Les managers des entreprises publiques n’ont pas eu leur mot à dire sur la réorganisation en cours du secteur industriel. Ce qui confirme leur faible poids dans la décision économique.
Un nouveau système de rémunération va être mis en place au profit des gestionnaires des entreprises publiques, selon diverses sources proches du gouvernement. Celui-ci est prêt à faire un effort financier sur ce terrain, mais pas sur la vieille revendication concernant la dépénalisation des actes de gestion, confirmant que s’il est prêt à brandir la carotte, il ne n’est pas disposé à lâcher le bâton. Les gestionnaires, eux, restent discrets. Ils paraissent prêts à se contenter d’une amélioration de leur revenu, sans modification des règles du jeu. Ils semblent aussi avoir admis que la décision au sein de l’entreprise leur échappe. Ils n’ont plus qu’à négocier au mieux ce que le pouvoir est prêt à donner en contrepartie. Curieusement, la revendication concernant la rémunération des gestionnaires est brandie par des dirigeants syndicaux, non par les managers eux-mêmes. Amar Takdjout, responsable de la fédération textiles et cuirs de l’UGTA, et proche du patron de l’organisation, Abdelmadjid Sidi-Saïd, s’est fait le porte-parole des managers. Comment veut-on des résultats avec des PDG rémunérés au niveau actuel, a t-il protesté. Salim Labatcha, président de la fédération des travailleurs de l’agro-alimentaire, a pris le relais pour annoncer un nouveau système de rémunération pour bientôt, sans en donner les contours.
Prédominances des réseaux
Les dirigeants syndicaux ont affirmé que ce changement s’impose notamment pour « harmoniser les salaires », après l’abrogation de l’article 87 bis du code du travail, qui va déboucher sur une augmentation importante des bas salaires. Il faut revoir l’ensemble des rémunérations pour maintenir la cohérence des salaires et conserver les écarts nécessaires en vue de récompenser les diplômes et l’expérience, a déclaré M. Labatcha. Le gouvernement est prêt à accéder à cette requête. C’est lui qui, dans les faits, nomme les patrons d’entreprises, selon les règles admises des réseaux et des clientèles.
Derrière le discours concernant la compétitivité et l’efficacité des entreprises, les choses se décident « au gré des intérêts des réseaux », affirme un ancien gestionnaire à Maghreb Emergent. «Etre compétent peut servir. Mais appartenir au réseau et être docile est plus important », dit-il.En tout état de cause, les patrons d’entreprise n’ont guère de pouvoir. Ils l’ont admis, et beaucoup d’entre eux ne font même plus semblant. Ainsi, le nouveau ministre de l’industrie Abdesselam Bouchouareb a annoncé un nouveau plan d’organisation des entreprises publiques, pour en ramener le nombre à une dizaine. Aucun chef d’entreprise n’a émis un avis différent. Seuls quelques zélateurs se sont exprimés pour saluer la nouvelle organisation, dans laquelle ils espèrent accéder à un poste en adéquation avec leur zèle.
Les gestionnaires ignorés dans les grandes décisions
La décision de réorganiser les entreprises a été annoncée sans débat public, et l’exécution sera assurée par les mêmes gestionnaires qui ont appliqué la précédente réforme. Sans illusion, un ancien ministre parle de « démission » des gestionnaires. Ceux-ci «continuent de tenir un discours sur la dépénalisation des actes de gestion, mais en réalité, c’est un simple alibi pour justifier leur position », dit-il. La plupart des managers des entreprises publiques évoquent en effet la possibilité d’être poursuivi en justice pour justifier l’immobilisme qui caractérise le secteur public. « Les managers sont apparemment dans une situation délicate, mais en réalité, elle est très confortable. Ils se contentent d’appliquer les instructions », estime cet ancien ministre, qui leur reproche de « n’assumer ni la gestion, ni ses conséquences ». Il note toutefois quelques exceptions où, selon lui, « l’indépendance du gestionnaire a donné de vrais résultats ».
Peur de représailles
A l’appui de ce point de vue, à l’opposé du discours dominant sur des managers prisonniers d’un système qui les pénalise, cet ancien ministre cite les grandes affaires de corruption où les managers ont avalisé des décisions suspectes. «L’affaire Chakib Khelil a montré que les managers des deux plus grandes entreprises du pays, Sonatrach et Sonelgaz, ne pouvaient ignorer certaines choses. Ils ont fermé les yeux ». Par peur des représailles ? Par complicité ? « Peu importe, car le résultat est le même. Le préjudice est énorme pour l’entreprise et pour l’écconomie du pays».Un banquier, installé à l’étranger, va plus loin. « Une sélection s’est faite au fil des années », dit-il. « Les managers les plus performants ont été poussés vers la sortie, au profit de bureaucrates dociles, qui se cachent derrière la menace» de poursuites pénales pour justifier leur immobilisme. Les autres ont baissé les bras, avec le sentiment que c’était inutile » ; même si, concède cependant notre interlocuteur : « Le besoin de bien gérer certains secteurs a sauvé quelques bons techniciens qui restent dans le circuit ».