L’impasse idéologique du printemps arabe (opinion) - Maghreb Emergent

L’impasse idéologique du printemps arabe (opinion)

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Le Printemps arabe n’a pas tenu ses promesses, estime l’auteur de cet article qui en veut pour preuve récente la victoire aux législatives tunisienne de Nidaa Tounes, dirigé par un ponte du bourguibisme qui a aussi présidé le sinistre Parlement de Ben Ali. La jeunesse arabe, écrit-il, « doit reconquérir la rue qui symbolise la conquête de la liberté, l’émancipation culturelle, l’épanouissement artistique, en se souvenant que les Arabes n’ont pas toujours été ce qu’ils sont devenus aujourd’hui ».

 

Trois ans après son mouvement insurrectionnel, le monde arabe fait un bond en arrière. La dernière élection tunisienne vient confirmer le rejet de l’islamisme, le retour à l’autoritarisme et l’échec du printemps arabe. Les adversaires de l’islam politique doivent-ils vraiment se réjouir de la relative victoire des revenants du PSD de Bourguiba et du RCD de Ben Ali?

Le parti vainqueur Nidaa Tounes a été créé par un vieil homme du lointain passé. Béji Caïd Essebsi, 88 ans, fut militant du Parti Socialiste Destourien, ex-ministre de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires Etrangères sous l’ère d’Habib Bourguiba. Militant du RCD, il a été président de la Chambre des députés sous Ben Ali, puis se retira de la scène politique. Il n’y reviendra que 20 ans plus tard, à l’appel du printemps tunisien. Largement favori pour devenir le futur président le 23 novembre, il a axé sa campagne électorale sur le retour à l’autorité de l’Etat. Son discours technocrate ne véhicule aucune idéologie, ni aucun avenir pour la jeunesse tunisienne.

On rappelle que la victoire électorale des islamistes post-printemps arabe avait été une victoire par défaut. Seul mouvement politique ancré et structuré de longue date dans l’opposition clandestine au parti unique, il bénéficiait de deux avantages sur ses adversaires éphémères et disparates : la sympathie populaire pour son combat incessant contre la dictature et un discours idéologique cohérent.

A l’inverse, les adversaires des islamistes n’ont aucune idéologie, ni stratégie, à part l’ambition d’accéder au pouvoir en développant des discours creux de laïcité et de démocratie. Ils reposent sur des individualités, des pseudo-leaders préfabriqués et non sur des mouvements solides.

L’idéologie socialo-communiste n’a jamais réussi à convaincre les peuples musulmans et reste marginale. Le libéralisme occidental est encore perçu comme l’héritier des croisades, promoteur du colonialisme et de l’impérialisme.

Le nationalisme arabe a été l’idéologie dominante du 20e siècle qui a libéré les peuples de l’asservissement colonial, en optant pour la laïcité et en écartant l’islam politique. Mais les dictateurs l’ont dévoyé en interdisant tout exercice démocratique du pouvoir.

Les peuples ont-ils eu tort de renier et d’enterrer le nationalisme arabe pour se retrouver en panne d’idéologie face à l’islamisme ?

 

L’enfermement spirituel et moral des islamistes

 

Au Caire, le nouvel homme fort, Abdelfattah Al-Sissi, a présenté son coup d’État comme un prolongement de la lutte féroce qui opposa, dès 1954, le régime de Gamal Abdel Nasser aux islamistes. Al Sissi a repris à son compte la stratégie nassérienne en bannissant la confrérie des Frères musulmans: « Le rétablissement de la pensée des Frères musulmans est impossible. C’est le peuple qui la rejette. Leur pensée est terminée à jamais. Elle reflétait une stupidité politique et confessionnelle. »

Al Sissi résume une certaine volonté populaire de rejet de l’islamisme qui est devenu un processus de construction-déconstruction du musulman qui ramène tout à Dieu : el mektoub, Inch’Allah, el hamdoullah, kofr, hallal, haram

L’agressivité du discours religieux a débordé l’intelligentsia islamiste en contrariant toute perspective politique, économique et culturelle. Le satellite NileSat a été squatté par des centaines de chaînes religieuses où des prédicateurs martèlent la répétition des interdits, culpabilisent les musulmans, les menacent de punitions divines, cultivent les peurs, …

Le virus du Djihad a envahi la toile et les réseaux sociaux. Le délire collectif djihadiste a été jusqu’à concevoir des « bordels halal » en recrutant des adolescentes pour faire le «djihad sexuel». Au point que des djihadistes ont carrément cessé les combats, trop occupés à assouvir leurs instincts si longtemps refoulés.

L’extrémisme djihadiste est devenu un phénomène de mode macabre chez les jeunes, un déferlement de violence et un suicide collectif. Que peut-on espérer après avoir commis tant de crimes au nom de Dieu, si ce n’est de rejoindre son vaste paradis. Chaque djihadiste est imprégné du sentiment de livrer le dernier combat, celui de la fin du monde.

Le discours religieux a fini par étouffer le discours idéologique. L’islamisme relève aujourd’hui de la psychiatrie. Il a accentué en chaque individu croyant le « gendarme intérieur »que les psychanalystes nomment le «surmoi» qui veille sur les interdits et la soumission, cette voix en nous qui dit : « il ne faut pas ».

Freud a expliqué les contours du Surmoi, monstre intérieur de contraintes, caractérisé par une soumission aveugle aux figures masculines dominantes, une négation radicale du féminin, une utilisation du corps comme ustensile sexuel, un dénigrement systématique de la sensibilité…

Le Surmoi est une « conscience morale » qui s’imprègne à la fois des interdits universels, des interdits culturels propres à chaque civilisation et religion, et des interdits parentaux.

Le poids à porter est devenu lourd pour le musulman, car il transporte en lui l’ensemble des interdits consciemment ou inconsciemment véhiculés par la famille et la société. Le milieu familial est devenu un milieu carcéral. Les partis, les institutions et les entreprises deviennent des maisons d’obéissance, de soumission, d’allégeance, …

L’enfermement spirituel et moral véhiculé par les islamistes a provoqué une crise profonde d’identité, de personnalité et de rébellion chez le musulman qui peut aller jusqu’au reniement de sa propre foi.

Au point que la question cruciale, déjà posée par des intellectuels avertis, est : comment sortir de l’enfermement spirituel et moral des islamistes sans perdre la foi islamique ? Comment sauver l’Islam de l’islamisme ?

 

Le vrai printemps arabe sera culturel ou ne sera pas

 

Les femmes musulmanes sont en première ligne de la lutte contre le carcan moral islamiste. D’abord en victimes. Des statistiques égyptiennes indiquent que plus de 80% des femmes ont été victimes d’agressions sexuelles. Une véritable « chasse à la femme » s’était engagée sur la place Tahrir où plusieurs dizaines de viols ont été recensés. L’armée a instauré des tests de virginité comme un instrument de contrôle social et d’intimidation.

Une intellectuelle égyptienne, Shereen El Feki, ose poser la question essentielle : la révolution sexuelle aura-t-elle lieu dans le monde arabe? « Comment les femmes peuvent-elles vraiment exercer leurs droits sur le plan politique ou économique quand leur corps -surtout leurs hymens- sont hors de leur contrôle, plutôt une affaire familiale qu’une affaire privée? » Elle affirme que « le manque de liberté sexuelle est l’une des multiples frustrations qui ont conduit au soulèvement », sans en être la première revendication. Elle considère que « la vision radicale de l’islam nous a enfermé dans une lecture de la religion plus étroite qu’il y a un millénaire. Ce mouvement de fermeture n’a pas seulement touché la sexualité, mais aussi la culture, la politique et l’économie. »

Une féministe tunisienne, Amina Sboui, alias Amina Tyler, 20 ans, inspirée par le mouvement Femen, a diffusé sur les réseaux sociaux une photographie seins nus avec le slogan : « Mon corps m’appartient et n’est source d’honneur pour personne ». Aliaa Magda El Mahdy, bloggeuse égyptienne de 23 ans, a connu une célébrité mondiale après avoir posté sur Twitter sa photo nue en octobre 2011 pour protester « contre une société de violence, de racisme, de sexisme, de harcèlement sexuel et d’hypocrisie ».

Ces trois femmes ont radicalement posé les prémices d’une « movida » arabe qui n’a pas encore été suivie. Précédée et inspirée par la révolte de mai 1968 en France qui a mis fin à la « vieille France » puritaine du général De Gaulle, la Movida espagnole est née après la mort du général Franco, en novembre 1975.

Le phénomène culturel de la Movida a accompagné la transition démocratique dans l’élaboration d’une nouvelle identité collective cherchant à s’affranchir des démons du passé et à vaincre la peur. La vision ludique et festive de la vie, la libération des mœurs, le renouveau de la vie nocturne, le développement des lieux de rencontre culturels ont libéré la contre-culture populaire face à l’austérité de la culture officielle.

Le désir de renouveau de la jeunesse espagnole contestataire, rebelle, subversive et l’émergence d’une créativité artistique et culturelle, ont contribué à briser les tabous de la société espagnole pour l’intégrer dans la nouvelle Europe moderniste.

La jeunesse arabe doit reconquérir la rue qui symbolise la conquête de la liberté, l’émancipation culturelle, l’épanouissement artistique, en se souvenant que les Arabes n’ont pas toujours été ce qu’ils sont devenus aujourd’hui.

« Les Arabes ont été pendant cinq cents ans la nation la plus éclairée du monde. C’est à eux que nous devons notre système de numération, les orgues, les cadrans solaires, les pendules et les montres. Rien de plus élégant, de plus ingénieux, de plus morale que la littérature persane, et en général, tout ce qui est sorti de la plume des littérateurs de Bagdad et Bassora. », disait Napoléon Bonaparte.

« Dans nos siècles de barbarie et d’ignorance, qui suivirent la décadence et le déchirement de l’empire romain, nous reçûmes presque tout des Arabes : astronomie, chimie, médecine, et surtout des remèdes plus doux et plus salutaires que ceux qui avaient été connus des Grecs et des Romains. L’algèbre est de l’invention de ces Arabes ; notre arithmétique même nous fut apportée par eux. » (Voltaire, Essai sur l’Histoire universelle).

Les Arabes doivent reconquérir et revaloriser l’héritage de toute leur civilisation, pas seulement la religion. Une révolution ne peut se dérouler sous un angle exclusivement politique. Le vrai Printemps arabe sera idéologique et culturel ou ne sera pas !

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