La triple attaque terroriste du 7 mars dernier à Ben Guerdane dans le sud-est tunisien prouve que le pays se trouve face à une triple menace extrémiste. Outre les ambitions expansionnistes de l’Etat islamique (EI) depuis la Libye voisine, la Tunisie est exposée à des cellules dormantes implantées sur son sol depuis des années et à des intentions étrangères visant à impliquer la Tunisie dans des calculs géostratégiques régionaux.
Au début, une grande partie de ces djihadistes, qualifiés par les autorités tunisiennes d’éléments « terroristes », étaient des militants d’organisations et mouvances religieuses dont l’activité fut interdite suite à leur implication dans des attentats contre les appareils sécuritaires et militaires ou encore dans des assassinats politiques.
Il s’agit principalement du groupe Oqba Ibn Nafaa, branche armée du mouvement islamiste interdit Ansar Chariaa, lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Début 2014, Ansar Chariaa a commencé à s’effacer, mais bon nombre de ses adeptes ont rejoint les combats en Syrie ou en Irak, alors que d’autres prêtaient allégeance à l’EI.
Les autorités tunisiennes ont indiqué à cette époque que la majorité des extrémistes recherchés avait migré vers la Libye, soit pour fuir les interpellations en Tunisie, soit pour rejoindre des camps d’entraînement en vue de commettre des attentats.
Toutefois, certains médias locaux n’ont cessé de mettre en garde les autorités tunisiennes contre des mouvements suspects de cellules dormantes dans plusieurs régions, principalement certaines provinces du nord-ouest, du centre et surtout du sud-est à proximité de la frontière libyenne, à l’instar de Ben Guerdane, la ville la plus proche de l’un des deux points de passage entre la Tunisie et la Libye.
L’attaque contre Ben Guerdane montre que « l’EI projette de modifier toute la carte géopolitique de la région (…) La répartition de ses mouvements prouve que cette organisation entend élargir sa zone territoriale autour de la Libye, considérée comme l’épicentre de son empire », commente Nizar Makni, un analyste tunisien spécialisé dans les mouvements extrémistes en Afrique et au Moyen-Orient.
« Parmi les objectifs majeurs de l’EI figure la conquête de la partie occidentale de la Libye, destinée à constituer une sorte de base arrière après avoir perdu son fief, la ville de Sabratha récemment ciblée par un raid américain qui a fait pas moins de 50 morts parmi des djihadistes de l’EI, en majorité des Tunisiens », estime-t-il dans un entretien à Xinhua.
Les messages vidéo relayés par certains médias tunisiens lors de l’attaque de Ben Guerdane ont toutefois montré que les habitants de la ville ont soutenu leurs forces de sécurité. Cette réaction des civils « était attendue et prévisible du fait que les Tunisiens ont connu une série d’attentats depuis les événements de la révolution de 2011 », analyse M. Makni.
« La couverture médiatique de la situation dans certains pays arabes en crise pousse davantage les Tunisiens à tirer des leçons et à éviter de se laisser entraîner dans une spirale idéologique sanglante qui ne fera que basculer leur pays dans une guerre civile », poursuit-il.
L’atout majeur du pays, en dépit de la menace extrémiste, est la continuité de l’Etat et la résilience de ses institutions, ce qui est « une donne qui a bouleversé toutes les cartes au sein des organisations extrémistes ».
Un extrémisme nourri par le chômage, la pauvreté et la marginalisation
D’après les derniers chiffres officiels, la Tunisie compte aujourd’hui environ 610.000 personnes sans emploi. De plus, jusqu’en 2015, le taux de pauvreté représentait 25% de la population du pays, estimée à quelque 11 millions d’habitants.
Aujourd’hui, « la Libye demeure l’une des meilleures bases de l’EI » et où « les combattants étrangers les plus actifs sont des Tunisiens », selon Mathieu Guidère, analyste franco-tunisien spécialisé en géopolitique et en extrémisme religieux.
Selon lui, environ 500 Tunisiens ont fait allégeance à l’EI en Libye. Tout ceci peut s’expliquer, d’après des observateurs tunisiens, par des raisons socio-économiques et politiques.
« Après les incidents ayant accompagné le soulèvement populaire en 2011, des groupuscules djihadistes ont profité de l’explosion politique en Tunisie pour gagner du terrain, spécialement avec une mainmise sur la quasi-totalité des mosquées du pays », selon M. Makni.
De plus, la Tunisie sous le règne du parti islamiste Ennahdha (octobre 2011-janvier 2014) a « échoué dans la lutte radicale de l’esprit extrémiste », pense-t-il. « Pire encore, les deux gouvernements de cette époque ont opté pour la voie du dialogue avec ces mouvances, ce qui a favorisé la manipulation des jeunes Tunisiens ».
Par ailleurs, M. Makni estime que la suspension en 2011 des services de renseignement a engendré une défaillance sécuritaire flagrante en matière de localisation et de suivi des mouvements des cellules dormantes qui agissaient grâce à un système de communication chiffré.
Dès novembre 2014, les services de renseignement étaient réactivés avec notamment la création de l’Agence des renseignement de la sécurité pour la défense (ARSD) comprenant des sous-directions spécialisées dans la lutte antiterroriste.
Les grandes puissances face à un embarras géopolitique
Depuis plusieurs mois, les grandes puissances occidentales se mobilisent pour faire face au fléau extrémiste en Irak, en Syrie, au Yémen et plus récemment en Libye, à travers la formation de coalitions internationales composées notamment de pays arabes concernés par la stabilité régionale.
S’agissant de la situation en Libye, l’Occident se trouve de plus en plus face à « un embarras géopolitique qu’il a créé lui-même », juge Nizar Makni.
En Tunisie, tous les regards sont tournés vers les efforts libyens pour mettre en place un gouvernement d’union nationale dans les plus brefs délais. En cas d’échec, une éventuelle intervention militaire étrangère en Libye pourrait être lourde de conséquences « et on pourra évoquer dans ce cas un chaos sécuritaire et géopolitique », redoute l’analyste.