M A G H R E B

E M E R G E N T

Opinions

La nouvelle Algérie émerge sans conscience d’elle-même (opinion)

Par Yacine Temlali
septembre 22, 2016
La nouvelle Algérie émerge sans conscience d’elle-même (opinion)

Les bouleversement qu’a connus l’Algérie depuis l’indépendance imposent un nouveau modèle de gestion du pays. Or, ceux qui ont la charge de gérer les affaires s’accrochent encore à des méthodes désuètes, totalement inadaptées. Incapables de passer au monde politique moderne, animé par des partis et une société civile autonome, ils imposent un retour à ce qu’ils connaissent le mieux: la tribu, la région, ainsi que différents systèmes d’allégeance hors du temps.

 

L’Algérie a changé. Nous ne vivons plus dans le même pays que nos parents, pour ne pas parler des grands-parents. Mais ces changements d’envergure n’ont pas été accompagnés de l’évolution nécessaire du modèle de gestion du pays ni des institutions. Les dirigeants, les partis, les politiques, n’ont pas pris la mesure des changements survenus et n’en ont pas tiré les conséquences. Ils n’ont pas adapté leurs analyses, encore moins les instruments de gestion.

L’Algérie est aujourd’hui un pays de 40 millions d’habitants. Près de quatre fois plus qu’à l’indépendance. Elle est passée d’un petit pays de la dimension de la Belgique, à celui de nation moyenne en termes de population, proche de l’Espagne et de l’Italie. D’ici la moitié du siècle, il y aura autant d’habitants en Algérie qu’en France. Alger, à elle seule, compte aujourd’hui autant d’habitants que la moitié de l’Algérie à l’indépendance.

En termes de population, l’Algérie se situe désormais dans ce qu’on peut appeler le quatrième palier. Après le premier palier (les géants que sont la Chine et l’Inde), le second (les pays de forte population comme les Etats-Unis, le Brésil et le Pakistan), et le troisième, concentrant plus de 100 millions d’habitants (Japon, Mexique, etc.), le quatrième palier regroupe des pays dont la masse démographique leur permet d’avoir une présence régionale, pour peu qu’ils réussissent à développer en parallèle leur économie et leur puissance militaire.

 

Un million de naissances par an

 

La population algérienne a aussi changé de profil. A domination rurale et analphabète à l’indépendance, elle est aujourd’hui urbaine et instruite. Les chiffres demeurent imprécis, mais on sait qu’une grosse majorité des Algériens vit dans les villes, contre seulement 20% à l’indépendance.

Selon des chiffres de l’Office national des statistiques (ONS), la situation serait même inversée aujourd’hui : 80% des gens vivent dans les villes. Cela débouche sur deux résultats immédiats : une population instruite qui connaît ses droits (ou qui a l’impression de les connaître), et qui conteste davantage.

Et ce n’est pas tout : le gros de la population algérienne a été récemment urbanisé. C’est donc une population qui a abandonné ses traditions rurales, mais qui n’a pas encore acquis les traditions urbaines. Un phénomène aggravé par un autre : les populations urbaines ont tendance à revenir à des traditions et des pratiques qui semblaient disparues en milieu urbain. Autant de bouleversements sociologiques qui rendent la gestion du pays extrêmement complexe.

D’autre part, et pour la première fois de son histoire, l’Algérie a dépassé, en 2015, le million de naissances par an. C’est le résultat d’un ensemble de facteurs qui ont convergé : augmentation de la population en âge de se marier, jeunesse de la population, et probablement une élévation du niveau de vie, avec une hausse du revenu et une résorption partielle de la crise du logement, le tout ayant contribué à ce baby-boom.

 

Explosion du PIB

 

Sur le plan économique, le PIB de l’Algérie a aussi changé de palier. Il a dépassé les 200 milliards de dollars, même si un probable reflux est attendu en 2016. Les recettes extérieures ont dépassé 70 milliards de dollars par an en 2013. Mais les importations ont aussi explosé : on était à 15 milliards au milieu des années 1980, mais on dépassera les 50 milliards en 2016, une année pourtant maigre.

On ne gère évidemment pas 15 milliards de dollars, dont l’essentiel est encadré par des impératifs de fonctionnement précis (service de la dette, achat de produits alimentaires vitaux), comme on gérerait 70 milliards.

Au plan de l’influence régionale aussi, le changement est significatif. Pendant longtemps, l’Algérie exerçait une certaine influence grâce au prestige de sa Guerre de libération, et aussi grâce à l’appui de l’ex-Union Soviétique. Elle parvenait à appuyer de manière efficace des mouvements de contestation ancrés à gauche.

Aujourd’hui, la donne a changé. L’Algérie s’est équipée, en profitant de l’embellie financière de la décennie écoulée. Son armée a changé de nature : née dans la guérilla, elle s’est spécialisée progressivement dans la lutte contre la guérilla. Mais dans le même temps, et en raison d’un territoire immense, combinant désert, montagnes et façade maritime, et des impératifs de défense que ceci impose, elle s’est trouvée contrainte d’opérer des changements structurels d’envergure pour s’adapter à cette réalité.

 

Prendre le virage

 

Tous ces changements imposent un nouveau modèle de gestion du pays. Des méthodes nouvelles, avec des institutions modernes, des règles adaptées au monde qui émerge. Et c’est là que le bât blesse, car ceux qui ont la charge de gérer les affaires s’accrochent encore à des méthodes désuètes, totalement inadaptées.

Incapables de passer au monde politique moderne, animé par des partis et une société civile autonome, ils imposent un retour à ce qu’ils connaissent le mieux: la tribu, la région, ainsi que différents systèmes d’allégeance hors du temps. Lobbies et clans font office de centres de pouvoir occultes, au détriment des institutions, des responsables légaux et des élus. La règle légale disparaît au profit de l’informel. Les ministres ne gèrent pas des secteurs de l’activité économique ou sociale, ils gèrent des équilibres de pouvoir.

C’est sur ce terrain que le pays a besoin de s’adapter. De sortir de l’archaïsme, pour entrer dans un monde moderne, où la règle du droit prime toute autre considération.

Dans de nombreux pays, c’est l’audace politique qui a permis de réaliser ou de favoriser les grandes mutations économiques et sociales. Quant à l’Algérie, elle change de fond en comble sur le terrain économique et social, et même militaire, mais le fonctionnement politique du pouvoir reste immuable.

ARTICLES SIMILAIRES

Actualités Opinions

Ihsane El Kadi : 600 jours derrière les barreaux, la liberté de la presse en otage

Aujourd’hui marque un triste anniversaire pour le journalisme algérien. Ihsane El Kadi, figure emblématique de la presse indépendante, boucle ses 600 jours de détention. Son crime ? Avoir osé exercer… Lire Plus

Actualités Opinions

Lettre à Ihsane El Kadi pour son deuxième anniversaire en prison : Radio M et le bureau des légendes

Par Saïd Djaafer Que souhaiter à un ami qui passe un deuxième anniversaire en prison ? J’avoue que je suis en peine d’imagination et encore plus d’avoir à le faire… Lire Plus

Contributions Opinions

Blog⎥Ihsane El Kadi, l’amoureux du désert qui refuse la désertification de la nation   

Un an ! Un an de prison, c’est long, très long, trop long ! Et elle est encore plus longue la peine que l’on persiste à infliger à Ihsane El Kadi, à sa génération… Lire Plus

Actualités Opinions

Le martyre de Ghaza, l’Occident et les “esclaves de maison” (Blog de Mohamed Sahli)

Le massacre des femmes et des enfants palestiniens, validé par l’Américain Joe Biden, dénoncé sur Twitter sous le sobriquet de “Genocide Joe”, a repris après une petite trêve. Les Etats… Lire Plus

À l'honneur Á la une

Affaire Ihsane El Kadi: des rapporteurs de l’ONU saisissent le Gouvernement algérien

Trois rapporteurs du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ont saisi le Gouvernement algérien sur le cas de l’incarcération du journaliste et directeur de Radio M et de Maghreb… Lire Plus