Avec un déficit du Trésor durant les six premiers mois de 2016 de 16,19 milliards de dollars (70% du déficit prévisionnel pour 2016), et un déficit commercial de 13,997 milliards de dollars, l’Algérie va vers d’inévitables tensions budgétaires si le cours du baril de pétrole est inférieur à 60/70 dollars. Le Fonds de régulation des recettes devrait s’épuiser fin 2016. Il y a urgence de revoir tant la politique économique que le modèles social et énergétique actuels.
Le Fonds de régulation des recettes (FFR) est passé de 5.633,752 milliards de dinars en 2012, à 5.563,512 en 2013, 4.408,465 en 2014, 2.072,5 milliards à fin 2015, et la loi de finances pour 2016 prévoyait un montant de 1.797 milliards de dinars à la fin de l’année au cours de 50 dollars le baril, avec un solde global du Trésor déficitaire de 2.452 mds DA.
Les tendances des six premiers mois de 2016, selon les données du ministère des Finances (20 septembre 2016) et celles des statistiques douanières (21 septembre 2016) n’incitent pas à l’optimisme. Durant les huit premiers mois de 2016, les exportations ont chuté de 29%, à 17,56 milliards de dollars, contre 24,71 milliards durant les huit premiers mois de 2015. Les exportations des hydrocarbures ont représenté 93,73% du total des exportations avec 16,46 milliards de dollars (avec les dérivées d’hydrocarbures, elles en ont représenté 97% !). Les importations, dont certaines sont incompressibles, ont baissé de 11,8% pour s’établir à 31,56 milliards de dollars, contre 35,78 milliards par rapport à 2015. Le déficit commercial de l’Algérie a atteint 13,997 milliards de dollars contre 11,06 milliards à la même période de 2015, soit une hausse de 26,5%, selon les chiffres des Douanes publiés le 21 septembre 2016, ne comptabilisant ni les transferts des services, ni les transferts légaux de capitaux (leur prise en compte donnerait environ 20 milliards de dollars pour les huit premier mois 2016).
A ce rythme le déficit du Trésor dépasserait 30 milliards USD fin 2016
Avec des dépenses de fonctionnement de 2.527,76 milliards de DA et des dépenses d’équipement de 1.572,52 mds DA à la fin du 1er semestre 2016 ; avec également des recettes en forte baisse (la fiscalité pétrolière recouvrée entre janvier et fin juin 2016 s’est établie à 883,13 milliards DA, contre 1.255 milliards sur la même période de 2015, soit – 30%), le déficit réel du Trésor s’est établi, durant les 6 premiers mois de 2016, à près de 1.770 milliards de dinars, soit au cours du 20 septembre 2016 (109,36 dinars un dollar) à 16,19 milliards de dollars. A ce rythme le déficit du Trésor dépasserait fin 2016 les 30 milliards de dollars : rien que pour les six premier mois, il correspond à 70% du déficit prévisionnel pour l’année 2016.
Ce déficit semestriel a été financé par le Fonds de régulation des recettes (FRR), avec un prélèvement de 1333,84 milliards (près de 76% du déficit enregistré). Or, le seuil légal minimum est de 740 milliards de dinars. Selon l’APS citant le ministère des Finances, le déficit du Trésor à fin juin 2016 a été couvert par des financements bancaires (21 milliards DA) et non bancaires (98,4 mds DA) et par l’emprunt obligataire.
Or, l’emprunt obligataire, au moment ou certains soi-disant « experts » parlaient de réussite, a eu un impact mitigé puisqu’il n’a couvert qu’environ 18% du déficit du Trésor. Au lieu d’aller vers l’investissement, comme cela avait été annoncé par l’ex-ministre des Finances, il a contribué à résorber très partiellement le déficit budgétaire. Bien plus, il a contribué à assécher les liquidités bancaires avec des actes spéculatifs visant à bénéficier du taux de rémunération de 5 à 5,75% (2% dans les banques). Il a concerné surtout le capital argent de la sphère réelle alors que l‘objectif était de drainer celui de la sphère informelle qui, faute de confiance en la valeur du dinar et craignant un retour à l’inflation qui épongerait la valeur de leur placement, ne s’est pas bousculée aux portes des banques, ce qui pourrait pousser la Banque d’Algérie à l’émission monétaire, accentuant le processus inflationniste avec l’accroissement du déficit budgétaire.
Le déficit budgétaire réel est encore plus important
La loi de finances 2016 prévoyait un déficit de 2.542 milliards de dinars, ce qui risque d’être plus important avec la baisse des recettes budgétaires, qui ont été de 2.316 milliards de dinars durant le 1er semestre de l’année 2016, contre une prévision annuelle de la LF 2016 de 4.747,43 milliards et des dépenses budgétaires qui se sont établies à 4.100 milliards de dinars durant le 1er semestre 2016, contre une prévision annuelle de la loi de finances 2016 de 7. 984 milliards de dinars.
En réalité, le déficit budgétaire est plus important. Le calcul en dinars dévalués, tant par rapport à l’euro qu’au dollar, pour estimer le montant du Fonds de régulation, voile l’importance du déficit budgétaire, biaisant les comptes publics. Le déficit serait de 18 milliards de dollars au cours de 100 dinars un dollar et serait de 24 milliards au cours de 75 dinars un dollar.En dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation artificielle de la fiscalité des hydrocarbures en dollars, et de la fiscalité ordinaire, plus de 60% des importations étant en euros. Les besoins des entreprises publiques et privées, dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%, sont importés, les taxes douanières se calculant sur la partie en dinars, avec une amplification (cascade de taxes en plus des marges de profit) sur les prix des équipements, matières premières et produits finis importés.
Cette dévaluation accélère l’inflation intérieure, que l’on essaie d’atténuer par les subventions généralisées, source de gaspillage et d’injustice sociale. Du fait de l’importance du déficit budgétaire au rythme de la dépense actuelle, le Fonds risque de fondre fin 2016. L’inflation étant la résultante, cela renforce la défiance vis-à-vis du dinar où le cours officiel se trouve déconnecté par rapport au cours du marché parallèle (180 dinars un euro).
Ce dérapage du dinar tant sur le marché officiel que sur le marché parallèle (il sera encore déprécié avec la décision d’importer des voitures de moins de trois ans), accélère le processus inflationniste. Selon l’Office national des statistiques (ONS), nous avons une hausse des prix à la consommation de 8,1% sur la période allant d’août 2015 à juillet 2016, soit près du double de ce que prévoyait le gouvernement pour 2016. Avec une détérioration du pouvoir d’achat du dinar approchant le taux de 2012, qui faisait suite aux augmentations salariales dans la Fonction publique qui avaient ont entraîné une hausse des prix de 8,9%. Si ce taux persiste, il sera impossible aux banques de continuer à donner des taux d’intérêts bonifiés, le taux d’intérêt dans toute économie étant supérieur au taux d’inflation avec des incidences sur l’investissement.
Polémique autour des réserves de change.
Qu’en est-il de l’évolution des réserves de change qui tiennent la cotation du dinar 70% avec la polémique récente entre la Banque mondiale qui prévoit 60 milliards de dollars courant 2018 et la Banque d’Algérie ? Ces réserves ont été estimées à 152 milliards de dollars fin 2015 et selon le rapport du FMI d’avril 2016, elles seront à 113,3 en 2016 (22,2 mois d’importation), la banque d’Algérie donnant, elle, un montant d’environ 120 milliards de dollars.
Selon le FMI, pour avoir un équilibre budgétaire l’Algérie aura besoin, en 2016, d’un prix de pétrole de 87,6 dollars/baril contre 109,8 dollars/baril en 2015. Avec la tendance à la diminution des réserves de change, la Banque d’Algérie sera contrainte de continuer à dévaluer le dinar et il sera impossible de continuer à verser des salaires sans contreparties productives et de consacrer un montant faramineux aux subventions et transferts sociaux, non ciblés qui ne s’adressent pas essentiellement aux plus démunis (27-28% du PIB).
Il s’agit d’éviter de fausses solutions à des problèmes mal posés en s’attaquant aux apparences et non à l’essence. L’Algérie, avec l’amenuisement de ses recettes d’hydrocarbures, peut-elle continuer à dépenser sans compter ? Toutefois, évitons la sinistrose. La situation est différente de la crise de 1986, avec le niveau relativement élevé des réserves officielles de change, bien qu’en baisse et le niveau historiquement bas de la dette extérieure pouvant surmonter les « chocs » externes, mais, transitoirement, sous réserve d’une nouvelle gouvernance centrale et locale et d’une réorientation urgente de toute la politique socio-économique actuelle.
Des mesures urgentes s’imposent
Cinq solutions urgentes dont trois à court terme et deux à moyen et long terme pour éviter l’épuisement des réserves de change horizon 2019-2020 et donc le retour au FMI :
– Une plus grande rigueur budgétaire ciblée et la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale.
– La révision la politique des subventions généralisées (les aides ne doivent être destinées qu’aux couches les plus défavorisées) et un meilleur ciblage des intérêts bonifiés.
– Un endettement extérieur ciblé à moyen et long termes, atténuant l’épuisement des réserves de change, et ne bénéficiant qu’aux projets productifs concurrentiels, de même qu’un assouplissement de la règle des 49/51%.
– La détermination des segments de filières à avantage comparatif, distinguant le marché intérieur et le marché extérieur.
– L’élaboration d’une vision stratégique dans le cadre des nouvelles mutations mondiales, passant par de profondes réformes structurelles, dont les effets ne se feront sentir positivement que vers 2020/2025.