Il reste au gouvernement d’union de Sarraj de lever les équivoques. Il n’est pas un secret que pour les Occidentaux – ou une partie d’entre eux – son rôle consiste à fournir une base légale pour une intervention étrangère qui pourrait prendre par exemple l’aspect d’un appel à une assistance militaire.
Le gouvernement « de salut national » de Tripoli a annoncé qu’il cessait totalement ses activités, laissant ainsi la voie libre au gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj, confiné depuis plusieurs à une base navale de la capitale libyenne.
C’est un pas important pour la Libye qui a sombré dans l’anarchie et la guerre civile depuis la chute du régime de Mouamar Kadhafi en 2011 et l’atomisation du pays en factions et milices. La destruction du régime de Kadhafi avec l’appui militaire de l’Otan et des pays du Golfe s’est accompagnée de celle de l’Etat, déjà fragile.
Un pas important dans le contexte libyen ne signifie pas que les choses ont été réglées mais il est clair qu’il existe, cependant, une forte attente de la part des libyens pour une rentrée « dans l’ordre » et la reconstruction de l’Etat.
Le gouvernement d’union nationale constitué autour du premier ministre Fayez Sarraj à défaut de susciter l’enthousiasme général est perçu comme un moyen de dépasser une bipolarisation entre Tobrouk et Tripoli qui laissait le champ libre à un acteur « nouveau » à Syrte : Daech.
La crainte, sérieuse, était que ce gouvernement d’union devienne un « 3ème gouvernement » de plus et donc une source de complication supplémentaire. En s’effaçant, le gouvernement dit de Tripoli, éloigne cette perspective.
Cette décision est la conséquence d’une multiplication des ralliements des villes de l’Ouest au gouvernement d’Union, elle confirme la disponibilité des libyens à entrer dans une dynamique de reconstruction de l’Etat.
La décision des milices de Misrata de soutenir le gouvernement d’union a rapidement fait bouger les lignes au sein de l’alliance Fajr Libya. La bonne nouvelle est que cette dynamique de ralliement s’est faite, contrairement à ce que l’on craignait, sans violences notables et sans affrontements.
Les récalcitrants semblent tout simplement avoir pris acte du fait que les composantes majoritaires de Fajr Libya sont pour le gouvernement d’union. Il reste encore au gouvernement de Tobrouk de faire le même geste d’autodissolution pour qu’il ne reste qu’un seul gouvernement en Libye qui est, de facto, une équipe en charge d’une transition.
Le parlement reconnu au plan international qui s’est installé à Tobrouk, où ses membres se sont repliés en 2014, n’a toujours pas validé le gouvernement d’union de Sarraj.
Il n’a plus de raison – hormis les pressions du général Khalifa Haftar qui ne peut être de la partie dans une démarche consensuelle – de continuer à tergiverser. La Libye s’est « libérée » de Kadhafi, elle ne devrait pas être bloquée par le sort d’un personnage controversé et qui fait partie du passé de la Libye.
Défendre la Libye, ne pas servir d’alibi
Il reste cependant au gouvernement d’Union de Sarraj de lever les équivoques. Il n’est pas un secret que pour les Occidentaux – ou une partie d’entre eux – son rôle consiste à fournir une base légale pour une intervention étrangère qui pourrait prendre par exemple l’aspect d’un appel à une assistance militaire.
Ce serait le pire des scénarios, un terrible gâchis d’une vraie opportunité de rebâtir la Libye sur de nouvelles bases. Même si une grande partie des libyens ne regrettent pas Kadhafi, beaucoup ont découvert que la pire des injustices pour une société, fragilisée par des années d’autoritarisme, est de ne plus avoir d’Etat.
Une nouvelle intervention militaire occidentale directe en Libye serait désastreuse et pousserait des milliers de libyens qui la rejettent dans les bras de Daech. Ce serait, encore une fois, faire bouger les lignes dans le mauvais sens.
Dans une Libye divisée et armée et où un travail de reconstruction et de réconciliation laborieux doit être entamé, une intervention occidentale ne fera qu’aggraver la fragmentation générale du tissus. A moins d’être toujours animé d’une volonté de favoriser une séparation du pays entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine, une telle intervention n’a pas de justification.
La vraie solution – qui n’est pas transportable par des avions militaires ou des missiles – est libyenne, elle passe par une reconstruction d’institutions légitimes consensuelles. Une telle démarche de bon sens ne minimise pas la menace constituée par le fait que la Libye sert désormais de plateforme de Daech pour la région. Mais il ne s’agit non plus de l’exagérer de manière à justifier le recours aux mêmes mauvaises solutions.
L’effectif de Daech est constitué de quelques 3000 hommes, c’est important mais ils sont localisés. Et surtout, sa force vient de l’inexistence d’un Etat central et d’institutions. La consolidation d’un gouvernement d’Union nationale est suffisante pour engager un traitement par les libyens.
Le gouvernement d’union libyen ferait une erreur fatale d’en appeler à l’intervention étrangère. Il peut dire se charger lui-même de Daech. Une intervention occidentale – on le sait d’expérience – est mal venue dans un pays, elle insupporte, elle suscite des réactions violentes, elle fait le lit des radicalismes. Une intervention occidentale sera, de facto, une aubaine pour Daech.
Le gouvernement d’union doit démentir les pronostics et les suspicions et prouver qu’il existe, non pour servir d’alibi légal à une intervention occidentale, mais pour l’empêcher dans l’intérêt de la Libye et des libyens et des peuples de la région. Défendre la Libye, oui. Servir d’alibi, non.