Le recours devenu systématique à la répression apparaît désormais comme l’option forte pour faire passer l’élection présidentielle du 12 décembre, contestée par les manifestants. Ce n’est pas sans conséquences dans la relation aux partenaires occidentaux.
L’agenda de l’élection présidentielle du 12 décembre carbure au mandat de dépôt d’opposants depuis plusieurs semaines. Les manifestants du hirak populaire hostiles à un vote fermé de re-légitimation du pouvoir militaire sont désormais ciblés sans préjudice d’enquête préliminaire. L’interpellation en soirée du vendredi à Alger de cinq militants de l’association RAJ, dont son ancien président Hakim Addad, vient confirmer un emballement de la répression et de l’intimidation comme recours pour obliger les Algériens à accepter une élection inique sous un régime de désormais quasi terreur. La liste des détenus politiques, mise à jour par le comité de défense des détenus, et déclarée non exhaustive, atteignait 129 détenus avant le 33 e vendredi de manifestation populaire. Il faudra sans doute ajouter quelques unités à ce solde en début de semaine prochaine, tant le tribunal de Sidi M’hamed a pris une vitesse de croisière effrayante dans la mise en détention provisoire de tous les citoyens présentés par les services de sécurité, en particulier des militants et figures du hirak, à l’instar de Karim Tabou et Samir Belarbi.
Les comptes rendus qui remontent des wilayas, comme Batna et Constantine, parlent désormais de violences en situation de gardes à vue sur des activistes du Hirak. Il faut ajouter au tableau la rechute dans les pratiques barbouzardes les plus symptomatiques des années noires de « la lutte anti-terroristes ». Les enlèvements par des agents civils et la mise au secret de militants prolifèrent. Les services de sécurité ne prenant plus le temps d’instruire des enquêtes préliminaires à charge et à décharge. L’implication de plus en plus ostentatoire de la DCSA, service de sécurité de l’armée, dans les interpellations anonymes fait replonger le pays dans la psychose de l’État de non droit qui a ouvert la voie sous couvert de lutte contre le terrorisme à la disparition forcée de plus de 10 000 algériens dans les années 90. Le sort de la liberté de la presse n’a jamais été aussi sordide depuis sa libéralisation après le 05 octobre 1988. La pression directe sur les directeurs de publication, y compris par des convocations à la caserne Antar de l’ex DRS à Alger, a transformé en quelques mois les médias en organes de propagande pour l’Etat-major, son chef et sa feuille de route de continuité assumée du système par la cooptation d’un président adoubé. L’emprisonnement de Fayçal Merakchi, journaliste free lance, la semaine dernière pour une infraction d’un autre âge d’exercice du métier sans accréditation a élargi le front de la répression et accentué la peur sur les rédactions qui ne rapportent plus les slogans populaires hostiles à Ahmed Gaïd Salah.
Fin de « la réserve » des partenaires
La dégradation accélérée de la situation des droits humains et des libertés en Algérie depuis le lancement en juin dernier de la campagne contre le drapeau amazigh a fait évoluer le regard de ses partenaires sur l’évolution de sa situation interne. L’espoir d’une issue politique rapide s’est estompé. Et les inquiétudes face au choix du passage en force d’une hiérarchie militaire brutale et sans idée, ont fait sauter les précautions d’usage dans le traitement de la Révolution pacifique des Algériens. La solidarité récemment déclarée du parlement européen avec le Hirak populaire, dans le sillage de la déclaration de la présidente de la commission des droits de l’homme du parlement européen, l’ancienne ministre belge Maria Arena, est une première salve. D’autres se profilent. Le bénéfice du doute à l’avantage des autorités d’Alger est consommé. Le consensus s’est rapidement élargi au sein de la représentation parlementaire du premier partenaire économique et social de l’Algérie pour réagir à la dérive répressive dans le pays. « Il n’est plus possible pour les partenaires de ce pays de rester indifférent à la tentation d’un durcissement de l’armée » explique la note interne d’un think tank européen en quête d’un chantier d’étude sur la crise algérienne et ses possibles issues.
« Jusque là, la recherche d’une solution politique consensuelle pour organiser la transition vers un régime démocratique paraissait réaliste. Les atteintes aggravées aux droits humanitaires renversent les urgences. Il faudra de plus en plus clairement aider les Algériens à se protéger des débordements de leur régime », explique un commentateur de cette note. Comment ? Il faut s’attendre à des alertes plus fortes et plus amples de l’opinion internationale sur les cas d’atteinte aux droits de l’homme en Algérie, plusieurs ONG humanitaires (Amnesty International, Human Right Watch, RSF, FIDH…) ayant soit engagé des productions de rapports précis sur la situation, soit renforcé leur mise sous observation de la situation dans le pays.
Au début d’une tension montante
La question qui se pose déjà, est celle de savoir comment vont réagir les exécutifs européens et nord- américains – la mobilisation algérienne au Québec interpelle Ottawa- à la mise en route d’une dénonciation morale par les ONG internationales de la dégradation de la situation humanitaire en Algérie.
« Paris va sans doute continuer à faire profil bas, plus dans le but de ne pas gêner les Algériens en lutte pour leur liberté que par connivence avec les autorités en place. Mais cette attitude n’est pas une politique de long terme. Elle est basée sur un pronostic optimiste de solution qui n’est pas en train de se vérifier », explique un diplomate européen en poste à Alger. L’Europe, minée par les exécutifs souverainistes souvent sous influence de l’extrême droite et hantée par l’issue du Brexit, n’est pas en situation de peser « moralement » par la voie des gouvernements nationaux pour rendre plus fréquentables le pouvoir martial qui veut s’incruster à Alger.
La nouvelle commission européenne ne devrait pourtant pas tarder, sous l’impulsion de l’Allemagne et des pays scandinaves, à exprimer un point de vue sur le respect des libertés chez son principal partenaire commercial du Maghreb. L’audition de la commission des droits de l’homme du parlement sur la situation des droits et des libertés en Algérie a été suivie de recommandations auprès de la commission qui annonce une crispation certaine dans le cas attendu d’une expression directe de Bruxelles. Ahmed Gaïd Salah l’homme fort de la fin du bouteflikisme a immédiatement réagi à cette perspective de la montée de la pression internationale sur l’Algérie. Ne pouvons pas menacer de représailles les partenaires économiques de l’Algérie, il a comme de coutume, tenter d’intimider les Algériens notamment de supposées sources juridiques dans le pays qui donneraient une fausse image à l’international pour susciter des ingérences multiples. Le fait est pourtant simple. Les manifestations depuis le 22 février ont toujours scrupuleusement veillé à éloigner les interventions étrangères et leur influence de l’issue de la crise.
L’arrestation d’un leader politique populaire comme Karim Tabou a directement ouvert la voie à une première dénonciation internationale. La persistance depuis lors dans cette voie, avec les arrestations de Samir Belarbi, Fodil Boumala, Ahcene Kadi et Karim Boutata ainsi que celles de dizaines de citoyens et militants a rendu quasi inévitable la tension entre Alger et ses partenaires européens, contraints de réagir sous la pression des diasporas algériennes et des ONG. Aucune capitale européenne n’a déclaré trouver en l’élection du 12 décembre la promesse claire d’une solution à la crise. Pourquoi ? Sans doute parce qu’en Europe personne ne peut jeter en prison les leaders de l’opposition et de l’opinion pour « garantir des élections libres et transparentes »