La descente policière contre les réseaux de change parallèle à Alger laisse perplexe à Rabat. Dans la capitale du Maroc, et même à Casablanca, le change parallèle est une activité qui n’a jamais été dérangée.
Jaouad a ses »quartiers » près de l’agence du Crédit du Maroc de l’avenue Benbdallah, pratiquement à quelques centaines de mètres de Bank Al Maghrib, qui fait face au Parlement, la chambre basse. Il habite la seconde ville de Rabat, Salé, où s’entassent un peu plus de 50.000 habitants, du côté misérable du Bou-Regreg. Ce natif du nord du Maroc, de la ville de Martil, près de Tanger, s’est spécialisé dans la vente et l’achat de devises. Il s’étonne et reste perplexe quand on lui raconte ce qui s’est passé au Square Port saïd d’Alger. S’ils sont discrets, les cambistes illégaux au Maroc ont pourtant une certaine latitude, »et en général nous ne sommes pas harcelés par la Police ». »Le système veut que chacun y trouve son compte », raconte t-il, sans plus de détails sur »ce système ». A Rabat, le gros des cambistes qui activent sur le marché parallèle des devises de la capitale marocaine travaillent à côté des banques, en particulier l’agence de la BMCE (Banque marocaine du commerce extérieur) d »Othman Benjelloun et la famille El Kettani.
Cette agence, tout près de la »Souika » a l’avantage de rassembler les cohortes de touristes qui envahissent tôt la matinée la vieille ville, à la découverte des senteurs et des parfums du Maroc d’en bas, et, surtout, de la misère des maisons humides de la Médina, près de l’Océan. Tous les cambistes de Rabat se retrouvent près de cette agence, et souvent la longueur des chaines d’attente obligent les touristes à s’adresser directement aux cambistes, qui leurs proposent en fait une parité meilleure que celle de la banque. »Nous, en général, on propose des marges plus importantes que la banque, souvent entre 2 à 10 dirhams selon les monnaies », explique Jaouad. »Ce Bizness est toléré par tous, y compris la banque, qui n’a jamais protesté, même si nous savons que nous sommes surveillés (par la police, NDLR) ». A Casablanca, le marché couvert de Derb Ghellef, où tout se vend et s’achète, en particulier les objets d’artisanat que s’arrachent les chineurs, est le lieu privilégié du négoce parallèle de la devise dans la capitale économique du Royaume, »même si les choses ont changé » ces derniers temps, explique Abdelillah, un natif de Rabat.
Hausse de l’allocation touristique
Le marché parallèle de la devise s’essouffle en réalité au Maroc depuis que l’Office des changes, en concertation avec la banque centrale (Bank Al Maghrib) ont décidé d’augmenter le barème des allocations de devises pour différentes catégories socioprofessionnelles. Le ministère des finances marocain a en fait revu tous le dispositif de l’allocation devises en fonction des différents intervenants, qu’ils soient hommes d’affaires, exportateurs ou importateurs, industriels, tourisme et voyages, hadjis, étudiants. Des bureaux de change dûment agrées ont été ouverts à cet effet. A titre d’exemple, pour un voyage de tourisme, la loi autorise tout marocain ou résident étranger à bénéficier »d’une dotation touristique en devises d’un montant maximum de 20.000 (vingt mille) dirhams par voyage dans la limite de 40.000 (quarante mille) par année civile. Cette dotation, dont le montant est cumulable avec toute autre dotation, peut être majorée de 10.000 dirhams par enfant mineur figurant sur le passeport du parent bénéficiaire », indique entre autres dispositions l’Office des changes.
Cette mesure administrative, qui accorde par ailleurs une dotation de 30.000 DH (environ 3.000 euros) pour les soins à l’étranger, a allégé la pression sur le marché parallèle. Mais, celui-ci reste actif, car le Maroc compte une très forte communauté émigrée en Europe, en particulier dans le sud de l’Espagne, en France, en Belgique et aux Pays-Bas. Les recettes tirées des virements des Marocains résidents à l’Extérieur (MRE) en janvier et février 2015 sont de 9,494 milliards de dirhams, soit une hausse de 660% par rapport à l’année 2014, selon l’Office des changes. A fin 2014, les émigrés marocains ont transféré vers leur pays 8,834 milliards de dirhams (environ 883,4 millions d’euros).