Les principales puissances partenaires de l’Algérie étaient prêtes à s’accommoder d’une façade civile restaurée au rabais pour reprendre une relation normale avec Alger. Elles avaient compté sans la détermination populaire et son pendant, une répression ascendante.
Les Américains et les principaux pays européens partenaires de l’Algérie sont mal à l’aise avec Ahmed Gaïd Salah, comme nouvel homme fort du pays depuis la chute du président Bouteflika. Son successeur par intérim Abdelkader Bensalah n’est pas un interlocuteur sérieux, et leur souhait est d’écourter la période de management brutal du pays par un chef militaire, scénario dont ils ont perdu l’habitude dans le cas de l’Algérie. Conséquence, la convocation du corps électoral le 15 septembre dernier pour une élection présidentielle avant la fin de l’année n’était pas une mauvaise nouvelle pour une majorité de chancelleries occidentales à Alger, à l’instar de celles de la Russie et de la Chine.
Des journalistes politiques ont pu entendre durant les mois de septembre et d’octobre, lors des fêtes nationales, ou des visites de personnalités étrangères à Alger, de nombreux diplomates américains ou européens, plaider poliment la nécessité de rétablir une « façade civile » du régime militaire qui « ne doit pas gouverner sous sa forme caricaturale actuelle ».
Les préoccupations classiques de « stabilité » et de relance du business » sont également les plus évoquées pour expliquer que des élections même loin d’être crédibles sont toujours une meilleure chose qu’une impasse politique totale. Cette perception d’un début d’issue possible à la « crise algérienne » s’est brouillée ces dernières semaines.
Changement de saison
La première expression remarquée d’une réserve vis-à-vis du rendez-vous « électoral » du 12 décembre est venue de Paris avec les vœux de Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, aux Algériens à l’occasion de leur « fête nationale » .
Aucune référence à la « reprise » du processus électoral décidé par le patron de l’armée algérienne. Le processus électoral n’a attiré depuis aucun commentaire officiel d’aucune capitale dans le monde, au moment même ou il est présenté par la propagande officielle à Alger comme l’issue inéluctable à « la crise politique ».
La gêne évidente qui monte chez les partenaires occidentaux de l’Algérie porte un visage. Celui du Hirak qui s’est redéployé en force depuis la convocation du corps électoral. Les marches populaires du 1er novembre ont été scrutées par les observateurs étrangers. Elles indiquent selon des analyses souvent convergentes que la lame de fond en faveur du changement conserve une énergie suffisante pour empêcher le retour au 21 février que suggère finalement l’élection présidentielle dans sa mouture du 12 décembre prochain.
La diversification des moyens de lutte du Hirak ces dernières semaines a compliqué le tableau et les pronostics en Algérie comme à l’étranger sur l’issue du bras de fer. Aux marches du vendredi et du mardi, se sont ajoutés les mouvements sociaux qui, combinent de fait un contenu corporatiste et une défiance politique, notamment la grève du 28 octobre à l’appel du CSA ; les protestas du Mahraz et des klaxons en soutien aux détenus d’opinion (les jeudis à 20 h) ; les rassemblements contre les projets de loi à l’APN à Alger, les marches nocturnes contre les élections (depuis cette semaine), les rassemblements systématiques contre les activités des candidats à la présidentielle, et l’extension à nouveau du mouvement à toutes les wilayas du pays, pour la première fois depuis plusieurs mois.
Les 48 wilayas ont connu ce vendredi 22 novembre des marches populaires en rejet des élections présidentielles du 12 décembre prochain. Il est possible d’ajouter à ce tableau les prémisses d’une autonomisation des corporations mises encore sous pression sous le management militaire de la transition version Gaid Salah : les magistrats ont fait grève et tentent de se dégager de la main de fer de l’exécutif, et les journalistes ont lancé « SahafiHor » (journaliste libre), pour s’organiser contre la censure imposée, souvent directement, par les services de sécurité et, par ricochet, par la plupart de leur éditeurs.
Vers un Goulag « tranquille »
Si l’accommodement de Washington, de Londres, et dans une moindre mesures de Bruxelles (pour l’Europe) avec la « solution » de l’élection présidentielle forcée est mise à mal ces dernières semaines, ce n’est pas directement parce que les Algériens sont mobilisés à nouveau par millions en cumulés contre le diktat de Ahmed Gaïd Salah, le nom le plus cité dans les marches. Même si cette mobilisation, encore une fois mal évaluée dans les prospectives des « spécialistes » est sur le point de compromettre la moindre vraisemblance d’un processus électoral supposé remettre à pied les institutions noyées de la République.
Si la gêne s’installe, c’est parce que cette mobilisation a aggravé la politique de la répression engagée à la fin du printemps dernier. L’Algérie est en train de se transformer tranquillement en un goulag pour l’expression. Le nombre des détenus d’opinion (Hirak) a dépassé les 300 au dernier comptage du comité pour la libération des détenus qui tient un carré sur Didouche Mourad tous les vendredi.
Les comparutions immédiates se sont multipliées en référence à un article de la nouvelle loi électorale (supposée renforcer le contrôle citoyen sur les urnes), et qui criminalise les protestations contre le processus électoral. La cadence des procès iniques des prévenus du Hirak s’accélere au point où les avocats ont décidé de boycotter les procédures au tribubal de Sidi M’hamed, ce qui renseigne sur la rapide dégradation de la situation des droits humains dans le pays.
La caution, même par le silence, des élections présidentielles du 12 décembre prochain correspond de plus en plus, de fait, à un assentiment à la vague de répression qui lui est objectivement attachée. Sans arrestations de plus en plus massives, condamnations de plus en plus lourdes et intimidations de plus en plus directes, le processus électoral et les 5 candidats qui le portent auraient vite disparu sous le nombre.
Ce tryptique légitimation par la force- rejet populaire pacifique- répression ascendante n’est même pas certain de s’arrêter au soir du 12 décembre si le processus va jusque-là. Il est promis à l’escalade dans tous les cas de figure en dehors d’une négociation et « d’un accord politique global » sur la transition que souhaitent les Algériens, auquel vient d’appeler à nouveau Abdelaziz Rahabi, l’ancien coordinateur de la conférence des forces du changement le 06 juillet dernier, présent parmi les manifestants à Alger vendredi dernier.
Mauvais présage
Le parlement européen va sans doute devoir ouvrir la voie dans la délibération sur le cas de la dérive algérienne contre le droit et les libertés. Il consacrera la semaine prochaine une session à la situation chez l’un de ses plus importants partenaires de la rive sud Méditerranée et devra sans doute voter « une résolution d’urgence ». C’est un mauvais présage.
Ce traitement est consacré aux pays abritant une situation de conflit interne qui interpelle la communauté internationale, européenne dans ce cas. Les résolutions d’urgence du parlement européen en 2019 ont traité de la situation humanitaire à Hong Kong, ou au Venezuela. L’escalade de la répression en Algérie met le pays sur une voie où les interpellations à l’international, d’abord par les ONG, ensuite par les parlementaires, enfin sous une forme ou une autre, par les exécutifs, va suivre le même chemin. Il faudra donc s’y habituer pour les Algériens tant que l’Etat-major de l’armée continuera de refuser une solution globale négociée en attente de nouveaux revers politiques annoncés.