Tous les moyens sont bons afin d’éviter d’être élu sans aucune légitimité – peut-être même vaudrait-il ne pas être élu. Un gouvernement qui le serait de cette manière serait discrédité par la grande majorité de la population et se laisserait emporter au gré du vent. Par-delà les incessants appels des politiciens incitant au vote, il y a la peur, l’anxiété.
Alors que les Algérien(ne)s sont appelé(e)s aux urnes afin d’élire leur représentant(e)s à l’APN, les autorités mènent une campagne sans précédent contre un taux d’abstention record appréhendé.
Selon les chiffres officiels, le taux de participation aux dernières élections présidentielles ne dépassait pas les 48%. Les résultats d’une enquête indépendante menée directement dans les bureaux de vote ont toutefois révélé que ce taux n’aurait pas dépassé les 25%. Or, si l’on tient compte du fait que les présidentielles récoltent généralement plus d’engouement que les législatives, nous pouvons nous demander à combien ce taux se situerait lorsque se tiendront ces dernières le 04 mai prochain.
Les partis politiques en lice pour ces élections en sont réduits à mener une campagne afin de solliciter l’intérêt des lecteurs à aller voter. Ils n’essayent même plus de convaincre les électeurs et les électrices de la pertinence de leur propre programme. L’heure est aux urnes. Peu importe le billet qui sera glissé dans celles-ci. Ce qui compte, c’est de faire son devoir de citoyen(e)s et d’aller voter.
Ces derniers jours, ce sont les déclarations du Premier ministre qui ont sollicité la controverse. Ainsi, lors du discours qu’il a présenté devant une audience féminine, M. Sellal, passant par une blague de mauvais goût, a appelé ces femmes à réveiller leurs maris à « coups de bâton », à ne pas leur préparer de café et même à les « trainer » jusqu’aux bureaux de vote afin qu’ils remplissent leur devoir de citoyens.
De son côté, Mme Houda Feraoun, ministre de la Poste, des Technologies de l’information et de la télécommunication a fait « appel aux Algériens à exercer leurs choix et de participer massivement à ces élections ». Elle a tenu à rappeler que les résultats étaient désormais toujours garantis par la Haute instance indépendante de surveillance des élections (HIISE) qui veille à la conformité de ces élections afin d’assurer, à ce scrutin, une entière transparence.
De l’autre côté de la mer, l’Hexagone aussi est déchirée par des élections pour le moins frictionnelles. Les discordances notoires entre les deux candidats qualifiés pour le deuxième tour de la présidentielle sont tout à fait indéniables. Ce clivage patent ne manque pas de solliciter un intérêt particulièrement prononcé en vue des enjeux que promet cette élection, partout dans le monde et en particulier chez les jeunes algérien(ne)s en quête d’un match politique à la hauteur d’une vraie démocratie.
Pourtant, le phénomène de décrédibilisation de la vie politique en France est presque aussi palpable que celui qui sévit en Algérie. En effet, une large proportion de la population française ne se reconnaît dans aucun des deux camps adverses.
C’est ce déni incontestable qui a poussé le candidat de EM!, Emmanuel Macron, à faire un appel solennel à la population afin que celui-ci ne déserte pas les urnes le jour J. Il a en effet exhorté la population d’aller voter, que ce soit pour un bord ou pour un autre, avant de renchérir, à la blague : « Votez pour moi, de préférence ! ». Pour ce qui est du reste de la classe politique, la majorité des représentant(e)s ont appelé au vote utile ; de voter afin de contrer l’extrême droite.
Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est que d’un côté de la Méditerranée comme de l’autre, et même partout ailleurs où la décrédibilisation de la classe politique se fait de plus en plus retentissante, les politiciens sont aux aguets. Si certains en sont venu à appeler, non pas au vote pour leur parti et leur programme respectif, mais au vote tout court, c’est que les membres de cette classe savent pertinemment ce qu’il y a à craindre si l’un des partis est élu au pouvoir avec un taux d’abstention record. En d’autres termes, on aura beau être élu à plus de 90% des suffrages, cela ne servirait à rien si c’est moins de 20% de la population qui aura contribué à ce score que tout politicien rêve d’atteindre dans ses songes les plus intimes – qui au demeurant est atteignable dans certaines démocraties. Avoir une majorité écrasante lors de tout scrutin ne suffit pas. Il faut en plus une donnée encore plus précieuse que les scores : la légitimité.
Tous les moyens sont bons afin d’éviter d’être élu sans aucune légitimité – peut-être même vaudrait-il ne pas être élu. Un gouvernement qui le serait de cette manière serait discrédité par la grande majorité de la population et se laisserait emporter au gré du vent. Par-delà les incessants appels des politiciens incitant au vote, il y a la peur, l’anxiété, l’angoisse de perdre tout aspect licite afin d’être à la tête d’un pays, mais pas seulement. Même le perdant ou la perdante sortirait la tête un peu plus haute en cas de défaite, nous entendrons alors les « c’est-le-choix-du-peuple » à tout va, du moins dans une démocratie respectable, avant de se retirer et de retrouver son siège respectif dans une assemblée ou dans un sénat.
Si le pouvoir donne une chance et permet aux différents partis politiques d’atteindre les plus hautes sphères du pouvoir, l’abstention, elle, redonne ce même pouvoir à celui à qui il lui revient de droit : la masse populaire.
Aussi, c’est pour cela que la dernière carte du politique sera toujours l’amalgame. Le peuple qui s’abstient par manque de confiance et de reconnaissance envers la légitimité de leurs représentants se fera passer pour un peuple manquant de courage ; un peuple qui se laisse porter par les flots du désespoir tissés par la mélancolie, l’indifférence et le désintérêt voire le dédain de celui-ci envers son propre destin.
Cet argument massue, il faut le dire, est remarquable par l’agencement des sophismes qui le constitue. Le peuple qui s’abstient devient responsable de sa propre déchéance et de sa propre dépravation de par son choix de s’abstenir. Tandis que le politique passe pour le sauveur désabusé, blasé et désenchanté par celui-là même pour qui il se bat afin de lui éviter l’avilissement, le déclin, puis la décadence, c’est-à-dire pour le peuple.
Autant le dire d’emblée : nous ne sommes plus dupes. À force d’avoir martelé ce genre de déclaration qui diabolise le peuple, celui-ci a failli y croire, les politiciens aussi, du reste !
Malgré la soi-disant indifférence du peuple envers la politique et même envers son propre destin, le buzz qu’a soulevé le youtubeur Dzjoker avec sa plus récente vidéo « Mansotich » ainsi que par celle d’Anes Tina, qui ont récolté conjointement plus de quatre millions de « vues » sur les réseaux sociaux, soulèvent un contraste saisissant. Il en est de même pour ce qui est des Insoumis de Jean-Luc Mélenchon, en France, qui ont récolté le plus haut taux chez les jeunes. Ces derniers ne sont donc pas si désintéressés que cela par la politique !
Ainsi, Dzjoker, dans sa vidéo aussi poignante qu’émouvante, reproche aux politiciens de ne vouloir sa voix seulement lorsqu’il s’agit d’élections. Cette même voix finirait par être ignorée et écrasée en la réduisant au silence, aussitôt que ses revendications se feraient entendre.
L’élan extraordinaire des témoignages sur la toile est assez bouleversant, et même, osons le dire, déboussolant ! Celui-ci révèle en effet que ce n’est pas le politique qui est désabusé, mais la population tout entière, en commençant par les jeunes ! Ceux-ci ne sont en fait pas du tout désintéressés par la politique, ils et elles le sont par la politique telle qu’elle est menée aujourd’hui ainsi que par les résultats que promet celle-ci, c’est-à-dire rien.
Le sens véritable de l’abstention finit ici par se cristalliser sous son véritable jour : s’abstenir, c’est dire non à un autre sophisme, celui du faux dilemme, qui est ostensiblement servi au peuple à chaque élection. L’abstention, ici, devient un acte de courage et de résistance qui n’a pas son pareil puisqu’il s’agit de dire tout haut : non ! Le message que l’on envoi est d’autant plus important puisqu’il cristallise lui aussi l’échec de la classe politique.
J’ai envie de dire : je m’abstiens, donc nous résistons !
(*) Cet article a été publié initialement sur le blog de l’auteur sur le Huffington Post Algérie. Son auteur est un Algérien établi au Canada.
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