L’annonce en a été faite le 5 juin par le fondateur de l’emblématique marque automobile, qui est en passe de révolutionner le secteur automobile, Elon Musk : Tesla a signé un accord avec le gouvernement de Shangai pour investir 5 milliards de dollars pour la construction de ce qui deviendra la plus grande usine au monde du constructeur américain, pouvant produire 500000 véhicules par an. Cette usine sera propriété à 100% de Tesla.
Cette annonce interpelle à plus d’un titre. Elle intervient en plein guerre commerciale entre les 2 plus grandes puissances économiques mondiales. Cependant, à l’inverse de l’issue du conflit entamé dans les années 80 contre le Japon par les Etats-Unis et la communauté européenne, qui a fini par un accord d’installation des marques japonaises dans le paysage industriel américain et européen, c’est un fleuron industriel du pays entamant le conflit commercial qui voit un de ses fleurons s’installer chez son rival.
Cette audace, que certains esprits chauvins auraient qualifié de tous les noms dans certaines contrées, n’est-il pas l’expression de réalités économiques bien comprises de partenaires qui voient le plus grand marché au monde d’automobile faire fi de la règle des 51/49 qu’il a érigé avec succès grâce à ses formidables avantages comparatifs, et un marché vertigineux, l’assouplir pour mieux engager la mondialisation qui voit en la Chine un acteur à présent de premier plan.
Tesla en effet voit le formidable gisement que représente le marché chinois, et asiatique, le poussant à une implantation industrielle de taille pour contourner les barrières douanières, ajuster sa productivité sur un segment automobile plus concurrentiel, et bénéficier de ressources rares, indispensables aux voitures électriques, que la Chine possède.
Une stratégie d’autant plus surprenante pour la Chine qui lève ses règles draconiennes régissant les investissements étrangers, que des constructeurs tombés sous la bannière chinoise comme Volvo, développent des stratégies de concurrence frontale à la marque Tesla sur le segment des véhicules électriques et ambitionne de proposer une gamme complète de véhicules électriques à l’horizon 2022.
La Chine détient, d’autre part, une multitude de jeunes pousses spécialisés dans le véhicule électrique et des acteurs plus aboutis comme NIO, qui ambitionne de lever des fonds à Wall Street, autre paradoxe, au moment où Tesla annonce envisager d’en sortir, pouvant devenir un acteur industriel américain. La Chine ainsi s’inscrit comme futur leader du marché du véhicule électrique, jugé stratégique, et déploie une stratégie d’investissements à divers leviers pour d’abord, rattraper le gap technologique, puis se positionner en marché incontournable et en devenir un acteur technologique et d’innovation principale.
Le marché du véhicule propre est en passe de bouleverser un marché traditionnel qui peut offrir des opportunités industrielles redoublées pour l’Algérie, une porte pour la région. Ces opportunités butent comme d’accoutumance contre une vision économique insulaire, qui a refusé d’acquérir des constructeurs en difficulté il y a quelques années, malgré des propositions au plus haut niveau, et qui a eu même l’outrecuidance de nous affirmer que l’économie algérienne est taillée pour n’accepter que 4 constructeurs savamment sélectionnés, une couleuvre tellement grotesque que le gouvernement a dû rectifier des discours qui ne craignent aucune incongruité économique pour une savante répartition des parts de marché, sous l’auspice de la règle des 51/49.
A l’aube de ces positionnements économiques en marche, comment un pays comme l’Algérie qui s’est inspiré du modèle chinois pour pondre la règle des 51/49 absolue régissant les IDE, peut-il encore justifier ces règles draconiennes, n’ayant pas les mêmes avantages comparatifs, ni les besoins industriels d’autres pays comme ceux du Golfe trop marqués par la rente et qui ne peuvent déployer des stratégies industrielles plus ambitieuses.
Le socialisme de marché qui inspire divers décideurs économiques algériens fait sa mue dans sa patrie d’origine, depuis les réformes de Deng Xiaoping des années 80, pour devenir l’acteur principal de la mondialisation, et l’Algérie a du mal à réengager des réformes économiques d’envergure, arrêtées depuis la brève mais intense période Hamrouche, mises en sourdine depuis, et la suppression du poste de ministre de l’économie pouvant déployer une vision d’ensemble, en est un symptôme flagrant, pour une gestion minutieuse des prébendes, tiraillés entre les modèles russes et chinois, avec un penchant pour celui qui permet le meilleur contrôle politique pour nous, dit-on, se protéger d’une ploutocratie prédatrice des ressources encore collectivisées, issues de notre sous-sol.
L’image d’un Poutine triomphant des oligarques est le message subliminal véhiculé ici et là pour justifier d’un retour autoritaire, et l’utilité redoublée d’une ploutocratie de façade permet de façonner la reprise en main souhaitée et suscitée.
L’Algérie a tout à gagner à mieux s’inscrire dans la chaîne de valeurs mondiale tout en déployant des stratégies ciblées sur les secteurs qui peuvent à terme représenter des gisements de plus grande diversification et d’exportation, en identifiant les partenaires qui peuvent s’inscrire dans les mêmes stratégies d’avenir, à l’échelle régionale, continentale, voire mondiale.
Sous les auspices d’une vision fondamentalement souverainiste de l’économie, l’Algérie se refuse de prendre une part autre que celle que lui permet un marché tout de même réduit et aspire à capter des marchés avec quelques acteurs nationaux qui ne peuvent pleinement se déployer si son marché domestique reste entravé par un financement limité, des pratiques et des règles dépassées, et non suffisamment accompagné par une gouvernance engluée par des considérations politiques.
Othmane Benzaghou, analyste en Risques financiers