La vraie raison de l’inclusion abusive de la Tunisie dans la liste de la honte des paradis fiscaux est bel et bien une tentative désespérée de la part de Bruxelles de contrer le projet de plus en plus tangible de l’adhésion de la Tunisie à l’UE*.
La liste noire des paradis fiscaux rendue publique par les ministres des Finances de l’UE le 5 décembre incluant la Tunisie est un message clair adressé par les autorités européennes à la Tunisie pour lui faire savoir qu’elles s’opposent à ce qui commence à y faire son chemin dans les milieux qui comptent quant à la nécessité de l’intégration du pays à l’UE.
Au vrai, cette liste aux critères de classements flous et opaques n’a été qu’une manœuvre d’arrière-garde, mais rien de plus, de la part de l’UE rétive à l’issue inéluctable de l’intégration de la Tunisie à l’Europe, déjà acquise dans les faits et informellement, mais au seul détriment de la Tunisie actuellement.
Tentative de contrer l’adhésion de la Tunisie à l’UE
La liste noire de 17 paradis fiscaux, ces «États qui ne font pas le nécessaire pour lutter contre l’évasion fiscale» ne concerne la Tunisie que par défaut. Et on sait pertinemment bien en Europe que notre pays est appelé très vite à en être écarté.
En effet, pas plus que le Maroc qui n’est pas dans la liste, la Tunisie n’est nullement un «paradis fiscal», sa politique de promotion des exportations nationales ne pouvant être sanctionnée puisqu’elle a toujours été encadrée, ainsi que l’a reconnu d’ailleurs le Commissaire européen Pierre Moscovici, des engagements nécessaires et suffisants de lutte contre l’évasion fiscale.
C’est d’ailleurs ce même Commissaire qui évoque le « début de l’année 2018» pour en terminer avec cette malheureuse «parenthèse», selon sa propre expression, et qui n’entrave en rien le soutien européen à la Tunisie. L’ambassadeur européen à Tunis l’a aussi annoncé aussitôt la liste rendue publique : elle sera incessamment revue et la Tunisie en sera exclue.
Et bien évidemment, ainsi que l’a rappelé par ailleurs Pierre Moscovici dans une interview au magazine Le Point : «La Tunisie peut compter sur l’Europe pour l’accompagner dans sa transition, et les Tunisiens ont besoin de la solidarité de leurs amis européens».
Au vu de ce qui serait la volte-face dans une ridicule pantalonnade, pourquoi donc un tel impair ? Est-ce possible en ce milieu aussi précis que l’horlogerie suisse qu’est la machinerie européenne ? Bien évidemment que non.
De fait, ce qui n’aurait été finalement qu’une erreur en apparence est une sorte de mélodrame de politicaillerie ou, bien mieux, une action stratégique ayant une intention vicieuse bien précise allant — le croit-on à Bruxelles — dans le sens des intérêts européens alors qu’elle les dessert.
La vraie raison de l’inclusion abusive de la Tunisie dans la liste de la honte des paradis fiscaux est bel et bien une tentative désespérée de la part de Bruxelles de contrer le projet de plus en plus tangible de l’adhésion de la Tunisie à l’UE.
C’est ainsi qu’il faut lire l’annonce de la liste, ce non-dit qui est l’essentiel dans le propos diplomatique, sous-texte occulte, mais bien réel. Et le propos européen est bien clair : la Tunisie ne doit pas oser espérer plus de l’Europe qu’elle n’en obtient déjà : un soutien dans les conditions actuelles, mais rien d’autre.
Autrement dit, voilà ce que dit Bruxelles à Tunis : que la petite Tunisie reste une grenouille et ne rêve pas d’adhérer à l’UE, comme elle commence à le faire; c’est un rêve de bœuf qui ne lui est pas permis. Voilà le message qu’a voulu adresser l’Europe à la Tunisie, un message vicieux et inadmissible !
Nécessité de l’Espace Méditerranéen de démocratie
La vérité cachée est la suivante : la Tunisie n’a été citée dans la liste de la honte que pour la punir de ses velléités d’oser enfin évoquer la nécessité de l’adhésion du pays à l’UE qui fait lentement mais sûrement son chemin auprès des élites du pays.
On cherche juste jouer de la fibre émotionnelle, susciter le rejet populaire d’une Europe arrogante et injuste afin de contrecarrer le schéma dont elle ne veut pas pour l’instant, à savoir l’adhésion tunisienne. C’est un peu dans l’esprit de ce que vient de faire, dans un autre registre, Trump avec sa malheureuse décision sur Jérusalem.
D’ailleurs, est bien éloquent le fait que le Maroc ne figure pas dans la liste noire alors que sa situation est tout à fait comparable en tous points à celle de la Tunisie. La raison est que le Maroc joue le jeu de l’Europe, se pliant bien spontanément à ses intérêts, ne réclamant même pas ce qui est — historiquement et légalement — de droit pour lui, l’intégration à une Europe déjà présente territorialement au royaume à travers ses présides espagnols.
C’est d’une mesquine manœuvre qu’il s’est agi donc de la part de ministres européens ne faisant qu’aller dans le sens des intérêts financiers gouvernant aujourd’hui le monde. Et ceux-ci ne veulent des pays maghrébins qu’en marchés, bons d’y faire des affaires, au mieux des sous-démocraties, mais pas d’États de droit, ce qui contrecarrera le capitalisme sauvage qu’ils veulent y pratiquer. (1)
Or, ils ont cru avoir fait l’essentiel en s’alliant à des intégristes musulmans, les hissant au pouvoir du fait de leur programme économique ultralibéral. Aussi, est-il hors de question pour eux de voir des États démocratiques en Tunisie et au Maroc; ce qui reviendrait à limiter la sauvagerie du capitalisme ainsi que cela se pratique en Occident du fait de loi de rationalisation salutaire du libéralisme avec, en priorité, la libre circulation humaine.
Que l’on soit bien clair : l’avenir du libéralisme, le vrai, est dans la rationalisation de ses pratiques, des retrouvailles avec l’éthique qui n’a pas manqué d’accompagner son essor. N’oublions pas que c’est en se basant sur l’éthique protestante aspirant à la piété, au piétisme même, que le capitalisme s’est durablement implanté en chrétienté. C’est ce qu’on a cherché à reproduire en terre d’islam, par l’alliance avec les intégristes islamistes, que je nomme capitalislamisme sauvage et qui a amené les religieux au pouvoir en Tunisie et au Maroc.
Toutefois, c’est oublier un aspect capital de l’islam qui est sa spécificité d’être à la fois une religion et une politique. Aussi, le capitalisme mondial, s’il ne se démocratise pas au Maghreb, n’y réussira pas; il n’y fera que se retourner contre lui des populations avides de droits et de libertés, pour lesquelles le libéralisme est d’abord à pratiquer dans la vie de tous les jours et non seulement dans l’économie. Ce qui doit se traduire, en premier, par la devise du « laissez-faire, laissez-passer » appliquée aux humains, véritables créateurs des richesses, avant leurs créations, services et marchandises. (2)
Voilà pourquoi il ne faut pas trop s’en faire pour cette liste bidon concernant la Tunisie; notre pays en sera exclu dès le début de l’année à venir. Faut-il ne pas rentrer dans le jeu malsain des gourous européens soucieux justes de leurs intérêts immédiats, et ce en continuant d’agir pour permettre la réussite, au plus vite, de l’objectif que cette manœuvre de basse politique veut contrer, à savoir la marche forcée vers la formalisation de l’intégration de la Tunisie à l’UE. (3)
La diplomatie tunisienne serait bien avisée de répondre du tac au tac aux ministres européens en osant enfin officialiser son option sur le long terme de l’adhésion de la Tunisie à l’Union européenne, son espace vital naturel. Elle le fera, par exemple, en lançant un appel solennel à la création d’un Espace Méditerranéen de Démocratie dont le premier jalon sera la libre circulation humaine sous visa biométrique de circulation. Voilà le défi à relever et qui le serait tout autant dans l’intérêt de l’Europe que du Maghreb, à commencer par la Tunisie qui y fait déjà figure d’Exception. (4)
À pays exceptionnel un statut exceptionnel comme n’a pas hésité à le rappeler le ministre tunisien des Affaires étrangères. Que l’Europe propose donc l’adhésion à la Tunisie avant que la Tunisie ne soit obligée de le faire ! (5) Car elle le vaut bien et c’est ce que commande sa situation actuelle et la réussite de sa transition démocratique, un bienfait pour la paix en Méditerranée et dans le monde.
(*) Nous republions les articles de Farhat Othman, avec son aimable accord. Cet article a été publié initialement sur son blog sous le titre : « Sommet UE-UA d’Abidjan : Contre la clandestinité, pour le visa biométrique de circulation ».
Notes:
(1) 2017 ou du capitalislamisme sauvage à la mondianité 3/3 : Vers un autre monde !
(2) Contre la clandestinité, pour le visa biométrique de circulation
(3) BLOC-NOTES : Pour l’adhésion de la Tunisie à l’Union européenne!
(4) Partenariat pour un espace méditerranéen de démocratie