Le développement du pétrole de schiste a transformé à tel point le secteur de l’énergie, américain et mondial, qu’il a bouleversé les dynamiques traditionnelles de l’offre et complique la tâche des prévisionnistes.
Les banques d’investissement, dont beaucoup financent les nouveaux projets, et les grandes compagnies mondiales comme Total et Eni, ont prévenu que les larges coupes dans les investissements en raison de la baisse des prix du pétrole depuis 2014, conduiraient à une pénurie de l’offre dans les deux prochaines années.
Goldman Sachs : l’offre sera excédentaire jusqu’à 2019
Pourtant Goldman Sachs, la seule banque à tirer un milliard de dollars de revenus par an des transactions sur les matières premières, estime que la reprise de la production aux Etats-Unis, stimulée par la remontée des cours du pétrole, et une série de nouveaux projets conventionnels aboutiront à une offre excédentaire d’ici 2019.
Avant la révolution du schiste, le pétrole conventionnel était seul sur le marché. Prévoir la production revenait essentiellement à évaluer les projets à l’étude et à prendre en compte « les incertitudes connues » comme le risque politique dans les pays producteurs.
La capacité du secteur du schiste à s’adapter rapidement et avec souplesse à un environnement de prix bas signifie que les cycles de production ont raccourci, les gisements pouvant être ouverts ou fermés en quelques semaines.
La plupart des prévisionnistes, dont ceux de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et de l’Agence internationale de l’Energie (AIE), ont sous-estimé le déclin du pétrole de schiste lors de l’effondrement des prix du pétrole et sous-évalué également sa reprise lorsque les prix du brut ont commencé à remonter.
Goldman prévoit qu’au cours des deux prochaines années, il y aura un énorme développement de la production, ce qui compliquera les efforts de l’Opep pour rééquilibrer un marché excédentaire.
« Cette série de projets dans le temps et la reprise du cycle à court terme, impulsée par le pétrole de schiste américain, pourra aboutir à une surproduction en 2018-2019 », a estimé la banque d’affaires le mois dernier.
L’Opep face à un risque de perte de part de marché à long terme
« Lors de sa réunion le 25 mai, l’Opep va probablement évaluer (d’un côté) les avantages relatifs de la stabilité (prolonger l’accord de réduction) et le risque d’une perte de part de marché à long terme. »
Les nouveaux projets et la hausse de la production de pétrole de schiste pourraient aboutir à ajouter un million de barils par jour (bpj) à la production mondiale d’ici 2018-2019, estime Goldman.
Cette prévision contraste avec l’avis du cabinet de consultants Wood Mackenzie, qui prévoit lui un manque de quelque 20 millions de bpj d’ici 2025. De même, Morgan Stanley estime qu’une hausse de la production aux Etats-Unis cette année ne nuira pas au rééquilibrage du marché.
« L’Opep est parvenue à limiter sa production et bien que l’activité des forages aux Etats-Unis remonte vite, elle n’est probablement pas assez rapide pour éviter une baisse sensible des stocks cette année, jugent les analystes de la banque. « D’ici 2020, nous estimons qu’environ 1,5 million de bpj devront provenir de projets qui n’ont pas été encore autorisés mais dont le point d’équilibre se situe entre 70 et 75 dollars le baril », ajoutent-ils.
DIVERGENCES
Goldman conseille des investisseurs institutionnels comme des fonds de pension et des pays producteurs de pétrole et elle semble avoir l’oreille du marché pétrolier. La banque maintient sa prévision que l’offre et la demande s’équilibreront cette année, même si les stocks de brut dans les seuls pays développés atteignent trois milliards de barils, soit 300 millions de plus que la moyenne sur cinq ans que l’Opep souhaite atteindre avec ses réductions de pompage.
L’Opep ainsi qu’un certain nombre de producteurs extérieurs comme la Russie ont conclu un accord en novembre pour réduire leur production de 1,8 million de bpj afin de désengorger le marché. L’accord est entré en vigueur le 1er janvier pour une durée de six mois.
De son côté, UBS prévoit un manque possible de quatre millions de bpj d’ici 2020, même si la remontée des prix du brut cette année a conduit quelques compagnies à reprendre leur exploration et leurs plans de développement.
« Au-delà de 2017, l’impact de l’effondrement des investissements sur la période 2014-2016 commence à se faire sentir », a dit Jon Rigby, stratégiste chez UBS. Bank of America-Merrill Lynch souligne qu’avec l’effondrement des budgets d’exploration, les forages ne se développent pas, sauf aux Etats-Unis.
Selon le groupe de services pétroliers Baker Hughes, le nombre de puits en activité hors des Etats-Unis a augmenté de seulement 29 depuis le plus bas de 11 ans de 666 touché en novembre dernier, quand se profilait l’accord de l’Opep. Par contraste, le nombre de puits en activité aux Etats-Unis a augmenté de 346 sur les 10 derniers mois.