Toute la communauté internationale vient de saluer la levée effective de l’embargo contre l’Iran dont en premier les USA et l’Union européenne, après que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ait attesté s le 16 janvier 2016 des dispositions prises par Téhéran pour ne pas être en capacité de produire une bombe nucléaire.
Dans un message adressé à la télévision nationale, le président iranien, Hassan Rohani a déclaré dimanche 17 janvier 2016 je le cite : « nous, Iraniens, nous tendons la main vers le monde en signe de paix et en mettant derrière nous toutes les hostilités, suspicions et complots, ouvrons une nouvelle page dans les relations de l’Iran avec le monde »
1.- Une économie iranienne dégradée
La République islamique d’Iran, a été proclamée le 1er avril 1979. L’Iran a une superficie de 1. 648. 000 km2 avec pour capitale Téhéran et ses principales villes sont Machhad, Ispahan, Karaj, Tabriz. Malgré ses potentialités très importantes, la situation actuelle est fortement dégradée. L’Iran détient la quatrième réserve pétrolière mondiale avec plus de 160 milliards de barils ( 13/14% des réserves mondiales) ,l’Algérie seulement 10 milliards de barils ( données 2015) lui permettant facilement d’exporter entre 4/5 millions de barils jour et le deuxième réservoir de gaz traditionnel avec plus de 34.000 milliards de mètres cubes gazeux soit plus de 16% des réserves mondiales, l’Algérie 2700 milliards de mètres cubes gazeux (données 2015) , sans compter que l’Iran aura alors accès avec des données contradictoires entre 50/100 milliards de dollars bloqués dans les banques étrangères, qui pourront augmenter ses exportations et attirer les investissements étrangers. L’Iran a d’importantes ressources. Elle est situé sur la ceinture des réserves de cuivre de la planète et bénéficie de réserves considérables d’autres minéraux, tels que le fer, l’aluminium, le plomb et le zinc et un pays avantagé par des frontières qu’il partage avec 15 pays, pouvant devenir facilement un pays émergent, d’autant plus qu’il a investi dans la ressource la plus sure la ressource humaine, l’élite sans laquelle aucun pays ne peut se développer. Sa monnaie est le Rial où un (1) euro = 33.917 IR en 2014. Selon les études de l’OCDE et du FMI, sa population est d’environ 77,8 millions (octobre 2014) avec une densité de 48,4 hab/km2, occupant la 2ème place derrière l’Egypte. Le taux d’alphabétisation est de 93% pour les Iraniens de 19 à 40 ans, encore qu’existe des disparités puisque l’Indice de développement humain est 0,707 ayant été classée 88è rang mondial. Le PIB par habitant 2013/2014) est de 4 748 dollars avec un produit intérieur brut (PIB (2013/2014) de 366,1 milliards $ , étant la deuxième économie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, PIB , ventilé comme suit : agriculture : 11,3% -industrie : 37,6%- services : 51% . En plus du pétrole et du gaz, l’Iran exporte principalement des pistaches, des tapis, des produits pétrochimiques, des produits chimiques organiques, de l’aluminium, des matériaux plastiques. Ses trois principaux fournisseurs sont la Chine, l’Allemagne et les Emirats Arabes Unis (qui jouent le rôle de centre de réexportation). Les biens principalement importés sont les machines, le fer et l’acier, l’équipement électrique et électronique et les céréales. Mais les indicateurs macro-financiers et macro-sociaux sont inquiétants : le taux de chômage en 2013/2014 officiellement est de 12,9%, mais estimé à 30% par le FMI et le taux d’inflation a atteint plus de 35%, certains mois des niveaux record jusqu’à 50%. La valeur de la devise nationale a perdu 80 % de sa valeur et le taux de chômage réel a grimpé à 30 % du fait de la croissance négative, l’économie étant dominée par le secteur public qui contrôle près de 80% et un secteur privé relativement limité. Le déficit budgétaire pour 2013/2014 aurait été de 6% du PIB avec une contraction du PIB de l’ordre de -1,2%. Selon le rapport du FMI l’excédent courant serait passé de 26,3 milliards de dollars (soit 6,6% du PIB) en 2012/2013 (mais 11% en 2011 / 2012) à 27,4 milliards de dollars (soit 7,5% du PIB) en 2013/2014, bien que l’excédent de la balance des paiements, aurait été ramené de 12,2 à 3,28 milliards de dollars. Nous avons d’autres données fournies par le président iranien que je livre au lecteur en date du 31 mars 2015. Selon l’agence officielle iranienne en 2014 10% de points de PIB en baisse sur le total des revenus depuis 2010 dus aux contraintes dans les transactions financières internationales qui sont accéléré la stagnation de l’économie iranienne, avec une récession de 1¾ % du PIB. Ainsi, le déficit global a été de 2¼ % du PIB pour 2013-2014 et que durant l’année iranienne 1391 (mars 2012-mars 2013) la croissance a été négative de 6,8% et en 1392 et de (mars 2013 – mars 2014) nous avons eu une croissance négative de 1,1%. Cela rejoint le constat du FMI, pour qui la performance macro-économique du pays s’est dégradée en raison du renforcement des sanctions internationales en 2012, expliquant que le gouvernement iranien a commencé l’arrêt progressif des subventions sur l’énergie, le début d’un processus qui augmentera les prix de l’essence, de l’électricité et d’autres services publics. Le gouvernement a même été contraint, de vendre des dollars pour soutenir la devise qui a fortement été dévaluée.
2.-L’Accord, un bouleversement régional
Après près d’une décennie d’isolement diplomatique, l’Iran cherche à renouer avec la communauté internationale. Pour rappel, la conversation téléphonique avec le président Obama de septembre 2013 qui a constitué une rupture historique. Dès son élection en juin 2013, le président Rohani a exprimé son souhait d’améliorer les relations de l’Iran avec la communauté internationale notamment sur le dossier du nucléaire, dégradées au cours des présidences précédentes, tout en essayant d’apaiser ses relations avec les puissances régionales notamment ses relations avec les puissances sunnites, en particulier l’Arabie Saoudite et les tensions actuelles au Yémen en seront un test. Selon bon nombre d’experts militaires, le Yémen, à l’extrémité de la péninsule arabique et chasse gardée de l’Arabie saoudite via les USA, n’est pas une priorité stratégique pour Téhéran, bien moins en tout cas que l’Irak ou la Syrie, où l’Iran est un acteur majeur des crises en cours. Sur le plan régional, c’est un acteur clef comme en témoigne sa priorité qui est la lutte contre Daech. L’Iran a apporté son soutien au régime irakien mais également depuis le déclenchement de la crise syrienne son soutien à Damas. Mais une position peut évoluer selon ses intérêts stratégiques. C’est dans ce cadre que qu’est rentré l’accord préliminaire avec l’Iran le 02 avril 2015. Ainsi après huit jours de discussion, le groupe des 5+1 les grandes puissances (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) et l’Iran ont signé le 2 avril 2015 les « paramètres-clés » qui ont servi de cadre à un accord définitif avalisé le 17 janvier 2016 après le rapport favorable de l’AIE concernant le programme nucléaire iranien. Il faut d’abord souligner que les négociations ne se sont pas déroulées seulement à Lausanne mais dans deux autres espaces mondiaux, en Iran et aux USA via Israël. D’abord en Iran où les forces réformistes ont du faire face aux forces conservatrices ; ensuite aux Etats Unis d’Amérique via Israël où le congrès à majorité républicaine était au départ réticent à un tel accord. Rappelons qu’au lendemain de l’Accord, nous avons assisté à une liesse populaire en Iran où la population frappée par l’embargo souffre comme je le démonterai par la suite à partir d’indicateurs économiques d’une très grave crise économique et sociale. Le président américain vient le 17 janvier 2016 de saluer l’accord historique en prenant les précautions d’usage, pour ne pas heurter ses alliés traditionnels Israël et l’Arabie Saoudite qui ont de forts appuis au niveau des républicains. Il est conforté par l’opinion publique américaine puisque Aux Etats-Unis, de récents sondages montrent que l’opinion publique est plutôt favorable à un accord sur le nucléaire iranien. Dans une enquête menée pour le Washington Post et ABC, 59% des personnes interrogées soutiennent l’idée de lever la quasi-totalité des sanctions à l’égard de la République islamique en échange d’un accord qui limiterait le programme nucléaire de façon à empêcher la production d’armes nucléaires et 31% se disent contre. Selon le secrétaire d’Etat américain et la partie européenne, les parties se sont mis d’accord sur le fait que les stocks d’uranium enrichi de l’Iran seront réduits de 98% pendant 15 ans. Le nombre de centrifugeuses de l’Iran serait ramené de 19.000 actuellement à 6.104 dans le cadre du futur accord. L’accord-cadre est un pas important qui permettra d’empêcher ce pays d’acquérir l’arme nucléaire, selon la chancelière allemande, la Russie et la Chine ainsi que de la France, qui a énormément assoupli son positon, voulant des parts de marché. , le souci est d’aboutir à un accord final crédible et vérifiable afin que la communauté internationale soit assurée que l’Iran ne sera pas en situation de se doter de l’arme nucléaire. Les sanctions américaines et européennes seront levées progressivement en fonction du respect des engagements de l’Iran, tout accord final devant être endossé par le Conseil de sécurité de l’ONU. Bien que le gouvernement israélien adopte un ton volontairement agressif pour dénoncer l’accord qui menacerait la sécurité d’Israël, selon la plupart des observateurs, il n’y a aucune chance pour qu’Israël se lance dans une aventure de guerre, périlleuse, ces discours étant une garantie à sa coalition d’extrême droite. D’une manière générale cet accord historique pourrait aider à stabiliser les tensions dans la région et notamment la lutte contre Daech où uniquement en Irak 400.000 barils directement sont exploités par Daech (une estimation supérieure à celle des services de renseignements occidentaux) à un cours inférieur à 40 dollars par le passé et actuellement à moins de 30 dollars. Cette stabilisation aura un impact sur l’offre du pétrole où l’Irak peut produire 8/9 millions de barils/jour et l’Iran qui produisait vers 2011/2012 plus de 2,5 millions de barils jour peut produire plus de 5/6 millions de barils/jour. Ces facteurs ajoutés à une production hors OPEP , part de marché de 67% contre 33% OPEP, sans compter les nouveaux arrivés sur le marché mondial (par exemple le Mozambique dès 2016), l’effort de guerre de l’Arabie Saoudite qui ne veut pas en plus perdre des parts de marché, la forte production russe ( plus de 10 millions de barils/jour) ,le pétrole/gaz de schiste américain qui a bouleversé toute la carte énergétique mondiale, qui exportera vers l’Europe horizon 2017, et en cas de non reprise de la croissance mondiale, peuvent maintenir le cours du pétrole bas , le prix de cession du gaz étant indexé sur celui du pétrole.
3.- L’Iran face aux défis futurs
L’important pour le gouvernement iranien est de sortir l’économie de la récession. L’objectif est la relance économique et la maîtrise de l’inflation pour maintenir la cohésion sociale. Et pour cela, il faut une politique de croissance nécessitant d’importants moyens de financement. Avec la généralisation de l’embargo, les revenus pétroliers de l’Iran ont chuté pour atteindre le quart de leur niveau initial, l’économie étant très dépendante des revenus pétroliers qui irrigue la sphère économique et sociale qui représentant, selon le niveau du chiffre d’affaire, entre 70/ 80% des recettes de l’Etat. Dans ce contexte, une hausse ou une baisse du prix du pétrole influe sur les recettes du pays. Encore qu’il faille préciser en Iran, que les ventes de condensats de gaz et produits pétrochimiques sont comptabilisées comme exportations non pétrolières. Aussi, l’embargo a eu des répercussions négatives, les exportations de brut iranien étant plafonnées à 1 million de b/j environ selon les termes de l’accord intérimaire de Genève de novembre 2013 reconduit jusqu’au 30 juin 2015. C’est pourquoi, le gouvernement iranien avec la levée de l’embargo entend accroître l’offre d’hydrocarbures afin de reconstruire son économie qui lui permettra de dynamiser son économie et entend mener des réformes internes afin accroître les recettes fiscales à terme. Ainsi l’Iran envisage des privatisations et cessions d’actifs en forte progression par rapport au budget actuel, combiné à la réduction du train de vie de l’Etat (dépenses de fonctionnement, salaires des fonctionnaires). Ainsi, le gouvernement iranien, notamment les réformateurs sont confrontés à d’importants défis internes nécessitant d’importantes réformes structurelles à trois niveaux :
-premier niveau, les subventions généralisées non ciblées, source de gaspillage, les situations de rentes et les détournements de fonds, constituant une autre cause de cette hémorragie permanente dans l’économie iranienne qui empêchent la canalisation des richesses dans le système de production intérieure et le développement du pays ;
– deuxième niveau tout en veillant à sa protection sécuritaire, limiter les dépenses faramineuses consacrées à l’appareil militaire du fait des tensions régionales dont le projet nucléaire à des fins militaires l’Accord prévoyant le nucléaire à des fins civiles, , le programme balistique colossal et la politique interventionniste au niveau international qui nécessitent d’importantes aides financières ;
– troisième niveau qui impliquera des réaménagements au niveau du pouvoir iranien, la limitation du pouvoir des Pasdaran qui contrôlent une part essentielle de l’économie iranienne qui sans être soumis à la loi sur la fiscalité, monopolisent l’activité économique en encaissant des revenus colossaux dans les secteurs du pétrole, gaz, pétrochimie, téléphonie, informatique, de l’industrie de l’automobile, l’acier, le ciment, l’alimentaire, les produits pharmaceutiques, ainsi que les routes, les banques, les assurances. Selon les analystes, les Pasdaran sont parmi les plus grands cartels du monde et contrôlent plus de 50 % des importations et le tiers des exportations iraniennes.
En résumé, comment ne pas rappeler que lors d’un débat que le lecteur pourrait écouter (www.rfi.fr -2014) ) avec mon ami Antoine Halff, ancien économiste en chef au secrétariat d’Etat à l’énergie US et actuellement directeur général de la prospective à l’AIE lors d’un débat le 24 octobre 2014 à Radio France Internationale – RFI (Paris France) je cite nos propos : « l’Accord avec l’Iran pour des raisons géostratégiques sera parachevé, en principe, avant juillet 2015 et les cours du pétrole se maintiendront à un niveau bas jusqu’en 2020. ; au delà il faudrait analyser les nouvelles mutations énergétiques mondiales devant à tout pris, éviter de raisonner sur un modèle de consommation énergétique linéaire du passé devant assister à une profonde mutation énergétique mondiale horizon 2030/2040 ». Suite à cela, devant le premier ministre algérien et plusieurs membres du gouvernement algérien le 04 novembre 2014 lors de la conférence organisée par le Ministère de l’Industrie au Club des Pins sur la relance économique, j’ai proposé un comité de crise pour parer à la chute du cours des hydrocarbures, afin d’éviter l’expérience douloureuse des impacts de 1986. La majorité des experts et membres du gouvernement algériens, excepté le premier ministre, qui m’écoutaient ont éclaté de rire affirmant que dans quelques mois le cours du pétrole remonterait. Je suis reparti très attristé face à cette mentalité et culture rentière. Concernant, la levée de l’embargo international contre l’Iran, cela permettra de désamorcer le climat de tensions que traverse tant la région mais cet accord préfigure une importante reconfiguration géostratégique et énergétique au niveau du Moyen Orient.
(*) Dr Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités, expert international