La politologue, Louisa Ait Hamadouche considère qu’il faut des préalables pour une élection présidentielle transparente, dont le respect des libertés individuelles et collectives, un gouvernement neutre, une instance indépendante d’organisation des élections, un assainissement du fichier électoral et une révision du code électoral.
Maghreb Emergent : maintenant que le président du Conseil constitutionnel a démissionné, les magistrats ont exprimé leur refus de superviser les élections et que des centaines de P/APC ont rejeté la présidentielle prévue le 4 juillet, peut-on dire que la voie constitutionnelle de sortie de la crise actuelle est définitivement mise en cause ?
Louisa Ait Hamadouche : techniquement, il est toujours possible d’organiser l’élection présidentielle prévue le 4 juillet. Mais, politiquement, elle sera d’une légitimité très faible. Car, au sein de la population, cette élection ne pourra déboucher que sur une autoreproduction du système avec une figure que le système aura choisie pour lui. Les conditions d’une élection libre et transparente ne sont pas réunies. Une perspective électorale au stade actuel ne constitue nullement une réponse aux attentes et aux exigences de la population.
Certaines figures de l’opposition proposent une instance collégiale de transition. Selon-vous, quelle est le chemin que doit prendre la transition pour déboucher sur une démocratie effective ?
Une instance collégiale de transition, c’est un moyen de représenter l’Etat. Cette instance peut avoir comme objectif de rassurer et d’apaiser. Toutefois, pour qu’une telle instance soit acceptée et puisse jouer un rôle positif dans la transition vers la démocratie, certaines conditions sont nécessaires. Il s’agit de mesures à prendre le plus rapidement possible. Il faut, dans un premier temps, garantir toutes les libertés individuelles et collectives pour que les Algériens puissent s’organiser et s’exprimer. Ensuite, il faut un gouvernement neutre qui soit accepté, qui ne fait peur ni a la population, ni à l’Etat. Enfin, il faut mettre en place une instance indépendante d’organisation des élections, assainir le fichier électoral et réviser le code électoral. Une période allant bien au-delà des six mois est nécessaire pour que ces conditions soient réunies.
Comment analysez-vous le fait que le Chef de l’Etat-major, Monsieur Gaid Salah, se mette dans une posture de porte-parole politiquedu système ?
Le chef de l’Etat-major produit un discours d’un chef d’Etat. Il parle des scandales politico-financiers, de la situation politique, du déroulement de l’élection, etc. L’intervention de l’Armée dans l’arène politique ne date pas d’aujourd’hui pour des raisons historiques et politiques. Premièrement, l’Algérie a eu une armée avant même d’avoir un Etat. Deuxièmement, toutes les légitimités qui se sont succédé en Algérie depuis l’indépendance sont liée à l’Armée : la légitimité révolutionnaire, la légitimité sécuritaire, la légitimité de stabilité. Troisièmement, l’Armée représente une institution pérenne qui fait que, en l’absence d’un Etat fort, d’un Gouvernement légitime et d’une opposition structurée, elle occupe le terrain et joue le rôle qui, dans des conditions normales, échoit à ces institutions.
Des dizaines d’ISTN ont été sorties contre des hommes politiques et des hommes d’affaires. Gaid Salah a demandé à la justice d’aller vite dans la lutte contre la corruption. Quelle lecture en faites-vous ?
Une lutte efficace contre la corruption ne peut pas se faire sans une Justice indépendante. Or, nous sommes très loin d’avoir une justice indépendante. Cette démarche prônée par le chef de l’Etat-major vise à donner une certaine légitimité en alimentant sa proximité avec la population qui est très sensible aux tournures que prennent les scandales politico-financiers. Pour que cette démarche s’inscrive dans une vraie lutte contre la corruption, il faut qu’il y ait une justice indépendante qui enquête sur toutes les affaires et non pas seulement celles suggérées par le chef de l’Etat Major.