Voilà donc une nouvelle histoire relevant de cette pratique vieille comme le monde qui consiste à ne pas vouloir payer d’impôts ou alors à chercher à en payer le moins possible.
Après les «Panama papers», révélations qui concernaient des pratiques délictueuses de blanchiment, voici les «Paradisepapers», une enquête au long cours de plusieurs journaux faisant partie du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Cette fois-ci, il ne s’agit pas à proprement parler de délits relevant de la justice mais plutôt de méthodes à la limite de la légalité ou exploitant les failles des systèmes juridiques et fiscaux.
Aux limites de la légalité
Dans les prochains jours, la liste des noms des personnalités ou des entreprises qui ont bénéficié de stratégies sophistiquées pour payer le minimum d’impôts va s’étoffer. Il est encore trop tôt pour savoir quelles conséquences aura ce grand déballage mais on peut déjà faire quelques remarques. En premier lieu, on répétera toujours la règle de base. Aucune juridiction n’est parfaite ou totalement efficace. Les Etats ont beau mettre en place des règles strictes pour empêcher l’évasion fiscale, souvent appelée «optimisation», des experts sauront concevoir des schémas de fuite en exploitant les imperfections de leurs lois.
Ce n’est pas un hasard si c’est d’un prestigieux cabinet d’avocats, en l’occurrence la firme Appleby-Estera que vient la fuite (13,5 millions de documents sont parvenus au Consortium). Détecter la faille, toujours avoir une ou deux longueurs d’avance sur la législation, connaître les hommes qu’il faut dans les parlements et les gouvernements pour influer sur les projets de législation, ou au moins les anticiper: les firmes que l’on trouve dans les îles Caïmans, aux Bermudes ou ailleurs dans ces confettis que personne ne saurait placer sur une carte, savent très bien faire.
En deuxième lieu, on relèvera ce qui pourra passer pour une lapalissade. L’optimisation fiscale est une pratique pour les plus riches, les plus aisés. Autrement dit, celles et ceux qui sont censés payer plus d’impôts pour le bien-être de la communauté. Les classes moyennes, elles, ne peuvent guère accéder à ces services onéreux. Pour eux, c’est l’optimisation «bas de gamme» ou alors la tentation de la fraude. Dans certaines grandes entreprises, les équipes chargées d’améliorer les «performances fiscales» sont de vrais centres de profit. Leurs membres sont choyés et ils ont carte blanche à la condition d’éviter de franchir la ligne rouge.
Troisièmement, comme toute information, celle relative aux «Paradisepapers» mérite d’être reliée à d’autres éléments de réflexion. Les estimations avancent que 350 milliards d’euros échappent aux Etats – dont 120 milliards d’euros pour la seule Union européenne – en raison de l’optimisation fiscale. Ici, c’est une souveraine – ou une héritière – qui charge ses gestionnaires de fortune d’alléger son «fardeau». Là, c’est une multinationale qui ne veut pas payer d’impôts là où elle engrange pourtant des bénéfices. Ailleurs, c’est un chanteur qui nous bassine en permanence sur l’amour, le don de soi, mais qui donne carte blanche à ses avocats pour truander – légalement – le fisc. Et pendant ce temps, on continue d’entonner, à Paris comme à Washington ou Berlin, l’air du «il y a trop de dépenses publiques».
Toujours plus pour les optimisateurs
En réalité, les dépenses publiques dans les pays riches restent constantes quand on les rapporte au Produit intérieur brut (PIB). Par contre, ce qui baisse en permanence, ce sont les recettes fiscales. Autrement dit, non contents de se faire avoir en perdant de l’argent à cause de l’optimisation fiscale, les Etats en rajoutent en ne cessant de baisser les niveaux de prélèvements et offrant moult dérogations. Au-delà des chiffres, le méga-scandale des «Paradisepapers» montre que plusieurs décennies de «compétitivité fiscale» n’auront servi qu’à donner plus d’appétit aux fraudeurs et autres optimisateurs. Au détriment de ce qui fait le gros des troupes de contributeurs.