Le gouvernement de Mehdi Jomaâ fait face à d’importantes difficultés financières. Les bailleurs de fonds ne sont guère généreux.
Quelle est l’ampleur exacte du déficit budgétaire tunisien ? Quelles sont les mauvaises surprises qui attendent encore le gouvernement en matière de manque à gagner financier ? Ces deux questions sont désormais d’une grande acuité, depuis que des officiels tunisiens ont tiré la sonnette d’alarme sur l’état des finances publiques.
NidhalOuerfelli, ministre en charge des Affaires économiques a déploré « la situation critique » concernant les liquidités dont disposele Trésor tunisien. Plus important encore, le Premier ministre Mehdi Jomaâ, a indiqué de son côté que son gouvernement a été obligé d’emprunter 350 millions de dinars (160 millions d’euros) pour assurer les salaires des fonctionnaires pour le mois d’avril. Et il lui faudra aussi trouver 600 millions de dinars (280 millions d’euros), d’ici le mois de juillet prochain. Une échéance sensible puisqu’elle correspondra au mois du Ramadan, période traditionnelle où les dépenses des ménages sont importantes et où des retards de salaires peuvent avoir des conséquences très dommageables pour la paix sociale.
De façon générale, et en recoupant les diverses déclarations des officiels, il semble que les besoins financiers d’urgence de l’Etat tunisien soient de l’ordre de 1,3 milliards d’euros soit 10% du budget national pour l’exercice en cours. Dans la presse locale, des expert avancent même le montant de 2 milliards d’euros à trouver d’urgence d’ici la fin du mois d’août et de 5 milliards d’euros d’ici janvier 2015.
Des chiffres plus alarmants que prévu
On savait que la situation financière de la Tunisie était tendue mais ces chiffres sont encore plus alarmants que prévu.
Comment expliquer une telle situation ? Il y a d’abord le fait que Tunis paie aujourd’hui pour les prêts contractés d’urgence après la chute de Zine el Abidine Ben Ali en janvier 2011. « Il a fallu faire face aux demandes sociales et la Tunisie a emprunté à court terme et à des taux élevés. Le cumul des intérêts a fait un effet boule de neige et la situation de la balance des paiements est très tendue,» confie un banquier tunisois.
Dans le même temps, le précédent gouvernement – celui dirigé par la Troïka où les représentants d’Ennahdha étaient majoritaires – a visiblement pêché par excès d’optimisme en matière de prévisions de recettes. Non content d’avoir fait exploser les dépenses publiques – notamment par le biais de recrutements importants dans la fonction publique – il a surdimensionné des rentrées financières qui, au final, n’ont pas été au rendez-vous. Qu’il s’agisse des impôts sur les résultats des entreprises ou le produit de la vente des biens mal-acquis par le clan Ben Ali-Trabelsi, l’argent n’est pas rentré comme espéré (les ventes des biens confisqués n’a rapporté que 150 millions d’euros au lieu des 500 millions d’euros attendus). Du coup, Tunis va être obligé d’en appeler à l’épargne populaire pour boucler les fins de mois. Une souscription populaire de 235 millions d’euros devrait ainsi être lancée en mai prochain.
Une transparence sous pression et très politique
On peut penser que la transparence du gouvernement de Mehdi Jomaâ en matière budgétaire obéit à la volonté de dire la vérité aux Tunisiens pour les inciter à reprendre le travail et avertir l’opinion de l’imminence de sévères coupes budgétaires, qui toucheraient en particulier les subventions des produits de première nécessité. Soumis à la pression du Fonds monétaire international (FMI) et d’autres institutions, dont l’Union européenne (UE), l’équipe dirigeante n’a pas d’autre choix que de préparer le terrain à des réformes qui seront impopulaires.
Mais dans le même temps, le facteur électoral n’est pas à exclure. Certes, les prochains scrutins ne devraient pas avoir lieu avant 2015 (au lieu du second semestre 2014). Mais en pointant du doigt une situation budgétaire catastrophique, Mehdi Jomaâ et son équipe critiquent aussi l’action des gouvernements précédents et mettent en avant un argument très en vue à Tunis, à savoir l’incompétence dont aurait fait preuve Ennahdha en matière économique. De quoi relancer aussi les interrogations sur les ambitions politiques de Jomaâ pour l’après-transition…
Le geste attendu d’Alger
En tout état de cause, la situation budgétaire de la Tunisie est d’autant plus critique que le Premier ministre n’a guère pu convaincre la communauté internationale d’aider son pays. Sa tournée dans les pays du Golfe, en Europe et aux Etats-Unis n’a pas eu les résultats escomptés, le total des promesses d’aides diverses ne dépassant le milliard d’euros. Tunis en espérait au moins trois fois plus mais les grands donateurs n’ont pas fait preuve d’une grande générosité. L’explication est simple. Pour les pays occidentaux, c’est au FMI de gérer ce dossier et de donner le signal, selon lequel la Tunisie doit être aidée de manière plus conséquente et cela à la condition qu’elle mène les réformes structurelles exigées. Quant aux pays du Golfe, et au-delà de quelques promesses vagues, ils sont restés très prudents pour la bonne et simple raison qu’ils ne sont pas convaincus qu’Ennahdha, jugée proche de la confrérie des Frères musulmans, ne reviendra plus au pouvoir.
Cela alors que le Qatar, qui s’était engagé à soutenir le gouvernement de la Troïka, est aujourd’hui isolé et sur la défensive. En aucun cas, Doha ne peut donc prendre d’initiative sur le dossier tunisien même si cela pourrait lui faire oublier ses accointances avec Ennahdha…
Du coup, et comme c’est à chaque fois le cas depuis l’aggravation de ses difficultés budgétaires, Tunis regarde du côté d’Alger, attendant que la situation politique chez son voisin ne se décante et n’ouvre la voie à un geste financier d’envergure.