Les opérateurs privés rechignent à se lancer dans l’industrie automobile. Ils préfèrent la distribution, moins compliquée et plus rentable.
Fabriquer des voitures en Algérie ? Les entreprises privées algériennes hésitent. Des annonces ont été faites, mais rien ne s’est concrétisé jusque-là. Pourtant, l’Algérie dispose d’atouts considérables, dit-on : un marché, des financements, des facilités offertes par le gouvernement, et une volonté d’investir un secteur aux multiples retombées.
Sur le terrain, la réalité est très différente. Les privés ont préféré investir le secteur de la distribution, selon le système des concessionnaires, avec un succès foudroyant. Avec le boom du marché de l’automobile, une centaine de concessionnaires se partagent un chiffre d’affaires de six à huit milliards de dollars, dominé par quelques grandes marques qui se taillent la part du lion.
Quelques timides tentatives ont été ébauchées dans le montage de véhicules, mais elles restent peu significatives. Un économiste, consulté par Maghreb Emergent, estime que le développement de l’activité montage en Algérie bute sur trois écueils. En plus des difficultés liées à tout investissement, l’Algérie s’est lancée dans un démantèlement tarifaire qui ne permet pas à la production locale d’être suffisamment attractive face aux grandes marques internationales, dit-il. En outre, « les entreprises privées algériennes n’ont pas encore la surface nécessaire pour aller vers les grands investissements » nécessaires dans ce secteur. « Il faut qu’elles changent d’échelle, ou qu’elles s’associent avec d’autres partenaires », précise-t-il, ajoutant qu’un « projet d’envergure dans l’automobile exige des mises de départ hors de portée des privés algériens ».
Seuil critique
Un ancien ministre de l’industrie insiste sur ces écueils. A moins d’un seuil critique, proche du demi-million de véhicules produits chaque année, l’investissement dans le montage automobile n’est pas rentable, dit-il. Le projet marocain avec Renault démarre à un seuil de 400.000 véhicules par an, précisément pour en garantir la viabilité. Mais même à ce niveau, la valeur ajoutée est assez modeste, rapportée au volume de l’investissement. « C’est la fabrication de composants qui peut améliorer la valeur ajoutée et le bilan devises » d’une usine de montage, dit-il.
Un ancien cadre de la SNVI note toutefois que la rentabilité du montage n’est pas vitale « si les projets lancés provoquent un effet d’entrainement en amont et en aval ». Selon lui, l’activité montage « peut être supportée par des artifices, comme la commande publique, si cela permet de se développer la production de composants, le développement des services, la recherche et la création d’emplois ».
Un marché cédé sans contrepartie
Les privés algériens n’en sont pas encore là. Ils ont un marché juteux, et ils veulent le garder. Objectivement, ils n’ont pas intérêt à fabriquer des voitures, une opération très complexe, tant qu’ils ont la possibilité de gagner beaucoup d’argent avec les importations. Ils ont même tendance à freiner toute activité de production locale, car cela remettrait en cause toute l’architecture économique du secteur.
Leur position bénéficie de l’appui de deux alliés de poids, la bureaucratie locale et les fabricants. La bureaucratie est incapable de percevoir l’enjeu que représentent les importations de véhicules. Pourtant, en valeur, les importations algériennes de véhicules représentent deux fois celles des céréales, et quatre fois celles des médicaments. A part la taxe sur les véhicules neufs, aucune mesure n’a été prise pour encourager la production locale.
Les fabricants automobiles n’ont, quant à eux, aucun intérêt à produire en Algérie. Leur modèle de production, fait de discipline et de rigueur, ne peut pas être transposé dans un pays totalement déstructuré et imprévisible. Mais plus grave encore, note un ancien haut responsable, « les firmes étrangères ont pris possession du marché algérien, qui leur a été offert sans contrepartie. Ce sont elles qui le contrôlent aujourd’hui. Ce sont donc elles qui décident ».