Et si Tebboune jouait le rôle de lièvre et que Benflis était le candidat choisi par ceux qui ont décidé que la solution à la crise algérienne et la fin du Hirak passait par les élections présidentielles ? Oui les deux candidats sont rejetés par la population qui sort manifester depuis près de neuf mois, mais Tebboune symbolise encore plus la continuité du système de pouvoir aux commandes du pays depuis vingt ans et même plus.
Les ambitions de Benflis à l’aune de sa vie, puisqu’il est âgé de plus de 75 ans, ne lui permettent pas de dédaigner cette chance unique. Il sait pertinemment que dans des conditions idéales de déroulement du scrutin présidentiel, il sera battu par n’importe quel autre candidat crédible qui n’a jamais fait partie du système en place depuis l’indépendance, à l’image du nouveau président tunisien. Il n’a de chances de réaliser ses ambitions qu’en composant avec les hommes forts du moment.
Parcours de Ali Benflis
Après avoir été juge, ensuite procureur et procureur général, Ali Benflis a été ministre de la justice dans trois gouvernements différents entre 1988 et 1991, Merbah, Hamrouche et Ghozali. Il devient député en 1997 et directeur de campagne de Bouteflika en 1999, puis son Directeur de cabinet avant d’être nommé Premier ministre à la tête de trois gouvernements successifs. Il n’a jamais évoqué le moindre différent avec Bouteflika et semblait même étonné par sa décision de le limoger lors d’une rencontre à Hydra avec des militants le lendemain de son éviction, alors qu’il était secrétaire général, du FLN, majoritaire à l’APN.
Il se présente contre Bouteflika et son deuxième mandat en 2004, convaincu du soutien de l’appareil sécuritaire et d’une partie de l’armée. Ses résultats, 6% des suffrages, l’éloignent de la politique jusqu’en 2014, date à laquelle il se mesure encore une fois à un Bouteflika diminué et absent de la campagne électorale. Encore une fois, il semblait convaincu d’un soutien des services sécuritaires, d’un Toufik affaibli et mis à la retraite l’année suivant les élections. Il améliore son score (12%), mais fait encore une fois figure de lièvre utilisé par le régime pour justifier l’illusion de course démocratique au pouvoir suprême. Il dénonce la fraude dont il a été victime et décide de créer son parti Talai El Houriat en 2015.
Recul sur les préalables face à un « horizon qui semble se dégager »
Tout semble suggérer que Benflis a reculé sur ses préalables à la tenue d’une élection libre, après sa rencontre avec Karim Younes et son panel et avant même la « suggestion » de la date de la convocation du corps électoral faite par Gaid Salah. Il confirmera sa candidature, alors qu’il était impliqué dans les dynamiques de la société civile, par sa phrase « l’horizon semble se dégager » et « des perspectives s’ouvrent » alors que la campagne d’arrestations d’activistes battait son plein et que le chef d’Etat-major dictait par ses discours périodiques la marche à suivre. Il faut rappeler que Mr Benflis dans un entretien à Radio M, le 04 avril 2019, soulignait l’absence d’injonctions dans les communiqués de l’Etat-major.
Et si Benflis a reçu des assurances, à l’ancienne manière du pouvoir en place ? Même si la candidature de Tebboune a semblé l’agacer, il aurait été rassuré que ce ne serait qu’une fausse piste qui conforterait sa candidature et son passage.
Son programme se chargera de lui donner la légitimité que le Hirak lui refuse. Des promesses électorales qui seraient dans l’ordre et au lendemain de l’élection présidentielle : libération des détenus d’opinion, libération des médias, droit de manifester et levée du blocage de la capitale, désignation d’un gouvernement n’ayant aucun lien avec l’ère de Bouteflika, et même accepter la décision de Gaid Salah de faire valoir ses droits à la retraite (Navigui carte chiffa), et enfin dissolution des deux chambres du parlement et convocation du corps électoral pour de nouvelles législatives, pour installer Talai El Houriat à l’APN.
Les nouveaux députés se chargeront de préparer la réforme de la constitution qu’il aura promise dans son programme électoral. Toutes ces étapes ficelées dans un accord qui sera son assurance à terminer sa carrière politique en réalisant son rêve de présider le pays, en contre partie de garanties d’un profond lifting du système vieillissant, sans en bouleverser ses fondements. Mouloud Hamrouche a averti ceux qui l’ont sollicité pour se porter candidat. Aucun changement radical n’est possible sans un accord préalable et surtout public avec le pouvoir réel. L’accord dans le cas du scénario Benflis existerait. Son silence, lui l’homme de droit, face au mouvement des magistrats le prouve. Il préservera l’essentiel des fondements du système en place.
Benflis réussira-t-il, lui et ses parrains à tromper la vigilance de la lame de fond qui menace l’écroulement de tout le système de gouvernance en place depuis près de six décennies ? C’est un scénario qui pourrait expliquer l’intelligence de l’Etat profond et justifier sa longévité. Le scénario inverse prouverait que ce qui a permis à ce système de se maintenir n’est dorénavant plus en place. Et le pire serait alors à craindre.
Abdenour Haouati