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Le gouvernement algérien face aux conditions de réalisation du « nouveau modèle économique » (opinion)

Par Yacine Temlali
mai 16, 2016
Le gouvernement algérien face aux conditions de réalisation du « nouveau modèle économique » (opinion)

 

Dans cette contribution, Pr Abderrahmane Mebtoul expose les dix conditions nécessaires selon lui au passage évoqué par le  Premier ministre Abdelmalek Sellal à un « nouveau modèle économique ».

 

Samedi dernier, en marge du 17ème Salon international du tourisme et des voyages (SITEV), le Premier ministre Abdelmalek Sellal a déclaré que la situation engendrée par la chute des prix des hydrocarbures avait incité le gouvernement à revoir son modèle économique.

Contrairement à certains discours la voyant déjà au bord du gouffre, l’Algérie n’est pas en faillite. Malgré une situation il faut le reconnaître difficile, dans un monde traversant à la fois une crise économique et morale, la crise actuelle de l’économie algérienne est différente de la crise de 1986 : le niveau des réserves officielles de change est relativement élevé et le niveau de la dette extérieure est historiquement bas.

Il faut, cependant, rester réaliste. L’Algérie, pays mono-exportateur (les revenus de ses exportations sont dominées par les hydrocarbures à 98/%) ne pourra surmonter les chocs externes qu’en remplissant les conditions ci-après :

1.Une nouvelle gouvernance investissant dans les institutions démocratiques et tenant compte de notre anthropologie culturelle devra réaliser la symbiose Etat-citoyens. Elle doit se fonder sur une plus grande moralité tant des dirigeants que de la société. Cela passe par un langage de vérité loin de toute vision populiste et nécessite l’émergence de leadership et le primat à l’économie de la connaissance, fondement de la maîtrise des technologies. Cela nécessite également de favoriser l’esprit critique, indispensable à l’émergence d’une élite intellectuelle relativement autonome.

2. Avec les tensions géopolitiques aux frontières de l’Algérie et au niveau de la région africaine et euro-méditerranéenne, une mobilisation de toute la nation est nécessaire. Les ajustements économiques et sociaux 2016-2020, avec les réformes structurelles, seront douloureux et nécessiteront un minimum de consensus social, d’où l’importance de réseaux décentralisés, tant internationaux que locaux, et donc d’intermédiations politiques économiques et sociaux crédibles.

3. Une réorientation de la politique socio-économique pour une transition de la rente au marché (démonopolisation par une saine concurrence et dé-bureaucratisation de la société et de l’économie). Cela doit tenir compte de la quatrième révolution industrielle, et l’on devra éviter tant l’illusion monétaire que le mythe de l’ère mécanique du passé. Cela doit également tenir compte aussi bien des nouvelles mutations mondiales que des mutations sociales internes avec la pression démographique engendrant des besoins croissants. Il faudrait concilier l’efficacité économique et une profonde justice sociale (pas l’égalitarisme).

4. En rapport avec le facteur précédent, il faut asseoir une politique de développement réaliste, libérant toutes les énergies créatrices (entreprises publiques et privées, nationales et internationales sans distinction), et mettre fin aux contraintes d’environnement par un assainissement du climat des affaires en évitant le mythe selon lequel les lois sont la solution. Il faudrait éviter le changement perpétuel d’organisation et de cadre juridique, alors qu’il s‘agit de s’attaquer au fonctionnement de la société et de l’économie, en tenant compte des avantages comparatifs mondiaux. Les segments à promouvoir sont les segments agricoles, les nouvelles technologies, certains segments industriels au sein de filières internationalisées et du tourisme. Il est indispensable de favoriser le partenariat gagnant-gagnant par la prise en compte de la concurrence internationale afin d’attirer les IDE. Par ailleurs, on n’intègre pas la sphère informelle au sein de la sphère réelle par des sentiments, des mesures monétaires déconnectées de la réalité sociale mais par la mise en place de mécanismes de régulation transparents.

5. Il faut assouplir la règle des 49/51% généralisée à tous les secteurs et reposant sur l’idéologie rentière inopérante, à cause de laquelle l’Algérie supporte tous les surcoûts. Nous devons définir avec précision ce qui est stratégique, notion historiquement datée, et ce qui ne l’est pas, et introduire une minorité de blocage pour éviter les délocalisations sauvages. Les assainissements répétés de certaines entreprises publiques ne sont plus tenables.

6. Il faut d’ores et déjà prévoir un nouveau modèle de consommation énergétique reposant sur un mix énergétique (le baril à plus de 80 dollars c’est terminé), le monde s’orientant vers une profonde mutation énergétique.

7. Il faut engager une nouvelle politique de transferts sociaux et de subventions ciblés allant aux catégories les plus défavorisées et aux secteurs créateurs de valeur ajoutée, et ce, d’une manière transitoire, en attendant que le prix du marché reflète la véritable valeur reposant sur la production et la productivité réelle dans le cadre des valeurs internationales.

8. Afin d’éviter l’amenuisement des réserves de change qui soutiennent la valeur du dinar algérien, l’emploi et le niveau de la dépense publique via la rente des hydrocarbures, il faut aller vers un endettement ciblé uniquement pour les segments créateurs de valeur ajoutée qui permettent de rembourrer le principal des créances et les intérêts.

9. La solution réside avant tout en les Algériens. Nous devons éviter de présenter l’ennemi de l’extérieur comme la cause de tous nos maux afin de voiler les difficultés internes. Avec des objectifs stratégiques précis, le retour à la confiance, la moralité de ceux qui sont chargés de gérer la cité, il est possible de mobiliser la population. 

10. La réforme globale concerne les institutions (il faut aller vers une décentralisation réelle et non vers la simple déconcentration), le système financier, le système socio-éducatif la gestion du foncier. Elle implique une visibilité et une cohérence de la politique socio-économique, loin des discours contradictoires et du télescopage entre différents départements ministériels.

 

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