci du régime est de « gagner du temps » alors que « le pays tourne en rond, engagé dans une impasse comme il en a rarement connue », écrit Florence Beaugé.
« Les Algériens, eux, retiennent leur souffle, réduits à des supputations. Qui dirige l’Algérie ? Qui va succéder à Abdelaziz Bouteflika, dont personne n’imagine qu’il ira jusqu’au bout de son quatrième mandat, en 2019 ? Mystère. Pour l’heure, les Algériens « sont dans une grande colère », comme le souligne le sociologue Nacer Djabi, enseignant à l’université d’Alger ».