L’objet de cette contribution fait suite à plusieurs consultations auprès d’experts nationaux et internationaux ayant travaillé sur le thème partenariat public dont l’ouverture du capital des entreprises publiques. C’est un dossier complexe, éminemment politique, devant faire l’objet d’un large débat national, car engageant l’avenir du pays.
1.-Les conditions de réussite de l’ouverture du capital des entreprises publiques
Quelles sont les contraintes rencontrées sur le terrain pour dynamiser l’ouverture du capital des entreprises publiques Je recense dix contraintes et donc dix conditions de réussite
-Premièrement, les expériences réussies sont conditionnés par l’adhésion populaire et de toutes les forces politiques économiques et sociales, étant un acte éminemment politique et non technique d’où l’importance du dialogue productif et de la transparence.
-Deuxièmement, Les pays dont les expériences ont été réussies ont engagé un large débat national sur le futur rôle de l’Etat dans le développement économique et social face à la mondialisation.
-Troisièmement, les pays dont les expériences ont été réussies suite à ce débat ont clairement délimité ce qui est stratégique et de qui ne l’est pas en fonction des mutations internes et internationales.
-Quatrièmement, Les expériences réussies ont concrètement délimité les relations fonctionnelles notamment entre les Ministères sectoriels dont celui de l’industrie , les structures du Ministère des Finances (direction des domaines, de la fiscalité, des douanes- et des banques primaires), pour éviter les susceptibilités entre différents ministres- en termes de pouvoir économique- et les relations avec les autorités locales qui en Algérie n’ont pas été associées à ce processus alors qu’ils entretiennent des relations directes avec l’environnement. Sans leur adhésion ce processus peut être avorté.
-Cinquièmement, loin des slogans creux auxquels plus personne ne croit, les pays qui ont réussi ce processus ont défini clairement ce que l‘on entend par partenariat loin de tout slogan idéologique, l’objectif étant l’efficience économique base de la cohésion sociale future, avec l’autonomisation de la décision économique évitant les fameux slogans des chartes socialistes du passé secteur privé facteur complémentaire du secteur d’Etat.
-Sixièmement, pour l’Algérie, il s ‘agit de dynamiser la bourse des valeurs en léthargie depuis 1997, passant par des comptes clairs. Or, l’expérience menée sur le terrain a montré des comptabilités défectueuses, la majorité des unités évaluées n’ayant pas de comptabilité analytique afin de cerner les couts, existant un écart entre le réel et le bilan, certains repreneurs étant intéressés surtout par le terrain pour des raisons de spéculations foncières et non par l’unité. Concernant la gestion, ayant eu à diriger pour le compte du Ministère de l’Energie assisté des cadres dirigeants de Sonatrach un audit regroupant l’amont, l’aval, les canalisations et la commercialisation, pour cette grande société stratégique, il nous a été difficile d’établir des comptes de surplus physico-financiers pour rester de la rentabilité : alors qu’en est-il des autres entreprises publiques ? Sonatrach a besoin comme l’a souligné récemment le PDG un nouveau management stratégique.
-Septièmement, les délais entre le moment de sélection de l’entreprise à ouvrir le capital, les évaluations, les avis d’appel d’offres, le transfert au Conseil des Participations de l’Etat sous la présidence du premier ministre, puis au Conseil des Ministres et la délivrance du titre final de propriété doivent être clairement daté, afin de ne pas décourager tout repreneur. Car, en ce monde les capitaux mobiles vont s’investir là où les obstacles économiques et politiques sont mineurs, le temps étant de l’argent. Or seule une synchronisation clairement définie permettra d’éviter les longs circuits bureaucratiques.
-Huitièmement, les répartitions de compétences devront être précisées pour savoir qui a le pouvoir : de demander l’engagement d’une opération de l’ouverture du capital ; de préparer la transaction ; d’organiser la sélection de l’acquéreur ; d’autoriser la conclusion de l’opération ; de signer les accords pertinents et de mettre en œuvre les accords et s’assurer de leur bonne exécution.
-Neuvièmement, il faut être attentif tant à la méthode que la technique tant de l’ouverture partielle du capital que d’une privatisation totale, privatisation qui n’est pas neutre mais traduisent des rapports de forces au niveau de la société, soit la volonté d’accélérer le processus soit d’opter pour le gradualisme. Le processus comprend plusieurs phases contenues dans un programme subdivisé en plusieurs étapes dont certains constituent un passage douloureux mais déterminant pour l’entreprise. La méthode usuelle consiste à établir d’abord un diagnostic aussi complet que possible comprenant: la situation de l’outil de production, la qualité des produits, la position commerciale, l’analyse de la compétitive avec des normes internationales, le diagnostic financier, le diagnostic fiscal, l’étude de l’ environnement local, national et international, l’évaluation du management et la qualification du personnel A l’issue dû diagnostic l’on peut élaborer un scénario , accompagné de plusieurs alternatives tenant compte de la politique économique du gouvernement, des contraintes qui s’imposent tant au pays qu’a l’entreprise ainsi que des propositions de choix stratégiques à moyen et long terme, concernant en général: le plan budgétaire, le plan industriel, le plan financier, le plan commercial, le plan d’emploi, et la mise en œuvre du calendrier.
-Dixièmement, évitons toute utopie, tout privé qu’il soit algérien américain européen ou autre est guidé par la seule logique du profit n’existant pas de sentiments dans la pratique des affaires C’est la demande c’est à dire le marché qui est l’élément déterminant (taux directeur du profit, existant un marché mondial de privatisation) et non l’offre. C’est donc le taux de profit sectoriel mondial qui est indicateur de référence et dans la plupart des pays qui ont engagé l’ouverture totale ou partielle du capital, il y a eu décote d’environ 20 % par rapport à la valeur déterminée, (en comparaison à des projets neufs) pour attirer les investisseurs nationaux, internationaux. C’est d’ailleurs avec cette illusion bureaucratique des années 1970/1980 que certains croient que c’est l’Etat à décider par une politique volontariste de créer telle ou telle filière. L’économie algérienne est appelée à évoluer au sein d ‘une économie ouverte, étant liée à un Accord d’Association, voulant adhérer à l’OMC. Est ce que ces filières que l’on installe aujourd’hui, opérationnelles seulement vers 2020/2022 seront pérennes lorsque le dégrèvement tarifaire sera zéro horizon 2020 ?
2.-Nécessité de la transparence pour éviter le bradage
Cela implique que cette ouverture remplisse dix conditions
-Premièrement, l’ouverture du capital doit contribuer à l’effort de stabilisation macro –économique
-Deuxièmement, elle doit favoriser une grande efficience de l’économie donc la croissance et à la promotion des exportations hors – hydrocarbures
-Troisièmement, favoriser la transformation globale de l’économie par la réduction du chômage. En d’autres termes l’Etat entrepreneur et exploitant direct doit s’effacer peu à peu pour laisser place à un Etat exerçant la puissance publique et qui sera conforté dans ses missions naturelles d’arbitrage et de régulation.
-Quatrièmement, substituer des critères de gestion économiques à des critères politiques.
-Cinquièmement, éliminer les rigidités administratives.
-Sixièmement, alléger les contraintes budgétaires et contribuer à la compétitivité
-Septièmement, Les privatisations totales ou ouvertures partielles de capital présentent l’avantage de renforcer la capitalisation boursière d’une place, d’augmenter considérablement le nombre des transactions et d’améliorer la liquidité du marché et, partant, la capacité d’attraction de l’épargne étrangère.
-Huitièmement, les ouvertures de capital doivent permettre de lutter contre les rigidités syndicales, la promotion de certaines entreprises sur le plan commercial et auprès des investisseurs étrangers, favoriser et promouvoir des équipes de managers et développer une classe moyenne porteuse de dynamisme social.
-Neuvièmement, l’Etat entrepreneur et exploitant direct doit s’effacer peu à peu pour laisser place à un Etat exerçant la puissance publique et qui sera conforté dans ses missions naturelles d’arbitrage et de régulation.
-Dixièmement. Revoir la règle des 51/49% qui se fonde sur une vision essentiellement idéologique dépassée, où l’on peut démontrer que le partenaire étranger prend peut de risque, les surcouts étant supportés par l’Algérie via toujours la rente, me semble inappropriée sans avoir défini ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas à partir de critères objectifs (voir interview A. Mebtoul dans Jeune Afrique 2012). D’une manière générale, ce qui est stratégique aujourd’hui peut ne l’être demain. Car ce que l’on entend par secteur stratégique, et non stratégique doit être appréhendé, non en statique mais en dynamique du fait à la fois de l’évolution du monde et de la structure de l’économie algérienne. Le blocage de l’investissement en Algérie ne réside pas en des changements de lois ou d’élaboration de stratégies utopiques, vision bureaucratique, comme on ne combat la sphère informelle par des mesures administratives autoritaires
3.-Avoir une vision stratégique face aux nouvelles mutations
L’ensemble des contons énumérées précédemment impliquent une vision stratégique fondée sur une nouvelle gouvernance. Or, nous sommes dans le flou du fait de discours contradictoires de certains responsables et du fait du manque de vision stratégique. Le Conseil Economique et Social , dont la nouvelle constitution stipule qu’il est « conseil pour les pouvoirs publics » est en léthargie depuis de longues années alors que c’est le lieu par excellence de réflexion et de dialogue en vue d’élaborer des orientations crédibles, privilégiant les intérêts supérieurs du pays, et ce pour la présidence de la république et le gouvernement. C’est qu’historiquement, longtemps le secteur privé algérien s’est développé largement à l’ombre du secteur d’Etat selon le fameux slogan, de secteur privé facteur complémentaire du secteur d’Etat. Or un véritable secteur privé productif a besoin d ‘autonomie. Or tous les rapports internationaux sont unanimes entre 2010/2017, le milieu d’affaires contraignant dont la bureaucratie paralysante et la sphère informelle dominante, freinent les véritables entrepreneurs producteurs de richesses. . La raison essentielle sont les contraintes d’environnement : bureaucratie pour plus de 50%, un système financier administré (plus de 90% des crédits octroyés sont le fait de banques publiques), un système socio-éducatif inadapté et enfin l’épineux problème du foncier. A cela s’ajoute du fait de l’ancienne culturelle, une méfiance vis-à-vis du privé tant local qu’international du fait que les tenants de la rente ont peu de perdre des parcelles de pouvoir. Cela explique d’ailleurs ces alliances entre la sphère bureaucratique et certaines sphères privées spéculatives mues par des gains de court terme via la rente. Or le véritable dynamisme de l’entreprise, qu’elle soit publique ou privée suppose une autonomie de décisions face aux contraintes tant internes qu’internationales évoluant au sein de la mondialisation caractérisée l’incertitude, la turbulence et l’urgence de prendre des décisions au temps réel. Il faut donc s’attaquer à l’essentiel qui est le renouvellement de la gouvernance, liée à une profonde moralisation de ceux qui gèrent la Cité. Sans vision stratégique, comment adapter l’Algérie à la mondialisation par plus d’espaces de libertés, en levant les contraintes d’environnement afin de permettre l’épanouissement de l’entreprise créatrice de richesses, non par des textes mais il ne faut pas attendre à une véritable relance économique dont le fondement est l’accélération des réformes qui doivent reposer sur une transparence totale et une large adhésion sociale. En cas de non vision stratégique axée sur la concurrence, le processus de libéralisation qui doit être maitrisée grâce à l’Etat régulateur, s’avérera un échec patent avec le risque de passage d’un nouveau monopole privé spéculateur, favorisé par le Monopole source d’inefficience. Comme nous l’avons montré dans plusieurs contributions nationales et internationales récentes en posant la problématique du futur rôle de l’État dans ses relations avec le marché, il s’agit de faire naître le marché dans un contexte de non marché à travers cette mutation systémique bouleversant la cohérence des anciens réseaux, pour créer une dynamique nouvelle à travers de nouveaux réseaux acquis aux réformes( de nouvelles forces sociales) dans le cadre d’une nouvelle cohérence synchronisée avec les mutations de l’économie mondiale. Cette dynamique sociale est seule à même d’éviter ce manque ce cohérence et de visibilité dans la politique socio-économique dont les changements perpétuels de cadres juridiques (fonction des rapports de force au niveau du pouvoir) en est l’illustration où plusieurs centres de décisions politiques, atomisant les décisions, rendent volontairement opaques les décisions. Aussi insérer le secteur privé sans distinction avec un secteur d’Etat comme le stipule la nouvelle Constitution suppose une volonté politique de libéralisation conciliant l’efficacité économique et une profonde justice sociale ce qui ne signifie pas la fin des entreprises publiques ayant de brillants managers qui doivent évoluer dans un cadre concurrentiel supposant leur autonomie dans la gestion en ce monde turbulent et incertain devant prendre des décisions de management stratégique au temps, réel. Or le retour à la gestion administrée ne peut que bloquer les énergies créatrices. La réussite de la dynamisation du secteur économique, secteur d’Etat concurrentiel, secteur privé national et international est intiment liée à l’approfondissement de la réforme globale dont la réussite est conditionnée par une plus grande visibilité dans la politique socio-économique, un Etat de Droit, et la démocratisation des décisions économiques. L’on doit éviter ce slogan creux de bradage du patrimoine public par les tenants de la rente, d’utiliser à la fois des mots qui n’ont aucun sens discréditant l’image des responsables au niveau international, donc de l’Algérie et par voie de conséquence d’éviter de diaboliser tant le secteur privé national qu’international qui créent de la richesse. Arrêtons une stratégie clairement définie et datée et arrêtons de nous leurrer sur un cours du pétrole supérieur à 80 dollars, le FMI prévoyant un cours fluctuant entre 57/58 dollars pour 2018, sous réserve de non turbulences géostratégiques et économiques. [email protected]
(*) Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul